«POURQUOI LE TOURISME SENEGALAIS PEINE A DECOLLER…»
Doudou Gnagna Diop, président de l'organisation nationale pour l'intégration du tourisme sénégalais (Onits)

L e tourisme sénégalais continue à battre de l’aile. La présente saison touristique confirme la morosité d’un secteur qui peine à jouer son véritable rôle dans l’économie nationale. La faute. Un système de pilotage à vue qui pousse le président de l’Organisation nationale pour l’intégration du tourisme sénégalais (ONITS), Doudou Gnagna Diop, à lancer encore un cri de cœur pour sauver ce secteur. Son intime conviction, c’est que le ministère du Tourisme et l’Agence nationale de promotion touristique ont échoué en privilégiant l’extérieur au détriment du tourisme intérieur et surtout en oubliant qu’il n’est pas du ressort de l’Etat surtout du ministère du Tourisme de vendre la destination Sénégal. Celle-ci doit être l’apanage du secteur privé national. Ce professionnel demande la disparition du ministère du Tourisme et son remplacement par un secrétariat d’Etat rattaché à la présidence de la République qui mettra l’accent sur le tourisme intérieur axé sur la valorisation des potentialités des terroirs... Entretien
Le Témoin - La présente saison touristique est décrite comme morose. Confirmez-vous un tell diagnostic en tant qu’homme de terrain ? Et si oui, comment expliquez-vous une telle morosité ?
Doudou Gnagna DIOP - il y a une part de vérité dans ce constat. Dans les petites structures, notamment les petits hôtels, il y a une baisse notoire de fréquentation durant cette saison touristique. Peut-être que dans certains endroits comme à Saly, il y a des hôtels qui marchent. Mais d’après les échos que j’ai des autres collègues au niveau de st-Louis et de la Casamance, en particulier, la fréquentation est en baisse pour cette saison touristique. Comment cela s’explique-t-il ? Je ne vois l’explication que dans la manière dont on fait la promotion du Sénégal qui n’est pas adaptée par rapport au contexte. on fait une promotion étatique pratiquement parce que c’est le ministère ou l’agence de promotion touristique qui a la clé à la main pour vendre la destination Sénégal. Alors que ce n’est pas leur rôle. La destination Sénégal doit être vendue par des privés en premier lieu puis la Promotion touristique les accompagne. Dans tous les pays du monde cela se passe comme ça. L’état est là pour faciliter et pour réglementer. Il y a aussi le fait que la promotion est centralisée. Les localités n’ont pas accès aux marchés émetteurs. Alors que ce qu’il fallait, c’est que les localités, les régions touristiques soient indépendantes et qu’elles se dotent de moyens pour faire leur propre promotion touristique. Dans chaque région, il faut un champion qui connait les diversités, les spécificités touristiques ainsi que les opportunités pour pouvoir commercialiser les localités ou les terroirs. En fait ce n’est pas seulement l’hôtel qu’on vend. on vend les paysages, les pôles d’attraction, l’attractivité. Au Sénégal, on n’est pas encore arrivé à ce niveau, et c’est d’ailleurs mon cri du cœur depuis 30 ans. On doit transférer les compétences du tourisme comme c’est le cas dans tous les pays touristiques du monde, pour que cela puisse marcher. Tant qu’on ne le fait pas, on assistera toujours à cette situation non performante vécue actuellement.
Transférer le tourisme, et notamment la promotion, vers les localités demande quand même toute une stratégie. Quel système doit accompagner une telle mutation importante ?
Transférer les compétences, c’est d’abord donner le pouvoir aux autorités locales et aux professionnels locaux de pouvoir s’organiser entre eux pour aller vers les marchés émetteurs avec les moyens qu’on récupère des taxes de promotion touristique et de la tva orientée vers le trésor. Toute cette manne financière est reversée pour qu’ils aient les moyens de faire leur promotion. Je pense que cela manque. tant qu’on n’a pas transféré les compétences, tout va être centralisé au ministère c’est-à-dire à la tutelle qui, à priori, organise la commercialisation des produits au Sénégal en connivence avec l’agence de promotion touristique, c’est qui fait que cela foire. il n’y a pas d’efficacité. D’ailleurs, on entend dire dans les réseaux sociaux que le ministère a dépensé énormément d’argent. Parce tout est centralisé entre les mains du ministère qui décide du tout. Ce n’est pas à l’état de faire la promotion du tourisme !
Justement, au dernier salon du tourisme de Paris, beaucoup d’argent aurait été dépensé, une délégation pléthorique ayant accompagné le ministre du Tourisme Alioune Sarr. Une telle démarche a été fortement décriée par les professionnels. Qu’en pensez-vous ?
Ecoutez, il y a un problème d’orientation de la politique touristique dans notre pays ! si ce que l’on raconte et qui s’est passé au salon du tourisme à Paris s’avère être vrai, alors c’est récurrent. a chaque salon du tourisme, il y a des sommes exagérées dépensées à faire la promotion de quelques hôtels, mais pas de la destination Sénégal en général. Parce que la petite structure qui est aussi capable d’accueillir 50 voire 100 personnes à l’intérieur du pays est en marge de ces promotions alors qu’elle devait en faire partie. Ces pratiques sont récurrentes parce qu’il y a à chaque fois des tâches d’ombre sur la façon de vendre la destination Sénégal. Personnellement, j’ai été toujours contre cette façon de faire. Je vais au salon du tourisme depuis fort longtemps, du temps de Deauville, je pense les acteurs et les professionnels ne diront pas le contraire. J’ai toujours dit que le ministère du tourisme n’a pas sa raison d’être, il faut un secrétariat d’état au tourisme rattaché à la Présidence et qui soit représenté dans chaque région du Sénégal pour une décentralisation parfaite avec une autonomie et des moyens pour chaque localité ainsi qu’un champion sur place pouvant promouvoir ces localités.
L’Agence de promotion touristique brille par son manque d’efficacité et d’utilité malgré les moyens dont elle dispose. Comment expliquez-vous cela ?
Cette agence de promotion touristique est dirigée vers les marchés émetteurs. elle ne s’occupe même pas du marché intérieur. et pourtant, le tourisme intérieur peut représenter 50 % de notre valeur ajoutée. Ce n’est pas le cas parce qu’on le minimise et on ne lui donne pas de la valeur. La raison se trouve dans le fait qu’il n’y a pas d’attractivité organisée. Les petits producteurs comme nous, on ne compte pas alors que ce devait être l’inverse. un pays ne peut pas être touristique si son peuple n’est pas impliqué. C’est le cas du Sénégal. Le ministre du tourisme dès qu’il est nommé, son premier souci, c’est d’aller dans les salons à l’étranger pour contracter des trucs pas possibles. Nous devrions commencer par nous. C’est ce que j’ai fait personnellement en organisant le salon du tourisme en 2007 à la place de l’indépendance et en 2009 à la mairie de Dakar, dans les parkings avec de petites structures, cela avait très bien marché. et après, il y a la tutelle qui met un Ticcaa qui s’est tenu une seule fois et qui a fini par échouer. il nous a empêché de nous envoler. Alors que ce qu’il aurait fallu faire, c’était de nous subventionner pour qu’on puisse implanter nous-mêmes le tourisme national. J’ai essayé en 2016 de relancer le salon à Thiès, mais là aussi l’agence de promotion touristique a pris un salon qu’elle n’a jamais payé. elle a fait sa promotion dans notre salon à la Promenade de Thiès, et elle n’a pas l’honnêteté de nous payer. Comment voulez-vous qu’on décolle dans ces conditions ? Il faut d’abord créer cette valeur ajoutée sur le territoire national, en développant le tourisme interne. Ce qui ne se fait pas avec des théories ou parce qu’on dit vouloir développer ce segment. Pour le réussir, il faut être pragmatique, poser des actes concrets. Hélas, jusque-là, tous les actés posés consistant notamment à demander aux sénégalais de payer 50 % moins cher ont échoué. Je le dis haut et fort, cela a échoué parce qu’on ne peut pas imposer à un privé de baisser son prix de 50 % en disant qu’on veut faire la promotion du tourisme intérieur. Le problème du privé, c’est d’avoir la propreté, la sécurité, d’avoir assez d’électricité, un bon débit internet… Lors de mon premier salon avec Amadeus, nous avons sorti une formule à Dakar, une formule que j’avais remise à la tutelle qui n’avait pas bougé. Cette formule permettait à la tripartite de gagner c’est-à-dire l’hôtel, le client sénégalais et l’état. Elle permettait de promouvoir le tourisme national intérieur. Quelques hôtels avaient accepté cette formule. ils avaient déjà démarré. Cependant, elle devait être un projet national organisé d’une certaine façon avec de la publicité. Individuellement, tu ne peux pas la faire. La formule est dans mes tiroirs, je peux la sortir à tout moment si on m’appelle. Le tourisme qu’on faisait avant et jusqu’à présent est adapté à la clientèle européenne, mais si on dit que nos pays sont émergents et que les sénégalais ont les moyens d’aller se reposer après une semaine de fatigue, il faut mettre en place une politique touristique adaptée à notre époque.
L’avenir du tourisme sénégalais passe par la promotion du tourisme intérieur…
Moi personnellement, je suis convaincu que tant que le tourisme intérieur n’est pas développé, que les sénégalais et les populations locales ne s’y retrouveront pas et ne s’approprieront pas cette industrie touristique, notre tourisme sera toujours en quête de quelques miettes d’investisseurs exogènes qui maitrisent le secteur et qui rapatrient leurs biens. a chaque fois qu’on incrimine l’état, je ne suis pas toujours d’accord bien qu’il n’ait pas mis en place une politique touristique adéquate. S’il ne gagne que 5 % sur les recettes d’entrée, c’est parce que l’organisation est verticale depuis les marchés émetteurs. Les touristes payent là-bas, la valeur ajoutée reste au niveau des marchés émetteurs, le transport à l’époque était pour les marchés émetteurs, heureusement aujourd’hui il y a Air Sénégal international, les plus gros porteurs sont pour les marchés émetteurs. Il faut corriger cette anomalie en voyant comment mettre en place une politique touristique favorisant le développement de l’interne… à notre niveau.
Le président de la République a lancé les « clean days ». Une idée saluée, mais qui doit être aussi appropriée par le tourisme. Quelle est votre opinion sur la question.
Le « cleaning day », c’est très bien, mais il faut que tout le monde se l’approprie, les institutions, les communes etc… Puisque toutes les communes gagnent de l’argent issu du secteur touristique, elles doivent alors vers ces zones touristiques pour les nettoyer. J’ai vu ces derniers jours dans les journaux et sur Facebook beaucoup de matériels usagés sortant des hôpitaux, jetés dans la mer et qui reviennent sur les plages au vu des touristes. Ce n’est pas bon. une fois les centres villes nettoyés, il faudrait se tourner au niveau des environs des hôtels, dans les sites touristiques et ce serait une très bonne chose.