NGOZI OKONJO-IWEALA, L’AFRICAINE QUI VEUT SORTIR L’OMC DE L’ORNIERE
Première femme à diriger l’Organisation mondiale du commerce, la Nigériane de 66 ans devra s’employer à lui redonner son lustre.

Première femme à diriger l’Organisation mondiale du commerce, la Nigériane de 66 ans devra s’employer à lui redonner son lustre.
C’est le grand jour pour Ngozi OkonjoIweala. Après avoir reçu le soutien de l’administration Biden, cette économiste, ancienne ministre des Finances et des Affaires étrangères du Nigeria, a pris ce lundi la tête de l’Organisation mondiale du commerce consciente de l’urgence qui l’accompagne. « Le monde ne peut pas continuer à attendre », dit elle comme pour condamner le temps d’attente qu’a imposé l’administration de Donald Trump qui ne la voulait pas à la tête de cette organisation internationale dédiée au commerce mondial. Maintenant que sa concurrente, la ministre sud-coréenne du Commerce, Yoo Myung-hee, s’est retirée, la voie est libre.
Sa première mission : tirer l’institution de sa crise quasi existentielle et ramener de la confiance autour de l’OMC dans une atmosphère de défiance au multilatéralisme. « L’arrivée de Christine Lagarde au Fonds monétaire international constituait déjà un symbole fort pour les femmes. Là, nous avons de nouveau une femme, une Africaine, qui prend la tête d’une institution à l’allure assez machiste jusqu’à présent », commente Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur et fin connaisseur du continent africain.
LES DERNIERS METRES VERS LA DIRECTION DE L’OMC
Tout commence en août dernier, après la démission du Brésilien Roberto Azevedo un an avant la fin de son mandat pour raisons familiales. Les pays membres de l’organisation née en 1995 à la suite des accords de Marrakech, au Maroc, apportent majoritairement leur soutien à la candidature de Ngozi Okonjo-Iweala, économiste qui a passé vingt-cinq ans à la Banque mondiale. Il manque cependant un soutien de poids : les États-Unis alors présidés par Donald Trump. Arguant du « manque d’expérience » de la Nigériane en matière de commerce mondial, le négociateur en chef de l’administration de l’ex-président n’hésite pas à dire que « l’élire serait une erreur ». Heureusement pour Ngozi OkonjoIweala, la dernière présidentielle américaine a permis l’élection de Joe Biden, un président démocrate avec une autre vision à l’opposé de celle de Donald Trump par rapport au multilatéralisme et à un organisme comme l’OMC. Pressée de tenir sa promesse de relancer la coopération internationale, la nouvelle administration a levé l’hypothèque qui pesait sur la candidature de la Nigériane, récemment devenue citoyenne américaine. Cela dit, peut-on dire qu’elle arrive finalement en force à la tête de l’Organisation mondiale du commerce ? « Oui et non, répond Pierre Jacquemot.
Sa nomination a été possible parce que Joe Biden a gagné les élections et qu’il y a eu un consensus autour de sa candidature alors que Donald Trump s’y opposait pour des raisons inavouables, c’est un avantage. Mais elle arrive en face de vents contraires, nuance l’exambassadeur. « En réalité, le contexte n’est pas si différent de ce qu’ont connu ses prédécesseurs. Maintenant, il va falloir qu’elle essaie de faire évoluer son institution vers plus de solidarité internationale, plus d’entraide. Son analyse de la situation doit être fine afin de prendre davantage en considération la situation des pays pour lesquels un repli protectionniste, provisoire et intelligent peut constituer un élément de la solution de sortie de crise pandémique, avance l’expert.
UN SACRE DEFI A RELEVER POUR NGOZI OKONJO-IWEALA
Il faut dire qu’il n’y a plus de temps à perdre tant les chantiers sont nombreux. En interne, on n’arrête pas d’expliquer que l’institution a besoin de changements significatifs tant la présidence de Trump lui a fait de nombreux torts. À cause de certains de ses actes, comme le refus d’autoriser la nomination de nouveaux juges, ce qui a mis à mal le système d’appel propre à l’OMC ainsi que sa capacité à régler les différends commerciaux bien utiles dans une situation de polarisation hostile comme on a pu le voir entre Washington et Pékin, l’OMC a pratiquement été mise à l’arrêt ces derniers mois. Et les règles d’unanimité pour approuver une décision ont aussi montré leurs limites pour cette organisation dont le siège est à Genève. Une chose est sûre. La marge de manœuvre de Ngozi Okonjo-Iweala est étroite tant les attentes sont importantes de toutes parts, y compris et surtout de l’Afrique. De prime abord, l’exposé qu’a fait la Nigériane de sa vision de la gouvernance ne met pourtant pas le continent au premier plan, si ce n’est de manière induite et liée à des restructurations de l’organisme.
À la mi-octobre, Ngozi Okonjo-Iweala avait indiqué vouloir se donner deux priorités pour montrer que l’OMC est indispensable : d’abord, un accord sur les subventions de la pêche, qu’elle entend pouvoir présenter à la prochaine conférence ministérielle de l’organisation ; ensuite, la refondation de l’organe de règlement des différends – le tribunal de l’OMC –, en état de mort cérébrale depuis son torpillage par l’administration Trump. Elle a aussi récemment appelé l’OMC à se concentrer sur la pandémie au moment où les membres de l’organisation sont divisés quant à l’approche à avoir face à une éventuelle exemption des droits de propriété intellectuelle sur les traitements et vaccins anti-Covid.
Autrement dit, au moment où la question de la facilité de l’accessibilité aux vaccins est clairement posée. « L’OMC est en panne depuis une dizaine d’années, commente Pierre Jacquemot. Cette institution promeut la baisse des droits de douane à l’échelle de la planète et le libre-échange généralisé. Or on assiste depuis une dizaine d’années, et cela s’est accentué sous la présidence de Trump, à une montée du protectionnisme, en particulier entre pays occidentaux, et donc à la restauration d’entraves aux échanges, que ce soit les droits de douane ou les barrières non tarifaires pour des raisons sanitaires ou d’autres.
Deuxièmement, il y a une montée en puissance des organisations régionales. C’est-à-dire un libre-échange non plus à l’échelle universelle, mais entre groupes de pays qui adhèrent à des règles communes, à l’instar évidemment de l’Union européenne, mais également d’autres régions du monde, que ce soit en Amérique latine, en Asie et, depuis peu, en Afrique avec la Zlecaf. »
Une règle impose le silence au patron de l’OMC sur les accords commerciaux bilatéraux ou régionaux. « C’est toute une série de prismes qui prend un sacré coup de vieux sous l’effet de la pandémie de Covid-19. Et qui risque d’imposer des phénomènes de repli soit à l’échelle nationale, soit à l’échelle régionale pour pouvoir se prémunir contre de nouveaux risques », poursuit-il. « Pour les pays africains, à côté du problème de la dette, il y a le constat d’une aggravation très forte du non-développement et des situations critiques en particulier avec l’arrivée de 5 millions de pauvres supplémentaires dans un continent qui comprenait déjà un nombre important de personnes qui vivaient sous le seuil de pauvreté », souligne Pierre Jacquemot.
Pour contourner ces difficultés, Ngozi Okonjo-Iweala a-t-elle trouvé la parade ? Elle a, en tout cas, plongé dans les travaux plus confidentiels de l’OMC sur le commerce électronique, la facilitation des investissements pour le développement, la réglementation intérieure des services ou le commerce et l’autonomisation économique des femmes. Peut-être sont-ce sur ces points cruciaux qu’elle obtiendra des résultats. Une chose est sûre : ils sont à forte répercussion sur le quotidien d’un grand nombre de personnes et concernent tous les continents, à commencer par le sien, l’Afrique. « Aujourd’hui, je pense sincèrement que l’OMC a une très grande chance d’avoir à sa tête cette dame d’exception, dit Mohamed Abba Ould Sidi Ould Jeilany, ancien inspecteur général d’État mauritanien, à l’origine de la pétition soutenant la candidature de Ngozi OkonjoIweala à la tête de la Banque mondiale en 2012. C’est l’Américain Jim Yong Kim qui avait obtenu le poste, malgré l’appui du président de l’institution à l’époque, Robert Zoellick, dont elle était le numéro deux. Ce consultant se souvient de sa rencontre avec Ngozi Okonjo-Iweala en 2008 et surtout de ses initiatives dans la lutte contre la pauvreté.
Au-delà de quelques appréciations individuelles, du soutien actif du chef de l’État nigérian Muhammadu Buhari, dont Ngozi n’était pourtant pas le premier choix, des acteurs économiques de premier plan, comme le président de la Banque africaine de développement, Akinwumi Adesina, ou l’homme d’affaires nigérian Aliko Dangote, Ngozi Okonjo-Iweala a bénéficié d’un certain activisme nigérian très connu dans le milieu des organismes internationaux lorsqu’il s’agit de truster les postes internationaux.
ET L’AFRIQUE DANS TOUT ÇA ?
Si l’origine africaine de Ngozi OkonjoIweala estremarquée, il y a lieu de noter que les statuts de l’OMC ne prévoient pas de rotation géographique pour le poste de directeur général. Cela n’empêche pas que des voix se sont élevées ces dernières années en faveur de la nomination d’un(e) Africain(e) à la tête de l’organisation. Avant d’affronter la Sud-Coréenne Yoo Myung-hee, Ngozi Okonjo-Iweala a, comme qui dirait, gagné des primaires africaines. Elle a en effet été en compétition avec deux diplomates, d’abord l’Égyptien Abdel-Hamid Mamdouh, ensuite Amina Mohamed, ministre kényane des Sports. La Nigériane a réussi à tirer son épingle du jeu en ralliant l’Union africaine mais aussi l’Union européenne à sa candidature. Il faut dire que, pure économiste doublée d’une fine stratège dans l’art de gérer, de communiquer, la Nigériane a su jouer de l’admiration et de l’adhésion de ses compatriotes, de sa connaissance parfaite des États-Unis, où elle a étudié et vécu de longues années avant d’en devenir citoyenne en 2019, et de sa parfaite maîtrise du français. « Et pour cause, née le 13 juin 1954, à Ogwashi-Ukwu, dans le delta du Niger, en pays Igbo, Ngozi Okonjo-Iweala navigue dans les arcanes du monde économique depuis plus de quarante ans », explique au bout du téléphone Olivier Lafourcade, son patron à ses débuts à la Banque mondiale. Elle avait à peine 25 ans.
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