SÉNÉGAL-GAMBIE, DEUX DESTINS PÉTROLIERS OPPOSÉS
"Pourquoi le Sénégal et pas nous ?" La question hante les Gambiens qui voient leur voisin transformer l'or noir en richesse nationale. Une frustration légitime que les experts relativisent : la géologie, disent-ils, ignore les frontières politiques

(SenePlus) - Dans un article publié le 25 septembre 2025, le journaliste Sheriff Bojang Jnr revient pour Jeune Afrique sur le paradoxe pétrolier qui oppose le Sénégal et la Gambie, deux pays pourtant situés dans la même zone géologique riche en hydrocarbures.
Le contraste entre les deux nations est saisissant. Du côté sénégalais, l'euphorie pétrolière bat son plein. Le champ de Sangomar, situé à moins de 500 mètres des eaux gambiennes, a démarré sa production en juin 2024 et devrait générer plus d'un milliard de dollars par an. En août 2025, il avait déjà pompé 24 millions de barils, soit près de 70% de son objectif annuel, rapporte le média panafricain.
Plus impressionnant encore, le projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), développé conjointement avec la Mauritanie et lancé le 1er janvier 2025, vise à faire passer la production de gaz naturel liquéfié de 2,5 millions de tonnes par an à 10 millions de tonnes d'ici 2030. Une montée en puissance spectaculaire qui positionne le Sénégal comme un acteur majeur du secteur énergétique en Afrique de l'Ouest.
Ces succès s'appuient sur une stratégie d'exploration ambitieuse : alors que la Gambie n'a foré que cinq puits d'exploration en six décennies, le Sénégal en a foré plus de 150, dont 45 en mer, souligne Cany Jobe, directrice de l'exploration et de la production à la Gambia National Petroleum Corporation (GNPC), citée par Jeune Afrique.
La Gambie dans l'attente d'un miracle géologique
De l'autre côté de la frontière, la désillusion est totale. Depuis les années 1960, la Gambie a foré cinq puits – trois en mer et deux sur terre – et tous se sont révélés secs. Les géants pétroliers comme African Petroleum, l'australien FAR Ltd, le malaisien Petronas et le britannique BP ont tous tenté leur chance sans succès.
Cette malédiction de l'or noir alimente les frustrations dans un pays enclavé au sein du Sénégal, à l'exception d'une petite bande côtière atlantique. « Pourquoi le Sénégal et pas nous ? », s'interrogent les Gambiens, selon l'article. Pour beaucoup, les nuances géologiques n'ont aucune importance face à cette injustice apparente.
Pourtant, les experts tempèrent ces espoirs. Babacar Youm, analyste géologique basé à Bruxelles, explique : « Deux blocs peuvent se trouver côte à côte dans le même bassin et donner des résultats très différents. Le Sénégal a eu de la chance avec Sangomar, un "piège" bien structuré avec une charge et un joint en place. À quelques kilomètres de là, les prospects gambiens peuvent manquer de l'un de ces éléments clés. C'est une question de géologie, pas de sabotage. »
Une dynamique régionale qui accentue les inégalités
Le contexte ouest-africain rend la situation d'autant plus difficile à vivre pour Banjul. Le Sénégal et la Mauritanie s'apprêtent à engranger des milliards grâce à leurs projets d'envergure mondiale, tandis que l'Europe, en quête d'alternatives au gaz russe, se tourne vers les frontières africaines. Cette dynamique régionale fait de la Gambie « les cousins malchanceux », selon les mots du chercheur Lamin Ceesay rapportés dans l'article : « Les autres avancent et nous, nous attendons toujours. »
Les départs successifs des compagnies pétrolières n'arrangent rien. « Chaque fois qu'une entreprise part, cela renforce le sentiment que quelque chose ne va pas », confie un ancien haut fonctionnaire du ministère du Pétrole gambien à JA. « Soit les conditions sont trop strictes, soit la géologie est trop risquée, soit la situation politique est trop chaotique. »
Malgré tout, les autorités gambiennes gardent espoir. Le président Adama Barrow a admis dans son discours sur l'état de la nation en 2025 qu'aucune découverte commerciale n'avait été faite, tout en insistant sur des résultats « très prometteurs et positifs ». Lors du Salon international du pétrole et de la conférence sur l'Afrique subsaharienne à Lagos en février, Cany Jobe a même présenté la Gambie comme « la prochaine frontière » pétrolière.
Le succès sénégalais rappelle néanmoins qu'en matière d'exploration pétrolière, la persévérance et l'ampleur des investissements font souvent la différence. Une leçon que la Gambie devra méditer si elle veut un jour transformer son rêve d'or noir en réalité tangible.