LYCÉE AMINATA SOW FALL
A la Patte d’Oie Builders, on applaudit même si beaucoup d’élèves ne connaissent pas la marraine !

Le Témoin a fait un tour au lycée de la Patte d’Oie Builders qui porte désormais le nom de la célèbre écrivaine Aminata Sow Fall, l’auteure de l’« Empire du mensonge » et du chef d’oeuvre « La grève de Bàttu ». Appréciée mondialement, cette Grande dame des Lettres n’est paradoxalement pas connue par les élèves de ce lycée qui vient d’être baptisé à son nom. Quant aux professeurs, ils s’indignent des infrastructures de l’école qui sont dans un piteux état indigne du nom de sa prestigieuse marraine.
« Où se trouve le lycée de la Patte d’Oie Builders ?», demande le visiteur à trois élèves en tenues identiques. « Nous allons comme ça au lycée. Allons-y ensemble », proposent elles en chœur. On échange avec ces apprenants sur l’appellation de leur lycée qui porte désormais le nom de la grande dame des Lettres, Mme Aminata Sow Fall. « Je ne connais vraiment pas Aminata Sow Fall. Nous connaissons plutôt Mariama Ba dont l’œuvre «Une si longue lettre » était au programme. Sincèrement, je n’ai jamais entendu son nom », dit l’une d’entre ces lycéennes sans gêne. Elle a même l’acquiescement de ses camarades qui ignorent eux aussi tout de la célèbre romancière. 12 heures passées de quelques minutes devant le lycée Aminata Sow Fall. Des élèves entourent les vendeuses de beignets et autres mets. On commande des sandwichs par-là, on achète des bonbons par ci. A l’intérieur de l’établissement, les élèves discutent en se chambrant. La cour est sablonneuse si bien qu’il est difficile d’y déambuler, du moins pour le visiteur car les élèves, eux, semblent habitués à s’y mouvoir. Les chaussures sont vite enveloppées par une couche de poussière. Le nom de la nouvelle marraine, beaucoup de pensionnaires de ce bahut semblent l’ignorer.
Sous la véranda d’une classe de 5e , quelques jeunes filles débattent. Notre question semble les intéresser. « Nous ne la connaissons pas. Mais, nous sommes contentes de savoir qu’elle est une grande intellectuelle », s’exclament-elles. L’une d’entre elles du nom de Aïssatou Sandrine Seck lève le doigt. « C’est vendredi dernier que mon père m’a fait connaitre la marraine de notre établissement. Il m’a expliqué qu’elle est une grande écrivaine », confie fièrement la petite lycéenne. « Je pensais qu’elle s’appelle Fatoumata Sow. Pourquoi on n’étudie pas ses œuvres au programme comme celle de Mariama Ba, l’auteure d’ « Une si longue lettre? », demande l’une des filles du groupe. Ousseynou Fall est en 1ere, pressant le pas pour rejoindre sa classe, il donne son avis. « Je n’ai jamais lu un ouvrage de Aminata Sow Fall. Mais, hier, j’ai fait des recherches la concernant sur Google. J’ai vu qu’elle a écrit des ouvrages. Je suis vraiment ravi de voir notre lycée porter le nom d’une intellectuelle de renom », se réjouit le jeune homme avant de rejoindre sa salle de classe. La proviseure du lycée Aminata Sow Fall, Mme Camara, est devant la grande porte de son bâtiment qui fait face à la cour sablonneuse du lycée, surveillant ses potaches. Après quelques salamalecs, elle nous reçoit dans son bureau. «Nous ne pouvons accueillir le décret que positivement. Parce que Mme Aminata Sow Fall est une grande dame des Lettres très connue, de renommée internationale. Je crois que le lycée de la Patte d’Oie Builders ne pourra qu’en profiter, vu que c’est une dame qui est honorée. Elle est également honorée en sa qualité d’enseignante.
Et par rapport à sa renommée, je pense que le lycée ne peut qu’en profiter » confie Mme Camara, exprimant sa satisfaction de voir une dame méritante donner son nom au lycée dont elle est la personne morale. Selon la proviseure, des efforts considérables devraient être faits pour pousser les élèves à aimer la lecture. « Il faudra un effort pour faire connaitre aux élèves la romancière. Pour ce faire, les auteurs sénégalais devraient être intégrés au programme et les établissements scolaires devraient dispose de bibliothèques pour pousser les élèves à aimer la lecture. Cela doit même se faire au niveau national pour donner le goût des livres aux apprenants. Les élèves de 3ème connaissent Mariama Ba parce qu’ils étudient « Une si longue lettre ». Il faut surtout que les écoles soient dotées de bibliothèques. Vous avez vu que notre établissement n’en dispose pas. Je pense que c’est la première bataille à gagner », a soutenu Mme la proviseure.
Dans tous les cas, assure Mme Camara, leur lycée ne peut être qu’honoré de porter le nom d’une dame de la trempe de Mme Aminata Sow Fall. « Il n’y a aucune contestation du nom de Aminata Sow Fall. Comme cela vient de la plus haute autorité de l’Etat, nous l’acceptons. C’est une enseignante qui est honorée. Nous ne pouvons que féliciter Mme Aminata Sow Fall et nous réjouir que notre lycée porte son nom. Je viens d’avoir un contact avec elle. Elle passera d’abord voir le lycée et on lui parlera de nos projets et essayer de tirer quelque chose de positif dans nos échanges », informe notre interlocutrice.
« Un semblant de lycée ! »
Par ailleurs, la proviseure n’a pas manqué d’évoquer le manque d’infrastructures du lycée qu’elle dirige. « Notre établissement était un groupe scolaire, une école élémentaire qu’on a transformée en partie en CEM (collège) et par la suite c’est devenu un lycée depuis 2014. Donc, il y a beaucoup de choses à faire. D’abord, on n’a pas d’infrastructures, rien qu’à voir le lycée, on a l’impression d’être dans une école primaire. Il nous faudrait d’abord des infrastructures. C’est notre premier besoin vital. Après, il faudra construire des salles de classe et les équiper. Notre problème actuellement, c’est la construction du lycée. Ce que nous avons ici, c’est vraiment un semblant de lycée. Il nous faudrait tout raser et construire en hauteur. Il nous faut une bibliothèque, un laboratoire, une infirmerie, une salle informatique, un bâtiment administratif », énumère Mme Camara.
A quelques mètres du bâtiment du provisorat, celui du corps professoral. Les professeurs discutent à l’intérieur. D’aucuns prennent congé, d’autres rejoignent leurs classes. Professeur de maths et physique-chimie, El Hadj Oumar Guèye discute avec quelques-uns de ses collègues.
Interpellé sur le nom que porte désormais le lycée où il officie, il soutient sans ciller que ce n’est pas honorer la dame que d’en faire le parrain de cet endroit. Car, selon lui, l’établissement n’est pas digne d’un lycée. « Je ne peux pas parler en termes de satisfaction du nom que porte désormais cet endroit, à savoir Aminata Sow Fall. Ce que je sais, c’est que ce lycée-là ne l’est que de nom. Ça, c’est des abris provisoires qui ont été construites après la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, ces bâtiments-là ne devraient plus abriter des êtres humains parce que la garantie n’est plus de jour. C’est très risqué d’enseigner dans ces bâtiments qui sont des préfabriqués dont la durée de vie a été complétement dépassée », martèle El Hadj Oumar Guèye.
Ayant du mal à cacher son courroux, il estime que ces préfabriqués, « ça devrait être détruit et reconstruit. On nous parle de Sénégal émergent alors que si on va en Corée du Sud, par exemple, il y a des écoles construites qui ont des durées de vie de 300 ans. Alors qu’ici les deux bâtiments (Ndlr, il les indexe) ont été construits après 2010 et vous voyez déjà leur état. Si on veut atteindre l’émergence, il faudrait construire des écoles de qualité parce que le développement ne pourra être atteint qu’avec des ressources humaines de qualité. Mais aussi des infrastructures de qualité ».
En parlant du lycée où il travaille, il estime que l’Etat devrait mettre les moyens et le construire ou le reconstruire. « Vraiment si on respectait Mme Aminata Sow Fall qui est une grande personne, une éminente femme de lettres qui a beaucoup fait pour cette nation, je crois que la moindre des choses, c’était de construire l’établissement en bonne et due forme avant de lui donner son nom. Le coup est déjà passé. Maintenant, il convient de trouver les moyens pour construire l’établissement avant de mettre le panneau Aminata Sow Fall. Si c’était le nom de mon père ou ma maman qu’on devait donner à cet établissement, j’aurais refusé », a-t-il conclu. Une de ses collègues abonde dans le même sens. « Je pense que c’est du sabotage. L’Etat ne nous respecte pas. Au lieu de construire le lycée, il change son nom ! Aminata Sow Fall mérite plus que ça. Son nom doit être donné à un lycée digne de son nom », a lancé cette dame qui a requis l’anonymat.