SEDIMENTS D’UN CONFLIT GENERATIONNEL DANS LE CINEMA
Si les jeunes acteurs estiment qu’ils sont à la pointe de la sensibilisation et de la prévention, les anciens acteurs, quant à eux, considèrent que la nouvelle génération a complètement dénaturé le cinéma

Les téléfilms dramatiques zappés, les séries télévisées en vogue. Elles connaissent un bond fulgurant, ces dernières années, au point de reléguer au second plan les productions de l’ancienne école (théâtre et cinéma). Si les jeunes acteurs estiment qu’ils sont à la pointe de la sensibilisation et de la prévention, les anciens acteurs, quant à eux, considèrent que la nouvelle génération a complètement dénaturé le cinéma. Se pose alors une question de conflit générationnel ?
PAPIS NIANG, REALISATEUR, A LA NOUVELLE GENERATION : «Il est temps, que les jeunes acteurs retournent à la source… originalité, créativité…»
Papis Niang, réalisateur général à Art-Bi Management magnifie le travail abattu par des jeunes acteurs et réalisateurs sénégalais. Toutefois, il les exhorte à miser beaucoup plus sur l’art, la créativité et l’originalité.
Selon le réalisateur Papis Niang, la nouvelle génération a apporté une touche exceptionnelle au cinéma sénégalais. Mais, malgré les efforts consentis, l’industrie cinématographique n’a pas encore vu le jour au Sénégal. «Actuellement, le marché des séries sénégalaises est en pleine expansion, au moment où l’industrie cinématographique est quasiment inexistante. Dans la mesure où les séries télévisées, en ce moment, ne reflètent pas du tout le cinéma en tant que tel. En effet, ces dernières ne réunissent pas tous les aspects du cinéma dans sa globalité. J’ai l’impression qu’elles essaient de répondre à la demande d’une population avide d’histoires, de rebondissement. Et c’est dangereux, car vouloir aborder certaines thématiques pour faire juste plaisir à son audience risquerait de tuer le cinéma», explique-t-il.
BUSINESS, LUXE, HISTOIRES D’AMOUR
Papis Niang de souligner que la nouvelle génération privilégie le business, au détriment de la créativité. «Nous, réalisateurs, nous devons orienter nos productions audiovisuelles vers la sensibilisation, l’éducation… Cette activité noble qu’est le cinéma doit refléter la réalité mais également avoir une touche exceptionnelle artistiquement. Alors que maintenant, les réalisateurs privilégient le business, le luxe, les histoires d’amour pour plaire au public et encore plus pour s’enrichir. On n’oublie jamais les œuvres artistiques de Ousmane Sembène, ce vaillant artiste, parce que dans ces contenus il y’a la créativité. Presque tout ce fait avec les matériels techniques, les acteurs ne font que les 10%», argumente le réalisateur qui sert de «trait d’union entre les deux générations», argumente-t-il.
«CE QU’ON JOUE DANS LES SERIES EST LA TRISTE REALITE»
Chose surprenante, le réalisateur qui sert de trait d’union entre les deux générations affirme ouvertement qu’il ne condamne guère les scènes jugées offensantes ou attentatoires aux bonnes mœurs. «Je ne condamne pas les scènes et propos choquants, encore moins la prégnance du sexe, de la violence… dans les productions audiovisuelles. Ce qu’on joue dans les séries est la triste réalité. Pourtant, on entend pire, quotidiennement, dans les émissions radiophoniques. C’est juste que le fait de regarder donne beaucoup plus d’importance, d’émotions. Toutefois, quoi qu’on puisse dire, la nouvelle génération essaie de mettre à nu certains faits sociaux. On est dans un village planétaire, et aujourd’hui, pour être suivi, il faut choquer. En conséquence, attendons-nous à voir pire», prévient Papis Niang.
DIFFERENCE DE MOTIVATION
Le réalisateur n’a pas manqué d’exhorter la nouvelle génération à s’inspirer des anciens acteurs et de leurs productions. «La vieille école, une véritable source d’inspiration ! Étant donné que ces acteurs misaient sur l’originalité, la passion, le professionnalisme, le respect des us et coutumes, la qualité des contenus audiovisuels etc… Au moment où cette nouvelle génération cherche un travail épanouissant pour s’enrichir. Il faut impérativement que les anciens encadrent la nouvelle génération, en prenant en compte cette différence de psychologie collective. Vu que ce qui était flagrant hier, peut ne pas l’être aujourd’hui. Nonobstant, il faut avouer que la vieille génération, quant à elle, a connu la précarité de l’emploi. Raison pour laquelle, ils sont plus cyniques vis-àvis de la société. Avec une telle différence de motivation, on peut, en effet, craindre la présence de conflit générationnel», conclut-t-il.
LAMINE NDIAYE, COMEDIEN ET ACTEUR : La nouvelle génération «joue la carte de la célébrité»
Lamine Ndiaye, comédien et acteur appartenant à l’ancienne génération, estime que les productions de la nouvelle génération ne relèvent pas du théâtre, encore moins du cinéma. Cependant il exhorte la jeune génération à revoir les castings, en mettant en avant les compétences artistiques, le savoir-faire du cinéma, afin de revaloriser ce métier noble. Mais aussi pour jouer efficacement sa partition dans la société à travers l’éducation, la sensibilisation…
«Ce qu’on fait, ce n’est pas du théâtre encore moins du cinéma ; c’est une sorte de captation. Etant donné que ces productions ne sont même pas filmées avec du matériel cinématographique. Mieux vaut l’appeler téléfilm. C’est en fait une sorte d’approche du cinéma», a d’emblée précisé le grand comédien, Lamine Ndiaye. Avant d’exprimer son insatisfaction sur la qualité des contenus, de l’écriture des textes des séries télévisées actuellement en vogue, en insistant sur la manière de jouer. «C’est plus ou moins désolant ! Je pense qu’à ce niveau, on devait dépasser ces genres de thèmes abordés presque dans toutes les séries qui, à mon avis, viennent bouleverser le monde théâtral. Et ces bouleversements ont causé pas mal de maux au niveau de la société. Ce qu’on voit dans les séries actuellement n’est nullement du théâtre. On peut même dire que ce sont des thèmes joués comme on le veut, on le sent. D’autant plus que les aspirations du peuple sénégalais dépassent même l’entendement de ces genres de thèmes. D’autant plus que nous les avions traité auparavant», se désole l’acteur. Pour lui, la nouvelle génération doit être sérieuse en matière de casting et recruter les professionnels. «La question qui se pose est : «est-ce que ceux qui jouent actuellement incarnent bien leurs rôles ?».
Dans la mesure où, maintenant, on prend n’importe qui. Disons qu’actuellement, est acteur qui veut. Généralement, ces acteurs de la nouvelle génération sortent des castings de complaisance, alors qu’en réalité, un sérieux casting est basé sur les compétences artistiques. Même moi, en tant que comédien, si je n’ai pas de place, je ne demande guère à ce qu’on me donne un rôle», tonne-t-il. Et d’indiquer qu’avec ce style de jeu, la nouvelle génération va à l’encontre de la vocation du théâtre. «On risque vraiment de dénaturer le théâtre et ce n’est pas avantageux pour le Sénégal. Notre pays a besoin d’être ancré dans sa culture, la définir comme elle se doit. Actuellement, on ne peint pas fidèlement les caractéristiques du pays, dans sa nature culturelle. On est en déphasage même avec nos exigences et nos valeurs. C’est comme si la nouvelle génération intègre notre métier pour se faire connaître uniquement. On voit des acteurs qui sont incapables de comprendre, de fond en comble, l’histoire de la série dans laquelle ils jouent. Et c’est désolant. Au lieu d’intensifier le jeu à juste titre et à juste raison, on joue la carte de la célébrité», déplore le comédien.