IL FAUT S’ATTENDRE A UNE REMISE A NIVEAU DE L’ECONOMIE A PARTIR DE 2022
L’économiste Meissa Babou, enseignant à l'université Cheikh Anta diop de Dakar (ucad), revient dans cet entretien accordé à «L’As» sur la récession notée au Sénégal

L’économiste Meissa Babou, enseignant à l'université Cheikh Anta diop de Dakar (ucad), revient dans cet entretien accordé à «L’As» sur la récession notée au Sénégal. Il dit ne pas être optimiste pour une remise à niveau de l’économie dans les plus brefs délais, en espérant que les choses puissent se rétablir à partir de 2022.
«L’AS» : vous aviez annoncé au début de la pandémie Covid19 que nos économies seraient à terre. Aujourd’hui, les dernières estimations du gouvernement sénégalais font état d’une croissance négative autour de -0, 7%. Y-a-t-il moyen de stopper cette tendance baissière?
Meissa BABOU : La seule façon de stopper cette descente vers l’enfer est de mettre en place tout de suite un plan, non pas seulement de résilience parce que là, cela suppose qu’on va aider certaines entreprises qui sont dans la dèche. Mais au-delà d’un plan de résilience basé sur des subventions ou bien une politique de financements bancaires qui n’a pas encore donné de résultats, l’Etat doit mettre en œuvre un plan de relance qui ne sera rien d’autre qu’un PSE ou un PAP2 réorienté vers les conséquences néfastes que la Covid-19 nous a montrées et démontrées. Le gouvernement a mis en place un plan de relance ; mais je crois qu’il ne suffit pas tout simplement de relancer. Il faut réorienter et restructurer notre système économique qui est trop fragile. J’ai entendu le ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération internationale, Amadou Hott, dire qu’au-delà des prévisions d’environ 14 000 milliards, ils ont ajouté 740 milliards de F CFA sur le nouveau plan pour un redémarrage rapide des activités économiques à partir d’une base agricole. Mais à mon avis, ce n’est pas encore très clair parce que l’engagement dans les investissements sociaux a été le point faible du PSE. Aucun investissement de masse dans l’agriculture, la santé ou le système éducatif. Aucune université n’est sortie de terre, aucun hôpital aussi.
Par conséquent, je pense que pour nous mettre dans une croissance endogène, pour une économie franchement à la sénégalaise porteuse d’une croissance inclusive qui pourrait nous donner l’espoir d’une renaissance économique, il nous faut quand-même revoir toutes les copies. Et pour cela, la relance est un mot qui ne sied même pas. Il faut, à mon avis, une restructuration, à la limite une réorientation. Mais nous attendons de voir ce que le gouvernement va faire.
Cette situation ne démontre-telle pas la non-préparation de nos économies aux crises ?
Le constat est que notre économie n’a pas une capacité de résilience, c’est-à-dire recevoir des coups et se remettre. On n’a pas un socle économique nous permettant de faire de la résistance. La Covid-19 a suffisamment montré et démontré la fragilité de notre économie dans tous les segments. Je pense donc que c’est moins une non-préparation, mais surtout l’insuffisance des visions économiques que le Sénégal a développées depuis les Indépendances. Le Sénégal n’a jamais été pratiquement sur le bon chemin du développement. Vous ne pouvez pas quand même pendant plus de 50 ans vous mettre dans un système d’importation. Le Sénégal vit simplement à partir de l’extérieur. Si on fermait les frontières pour quatre mois, nous risquerions tous de mourir ensemble dans ce pays. Non seulement on n’aura pas quoi manger mais on n’a même pas la capacité de nous soigner. Avant la Covid-19, les fractures étaient visibles.
Par conséquent, il nous faut un rattrapage. C’est pourquoi j’ai utilisé tantôt un mot très fort. J’ai dit qu’il faut restructurer. Il faut un changement en profondeur avec beaucoup de réformes. C’est de cela qu’il s’agit. Ce n’est pas un train à l’arrêt qu’il faut redémarrer. Parce que déjà, ce train n’est pas sur les bons rails. Il nous faut revoir en fait les options de développement du gouvernement et du PSE et nous focaliser sur les besoins vitaux telle que l’alimentation, la santé mais aussi faire de sorte qu’on puisse avoir une école de qualité. Au moins pour protéger le Sénégalais de ces vicissitudes par rapport à un environnement changeant; parce que dès après-demain, une guerre mondiale peut éclater. Et donc comme une pandémie, nous risquons d’être enfermés dans ce pays là où on n’aura même pas de quoi manger. A mon avis, c’est cette fausse route que le Sénégal a toujours empruntée qu’il faudra changer et nous mettre sur une véritable voie de développement. Ces plans qui sortent dans une précipitation me pousse à dire qu’il ne s’agit pas simplement de mots ou de politique politicienne. Il nous faut être sérieux et engager le débat avec des cadres de qualité, un forum pour mettre une feuille de route adaptée en ce sens. Ce que j’appelle une nouvelle situation économique qui serait la tendance pour le PSE2 ou le PAP2.
Avec cette récession, à quoi on peut s’attendre comme répercussions immédiates sur la vie des Sénégalais?
Aujourd’hui, cette nouvelle donne, autrement, cette croissance extrême et négative de - 0.7% nous plonge directement dans une récession avec à la clef non seulement une baisse des recettes douanières et fiscales, mais surtout et le plus dramatique, un chômage massif. Ce sont donc des conséquences extrêmement graves pour un pays qui se cherchait un développement émergent. Il faut alors s’attendre à des difficultés. Et on sait que 43% des PME seront à terre et que toutes les entreprises qui ne sont pas à terre sont en difficultés. Face à ce tableau noir, l’Etat du Sénégal a besoin de moyens colossaux. Vu que nous avons pratiquement atteint la limite de notre endettement, on va se demander où on va trouver les fonds. Alors que pour restructurer, il faut absolument des moyens. Je ne suis pas optimiste pour en tout cas une remise à niveau dans les plus brefs délais. Peut-être que 2021 sera encore une année noire. Il faut s’attendre peut-être à une remise à niveau à partir de 2022.