LA COOPERATION MONETAIRE SEMBLE ETRE LA SOLUTION LA PLUS PRAGMATIQUE
Le projet de création d’une monnaie unique pour les quinze pays de la CEDEAO, initié en 1983, a connu de nombreux rebondissements. Ndongo Samba Sylla, directeur de la région Afrique de l’International Development Economics Associates (IDEAs) diagnostique

Le projet de création d’une monnaie unique pour les quinze pays de la CEDEAO, initié en 1983, a connu de nombreux rebondissements. Relancé dans les années 2010, son lancement a été maintes fois reporté, la dernière échéance étant fixée à 2027. Cependant, cette ambition semble compromise en raison d’un manque manifeste de volonté politique, de critères de convergence inadaptés et d’une monnaie potentiellement dominée par le Nigéria, diagnostique Ndongo Samba Sylla, directeur de la région Afrique de l’International Development Economics Associates (IDEAs).
S’attardant sur l’absence de volonté politique, le spécialiste du développement durable souligne que les États membres ne manifestent pas un engagement ferme en faveur du projet. Il rappelle que le Nigéria, principal acteur économique de la région, privilégie la résolution de ses propres défis internes plutôt que l’intégration monétaire. Comme l’affirmait le président Muhammadu Buhari en 2017 : « Une monnaie unique régionale ne saurait voir le jour tant que le franc CFA demeure sous la tutelle du Trésor français. » Or, selon Sylla, « les pays utilisant le franc CFA n’ont pas manifesté une volonté réelle de rompre avec cette tutelle ».
De surcroît, la réforme monétaire annoncée en 2019 par Emmanuel Macron et Alassane Ouattara s’est révélée purement symbolique. Bien que le compte d’opérations ait été supprimé, les dépôts correspondants ont été convertis en titres de dette libellés en euro, se résumant ainsi à un simple transfert de fonds d’une poche à l’autre. De plus, l’annonce, en 2020, d’un changement de nom du franc CFA en ECO, sans consultation des autres pays de la CEDEAO, a engendré confusion et méfiance, notamment du côté nigérian. En l’absence de confiance mutuelle, la mise en place d’une union monétaire efficace demeure incertaine.
DES CRITERES DE CONVERGENCE INADAPTES
Les critères de convergence exigés pour l’adoption de l’ECO constituent un obstacle de taille. Directement inspirés des standards de la zone euro, ils se révèlent difficilement applicables aux États africains, dont les économies reposent largement sur l’exportation de matières premières. L’incapacité des pays de la CEDEAO à remplir durablement ces exigences, exacerbée par la crise de la dette, complique davantage la situation. Comme le souligne Sylla, « en économie, la règle n’est pas la convergence, mais plutôt la divergence ». Imposer ces critères comme condition préalable à l’unification monétaire reviendrait ainsi à condamner le projet d’avance.
UNE MONNAIE SOUS INFLUENCE NIGERIANE ?
Si l’ECO venait à voir le jour, il refléterait inévitablement la prédominance économique du Nigéria, ce qui soulève des interrogations quant à l’équilibre régional. « Une éventuelle monnaie ECO ne serait qu’un naira rebaptisé », estime Ndongo Samba Sylla, qui a coordonné en 2021 un bulletin du Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA) sur l’intégration monétaire en Afrique de l’Ouest. Or, le naira souffre d’une inflation galopante et d’une forte dépréciation. Si l’ECO avait été instauré en 2020, il aurait vraisemblablement subi le même sort, compromettant ainsi la stabilité économique de la région.
VERS UNE ALTERNATIVE PLUS REALISTE ?
Face à ces défis, l’unité monétaire apparaît de plus en plus comme une chimère. Selon Sylla, « une monnaie unique n’a de sens que dans le cadre d’un système politique fédéral ». À défaut d’une telle structure, la coopération monétaire demeure la solution la plus pragmatique. Un système de paiements inter-africain permettrait aux États de commercer sans recourir aux devises occidentales, tout en préservant leur souveraineté monétaire.
Ainsi, loin de constituer un levier d’intégration régionale, l’ECO risque de rester une illusion pour les populations ouest africaines. Le véritable enjeu réside désormais dans l’élaboration d’une coopération monétaire mieux adaptée aux réalités économiques et politiques du continent.