IL Y A UN DÉNI TOTAL DU PASSÉ COLONIAL PARMI LES POLITICIENS FRANÇAIS
La réalisatrice franco-marocaine Sofia Alaoui s’exprime sur la présidentielle française et partage ses convictions sur l’émancipation culturelle et l’identité berbère

Fille de diplomate, la réalisatrice et scénariste Sofia Alaoui a grandi entre Casablanca et Pékin. Inspirée par les rencontres qu’elle a faites au cours de ses voyages à travers le monde, elle a développé le goût de l’observation et de la narration. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est tournée vers le septième art. Après avoir obtenu son baccalauréat au lycée Lyautey de Casablanca, elle poursuit des études de cinéma à Paris, avant de revenir au Maroc pour ouvrir Jiango Films, sa propre société de production.
Sorti en 2016, son documentaire Les Enfants de Naplouse raconte le projet d’un atelier de cinéma dans l’un des plus grands camps de réfugiés de Cisjordanie. Deux ans plus tard, dans Kenza des choux, elle filme un groupe de jeunes dans une banlieue du Val-de-Marne. Mais depuis, le cinéma de Sofia Alaoui a pris une dimension nouvelle, presque onirique. Tourné dans un village de l’Atlas, son dernier court-métrage, Qu’importe si les bêtes meurent, est une fiction fantastique mettant en scène un berger qui tombe nez à nez avec une forme de vie extraterrestre. Entièrement écrit en berbère, il a remporté le Grand Prix du jury au festival du film de Sundance en 2020, puis le César du meilleur court-métrage de fiction l’année suivante.
Actuellement, la réalisatrice franco-marocaine est en plein montage d’un long-métrage, Parmi nous, qui devrait sortir à la fin de 2002. Jeune Afrique l’a rencontrée.
Jeune Afrique : En tant que Franco-Marocaine, quel rapport entretenez-vous avec vos deux pays d’origine ?
Sofia Alaoui : J’ai la chance de trouver ma source d’inspiration et d’écrire au Maroc. D’ailleurs, les films que je réalise se passent dans ce pays. Mais comme je revendique une dimension internationale, je travaille réellement entre les deux pays, à la fois à travers ma société de production basée au royaume et ma collaboration avec des partenaires français.
Je fais donc beaucoup d’allers-retours. Actuellement, je suis à Paris. La semaine dernière, j’étais à Casablanca, et la semaine prochaine, j’y retourne. Cela permet de regarder son pays différemment, en prenant de la distance, en observant mieux ses failles ou ses qualités. Cela m’apprend à mieux apprécier la France et le Maroc.
Allez-vous voter à la présidentielle française ? Que vous inspire le paysage français actuel ?
Je m’implique dans les deux pays. Donc je vais bien sûr voter à la présidentielle. Je ne suis pas surprise de la montée de la droite et de l’extrême droite, qui sont quand même très solides en France. Mais en même temps, je ne comprends pas trop. Ma double culture, mes voyages m’ont conduite à m’ouvrir aux autres. Ça a nourri mon développement. Donc ce rejet identitaire, je le trouve terrible. Il est totalement contre-productif.
J’ai la sensation qu’en France, il y a tout le poids du passé colonial. Certains politiciens sont dans le déni total. C’était pourtant il n’y a pas si longtemps que ça. Ce refus absolu du dialogue, je le trouve violent. Mais je pense que c’est aussi une question générationnelle et que ça va finir par éclore. Au Maroc, par exemple, on se détache de plus en plus de la France. Il y a de plus en plus de choses qui se font avec les pays africains. Le poids de la France diminue sur le continent et cela crée une forme de malaise existentiel du côté occidental.