LA FILIÈRE LAITIÈRE SE NOIE SOUS LES EXCÉDENTS DE LAIT EUROPÉENS
Avec la crise du Covid-19, la flambée des stocks de lait en poudre importé, qui inondent déjà le marché sénégalais depuis 2018, va encore fragiliser les producteurs locaux

En cette saison des pluies, à la mi-juillet, la dizaine de vaches de Michel Doudou Sène pâture toute la journée dans la brousse redevenue verdoyante des environs de Kaolack, à 200 kilomètres à l’ouest de Dakar. Mais le soir venu, à l’étable, seules quelques-unes passeront à la traite. L’éleveur sénégalais se désole : « Nous limitons la production car nous peinons à l’écouler. Les clients préfèrent le lait en poudre importé, moins cher et plus facile à trouver. » Pour s’aligner sur le prix des importations, Michel Doudou Sène a dû baisser le tarif du litre de lait de 700 à 500 francs CFA (de 1 euro à 75 centimes). « Pourtant, notre lait est de meilleure qualité ! Mais il est aussi plus cher à produire », s’agace-t-il, en regardant avec désespoir ses trois génisses sur le point de mettre bas.
Au Sénégal, le lait en poudre représente 84 % des importations de lait, majoritairement en provenance de l’Union européenne (UE). « Depuis 2018, nos marchés sont inondés par des stocks sans précédent de l’UE, qui concurrencent notre lait local », résume Fatou Cheikh Ndione Sané, directrice des industries animales au ministère de l’élevage.
Une situation qui risque d’être encore amplifiée par les excédents de stocks de poudre de lait européens constitués lors de la crise du Covid-19, alors que la demande en produits laitiers s’effondrait sous l’effet des confinements. Ces surplus ont toutes les chances d’être déversés en Afrique de l’Ouest, au risque d’affaiblir durablement des filières laitières déjà fragiles et peu structurées.
Les moyens de l’autosuffisance
« Nous sommes préoccupés par la situation des éleveurs, et surtout des femmes qui composent la majorité de ce secteur », alerte Khar Ndiaye, directrice des programmes pour Oxfam Sénégal. Le lait importé, de faible qualité nutritionnelle, est 30 % moins cher que le lait local grâce aux subventions de la politique agricole commune européenne, fait valoir Mme Ndiaye. Dans ces conditions, les producteurs sénégalais ne peuvent guère résister à la concurrence, pâtissant déjà de la faible productivité de leurs vaches, du prix élevé des aliments de bétail et d’un circuit logistique compliqué.
Pourtant, avec 3,9 millions de bovins sur territoire – parmi lesquels 70 % de femelles dont la moitié est en âge de produire du lait –, le Sénégal a les capacités d’être autosuffisant. L’un des enjeux est d’arriver à acheminer le lait local des zones de production aux unités de transformation puis aux points de vente. Pour y parvenir, « nous sensibilisons au changement des habitudes de consommation », explique Mme Ndiaye.