L’ÉCONOMIE EST PRISE EN OTAGE PAR LES POLITIQUES
Économiste chevronné, l’ancien candidat à l’élection présidentielle en Guinée-Bissau entend toujours rappeler qu’il est issu d’une lignée dévouée au mouvement de libération ayant conduit à l’indépendance.

Économiste chevronné, l’ancien candidat à l’élection présidentielle en Guinée-Bissau entend toujours rappeler qu’il est issu d’une lignée dévouée au mouvement de libération ayant conduit à l’indépendance. Après un passage dans l’administration, à la planification stratégique puis aux finances, il fait cap sur Washington, pour la Banque mondiale. Président de Constelor Investment Holdings, Gomes qui siège au conseil d’administration de plusieurs sociétés a choisi Emedia pour s’exprimer sur les questions qui préoccupent son pays, l’Afrique et le monde. Entretien.
M. Paulo Gomes, on vous colle souvent l’étiquette du panafricaniste, à cheval sur les idéaux défendus par Amilcar Cabral. Partagez-vous une telle perception ?
Je suis très passionné par tout l’agenda panafricain. Je suis né en quelque sorte dans cela. D’abord je vous remercie de cette opportunité de pouvoir échanger avec vos lecteurs et autres. Très tôt, dès mon enfance, j’ai eu le privilège d’être dans une école pilote qui a été créée par A. Cabral, Lama et autres. On nous a inculqué cette culture panafricaine très tôt. Donc, ça m’a suivi dans tout mon cursus éducatif et carrière professionnelle. À chaque fois qu’il s’agit d’agréger les africains autour d’une cause, ou d’une entreprise, j’ai tendance à être appelé et je saute immédiatement sur l’opportunité. C’est ce qui me fait courir. Une passion pour l’Afrique, une Afrique intégrée.
Vous faites le tour du monde et qu’est-ce que cette universalité vous a apporté ?
Énormément. C’est beaucoup d’opportunités et beaucoup de chance. Je dis toujours on m’attire par la carrière internationale ou disons par la carrière tout court. Il faut aussi beaucoup de chance. Si vous n’êtes pas chanceux au point de rencontrer la personne qu’il faut, ou d’être à la place qu’il faut à un moment donné, vous n’aurez pas toute cette bande passante que je dirais d’opportunités. (…) Il faut garder la tête froide et être assez humble dans ses rencontres et aussi de privilégier l’esprit d’équipe dans le cadre d’une carrière. Ça m’a rapporté énormément et j’essaye de le partager avec les plus jeunes aujourd’hui.
Les sanctions financières et économiques contre le Mali viennent d’être levées. Quelle réflexion vous inspire cette décision prise par la CEDEAO vis-à-vis du Mali ?
Je pense que c’est utile. Il faut toujours privilégier le dialogue parce que c’est le meilleur tunnel pour la prise de décision. Je pense que ne pas avoir le Mali qui est l’épicentre du grand empire panafricain occidental est une chose qui va peser négativement sur tous les autres pays. C’était un aspect important et je dis aussi que les questions politiques ont pris le dessus sur la CEDEAO. Le fort de la CEDEAO c’était sa capacité de pousser l’agenda économique d’intégration. C’était un exemple pour tous les autres. Malheureusement l’agenda politique est en train de ronger toute l’énergie que cette institution avait. Vous savez que la crise économique que nous vivons au niveau mondial fait que nous n’avons ni les outils, ni les institutions pour pouvoir gérer cette crise mondiale. C’est donc l’opportunité de regarder la CEDEAO dans le sens d’avoir de nouveaux outils et un nouveau cadre institutionnel qui permettent de ne pas phagocyter totalement l’aspect économique en quelque sorte. Ce qui va permettre de résoudre les grands problèmes.
Quand vous parlez de nouveaux cadres institutionnels, faut-il entendre une réforme de la CEDEAO ?
Je n’ai pas pu réfléchir à tous les outils mais ce qui est sûr, que ce soit les institutions de Breton Wood ou même les Nations unies, le nouveau cycle d’instabilité et d’incertitude nous poussent à devoir avoir de nouveaux instruments et de nouvelles institutions parfois à l’intérieur des institutions existantes, mais nous sommes obligés d’y aller. S’agit-il d’inventer l’avenir comme le disait Sankara ? Il s’agit en quelque sorte de le faire puisque le monde a beaucoup changé, la technologie a beaucoup accéléré et tout ce qui est économie de la vie est en train de défier de plus en plus la santé et l’éducation. Donc, il s’agit de prendre du recul. Nous ne prenons pas assez de recul parce que nous sommes dans une dynamique de réunions constantes qui sont fixées à des calendriers précis. On ne prend pas le temps de faire un pas en arrière pour réfléchir à faire les choses autrement. Il faudra qu’on ait cette attitude parce que des crises il y en aura.
Comment parvenir à mettre la CEDEAO à l’abri des agendas des contingences politiques ?
Parfois vous pouvez le faire en créant des spots d’innovation à l’intérieur d’une organisation pour pouvoir protéger un nombre de personnes et d’individus et peut-être même de dirigeants pour qu’ils puissent être dans une dynamique de réflexion qu’ils ne soient pas complètement happés par l’actualité ou les crises. Il s’agit pour la CEDEAO maintenant d’apprendre à gérer des crises. Nous devons créer des instruments à l’intérieur puisque nous savons qu’il y aura des crises sanitaires, politiques, etc. Donc, il faut avoir des instruments nouveaux de gestion des crises. Et ça sera la force d’un continent qui a plus d’un milliard de personnes et qui est très résilient. La crise de Covid nous a montré que nous avons une capacité de pouvoir gérer des crises. Mais il faut que nous puissions reprendre cet état d’esprit et cette organisation au sein de la plupart de nos organisations. Donc, une réforme indispensable y compris aussi dans nos propres pays.
Vous parlez de gestion de crises, avant même, il y a prévention, il y a également la résolution. Comment arriver à une station beaucoup plus stable ?
Pour parler de façon imagée, ce sont des ingrédients qui nous sont spécifiques qui ne sont pas toujours utilisés. Cabral disait que notre lutte armée est un acte culturel. Beaucoup de gens n’arrivaient pas à comprendre pourquoi, il disait ça alors que nous étions dans le maquis en utilisant des armes pour pouvoir combattre pour notre libération. Je crois qu’il nous manque cette partie de l’équation culturelle à introduire dans notre recherche de solutions. Nous sommes trop économicistes, peut-être, un peu trop basés sur le système institutionnel que nous avons appris ou importé du système colonial. Tant que nous n’arrivons pas à mettre ces aspects culturels et l’état d’esprit qui nous sont propres en tant qu’Africains, nous aurons du mal à trouver des solutions. Nous voulons rattraper les autres qui nous ont donné ce cadre institutionnel alors que nous n’avons pas besoin de les rattraper. Nous avons ce problème, mais nous ne voulons pas le reconnaître.
La CEDEAO, c’est aussi la monnaie unique, l’Eco, en perspective. Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour y arriver ?
C’est toute la question des priorités. Est-ce que c’est vraiment la monnaie qui est la plus grande priorité ? Ou est-ce qu’il s’agit du mouvement des biens et des personnes ? Est-ce que c’est l’adaptation des politiques publiques pour notre environnement ? Est-ce que si nous avons une monnaie propre on aurait pu faire ce que les autres pays ont fait à la sortie du Covid-19 ? C’est-à-dire, de pouvoir utilisé l’équivalent de 20% de leur PIB en imprimant leur propre monnaie. C’est ce qui s’est passé au Japon, aux États-Unis. Ils ont carrément fait la photocopie de leur monnaie pour relancer leur économie.
Vous êtes partisan de l’Eco ?
Je suis partisan de tout ce qui touche l’intégration. C’est là où je prends mon énergie et ma passion qui me permettent, parfois de faire face aux frustrations que je pourrais avoir dans mon propre pays. Mais il faut se poser la question de savoir si la monnaie est la plus grande priorité dans cet exercice qui nous mènera vers l’intégration. Cette monnaie au niveau de l’Afrique de l’Ouest, si le Nigeria ne sera pas en première ligne, elle ne se fera pas. Ou si elle se fait, ça sera à plusieurs vitesses. Et là, je ne sais pas si nous aurons les mêmes résultats.
Avez-vous l’impression que le Nigeria n’est pas très chaud vis-à-vis de l’Eco ?
Il faudra voir. Le seul défi est que le Nigeria est un grand pays. J’ai travaillé avec eux pour monter Africa Finance Corporation qui est aujourd’hui une grande institution au niveau de l’Afrique qui a un bilan de 19 milliards de dollars et pour lequel le premier pays membre après le Nigeria, c’est la Guinée-Bissau. Cette institution a un rôle important dans le financement des infrastructures nigérianes. Encore une fois, je crois que le Nigeria, il faudra le scanner en fonction de ses réalités. Ils vont maintenant aux élections, tous ce que vous mettez sur la table, les pouvoirs publics ou les acteurs publics du Nigeria, dans les prochains mois, ils ne regarderont pas, ils ne s’y intéresseront pas. Donc, il y a le contexte. Il y a le calibrage des priorités, à mon avis, pour ce qui est de la monnaie, il faudrait que le Nigeria soit totalement impliqué. Peut-être qu’il est impliqué, je n’ai pas tous les éléments. Mais il faudrait qu’il soit engagé à fond pour la réussite de la monnaie.
À côté du Nigeria, on semble soupçonner le Sénégal et la Côte d’Ivoire de ralentir le processus. Est-ce que vous avez cette impression ?
Je n’ai pas les éléments pour apprécier cela. Je connais peut-être mieux l’environnement sénégalais que celui ivoirien, sur le point de vue de l’état d’esprit des acteurs politiques. Est-ce que les Ivoiriens voudraient le ralentir parce qu’ils ont un positionnement fort au niveau du CFA ? Le Sénégal quel serait son intérêt ? Vous savez, je crois fortement que les deux pays comprennent qu’il y a une urgence. Et qu’il n’y aura jamais de Sénégal fort et de Côte d’Ivoire forte sans le reste de l’Afrique de l’Ouest. Donc, ça ne pourrait être qu’un élément temporaire de puissance. Elle sera vraiment solide et soutenable que si les autres pays adhèrent.
L’Eco doit-elle être aujourd’hui une grande priorité pour la CEDEAO ?
Je me pose encore la question de savoir si ça devrait être la priorité.
Pourtant en écoutant des panafricanistes et même des activistes, ils disent que tout notre problème c’est la monnaie. Vous n’avez pas cette perception ?
Les activistes et les réseaux ont tendance à payer tout le monde dans le même débat. Et parfois le plus facile. Mais est-ce que l’on se pose parfois la question de savoir pourquoi on a autant d’instabilités politiques dans nos pays ? Et quelles sont les raisons ? Est-ce que, c’est le fait du cycle électoral qui fait que les gens sont tendus ? Est-ce que, c’est le fait d’un système qui nous permettrait de mieux partager le pouvoir ? Les questions qui permettraient de mieux résoudre les différences qui peuvent être liées à des nations ou des États où les populations pensent encore à la loyauté éthique plus forte que celle à l’État.
On va fermer la thématique institution sous régionale. La CEDEAO, il y a quand même le Président Mballo de la Guinée-Bissau qui est maintenant Président en exercice de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Qu’est-ce que la Présidence de la Guinée-Bissau peut apporter à la CEDEAO et peut-on penser aussi que c’est le retour de votre pays sur la scène internationale ?
J’ai pu féliciter le président et la ministre des Affaires étrangères pour ça, parce que c’est bien, mais comme dit Cabral « l’indépendance, pourquoi faire ? » Mais tout dépendra de ce que nous allons en faire, mais je lui souhaite bonne chance, pour ce mandat qui dure un an, mais je pense que la Guinée-Bissau a pas mal de choses à proposer dans ce processus. Comme par exemple sur cet équilibrage des réformes, puisque nous rentrons dans une période longue de crises successives.
Vous allez y aider ?
Je pense que suis toujours utile pour mon pays, mais il s’agit de savoir exactement comment on vous le demande et comment vous pouvez être utile.
Quelle évaluation faites-vous de l’exploitation commune du pétrole entre la Guinée-Bissau et le Sénégal, à travers l’agence de gestion et de coopération ?
Pour vous dire la vérité, je n’ai pas les informations sur ce dossier qui suscite beaucoup de passions dans mon pays.
Comme récemment cet accord signé en octobre à Dakar qui consacre 30% pour la Guinée- Bissau, 70% pour le Sénégal, ça été rejeté par le parlement de la Bissau-Guinée ?
C’est gênant de voir que ça entraîne tellement de passion. Parce que nous avons des choses, un potentiel qui peuvent nous permettre d’avancer plus vite. Je ne crois pas que c’est le pétrole qui va changer structurellement la Guinée-Bissau. Nous avons une zone économique exclusive énorme avec beaucoup de ressources halieutiques. Nous avons des terres qui sont exceptionnelles dues à la nature du microclimat. Donc, c’est l’agriculture, la pêche et certainement les ressources humaines. Parce que, nous avons une diaspora énorme. Je pense que ça appartient à nos dirigeants de se concentrer sur ce qui est plus important, mais, je n’ai pas les éléments. Je ne sais pas maintenant ce qui se passe, mais encore une fois, c’est un débat que je ne suis pas parce que, je ne pense pas que c’est la priorité pour notre pays maintenant.