QUAND LES ENSEIGNANTS SONT «BASTONNES» PAR LEURS PROPRES ELEVES
Plaidoyer pour des textes forts en faveur de l’enseignant, pour qu’il soit protégé.

Depuis que l’Etat a interdit, par décret, les châtiments corporels, la violence à l’école a pris une nouvelle tournure. Celle-ci est plus ou moins insolite, mais tout de même inquiétante. Elle est aujourd’hui exercée par des élèves ou parents d’élèves sur des enseignants. De ce fait, enseignants, syndicats, psychologues comme sociologues demandent à revoir les textes actuels dans le sens de permettre de punir tout fauteur de violences à l’école.
L’enseignant était autrefois aimé, adoré, choyé, adulé, respecté… Tout le monde rêvait même d’être enseignant. Et certains le considéraient comme un demi-dieu ! On lui collait parfois des sobriquets aimables et on n’osait jamais s’aventurer à lui adresser des paroles désobligeantes. A fortiori, lever la main sur lui. Mais aujourd’hui, un verrou a sauté. Les enseignants, interrogés sur la question, sont unanimes. Leur statut s’est dégradé. Ils sont vilipendés, houspillés, conspués… Au bout du compte, l’enseignant est mis à nu et livré à des élèves mal éduqués qui prennent aujourd’hui référence sur des lutteurs, des chanteurs, des danseurs et autres célébrités et acteurs de téléfilms et films. L’enseignant se trouve ainsi sans défense morale ou intellectuelle. Ainsi on passe du simple mépris envers cet éducateur à la violence physique à son encontre. Des violences qui se manifestent par des agressions souvent handicapantes voire mortelles. De Dakar, à Louga en passant par Kaolack, Fatick, Tambacounda et Ziguinchor, le phénomène des enseignants — hommes comme femmes —, agressés par des élèves ou parents d’élèves a fini de s’installer et par gangréner l’école sénégalaise. Le nombre de cas enregistrés ces derniers mois avoisine la dizaine. On se souvient encore du cas Henry Ndiaye tué à coup de couteaux à Diourbel par Henriette Diatta, élève en classe de terminale à l’école privée Nelson Mandéla sise dans la capitale du baol. Si le cas du directeur de l’école de Ngapitol à Koupentoum, Julien Diatta, assassiné par un berger au mois de janvier 2019, reste isolé et un peu particulier, celui de Fatick, survenu en novembre 2018 intrigue encore. Il s’agit du sieur Djibril Dièye, maître d’arabe à l’école Samba Guèye de Nianing dans le département de Mbour, qui a subi une agression physique de la part du président de l’Association des parents d’élèves de ladite école. Alors qu’on pensait à des cas isolés, le phénomène est en train d’étaler ses tentacules jusqu’à Dakar où le professeur d’éducation physique au lycée blaise Diagne de Dakar, Coumba Ngom, a été défigurée vendredi dernier par un élève en classe de 5ème secondaire. Sans compter l’agression qui s’est produite à Goudomp, dans la région de Sédhiou, celle de Tambacounda et cet élève de Collège d’enseignement moyen (Cem) « Artillerie » de Louga qui non seulement aurait désobéi à son professeur à qui il a posé un lapin dans la rue avant de le rouer de coup, pour ensuite aller porter plainte. Une agression qui ressemble presque à celle du Cem de boucotte Djembéring au cours de laquelle M. Henry Bernard Coly s’en est sorti avec un œil sanguinolent suite à une bagarre avec un de ses élèves et un ancien élève de l’école.
« Certains attitudes des élèves sont l’œuvre de leurs parents »
Sur le plan sociologique, le clinicien Djiby Diakhaté pense que « si l’enseignant ne constitue plus une référence, c’est d’abord à cause des agissements de certains d’entre eux qui engrossent les écolières. Il y a également un problème dans leur formation avec le volontariat et les vacataires. Il s’y ajoute que certains parents ne sont pas toujours de vrais partenaires de l’école et que, aujourd’hui, les associations de parents d’élèves ont déserté le champ scolaire. Ce qui crée des liens éloignés et fragiles entre les parents d’élèves et les enseignants. Last but not least, lorsque les notes des élèves ne sont pas bonnes, on considère l’enseignant comme responsable de cette baisse de niveau », a expliqué Dr Diakhaté. Selon lui, « certaines attitudes des élèves demeurent et restent l’œuvre de leurs parents ».
« …faire revenir le sacré du savoir dans notre société »
Mais pour le psychologue Serigne Mor Mbaye, le responsable de ce qui se passe aujourd’hui comme violence chez les jeunes en général, « c’est la vacance de l’autorité ». « On n’éduque plus à la maison ni à l’école. Je pense qu’il faut préparer l’enfant à aller à l’école. Nous corrigeons nos enfants à l’école pour qu’ils deviennent savants. Mais pour devenir savant, il faut devenir pensant, et pour devenir pensant, il faut être éduqué. Et cette éducation commence à la maison. Maintenant, est-ce que la maison valorise l’école ? L’école devient comme un lieu de gardiennage où il n’y a plus de solidarité entre les acteurs. On est là parce qu’on est là. Mais on n’y croit pas. Ce n’est pas sacré. Il faut faire revenir le sacré du savoir dans nos sociétés. C’est le savoir qui doit donner une identité et qui fonde l’avenir. Hélas, ce n’est plus le cas dans notre pays. Nous sommes dans l’idéologie de « Sa Neex ». C’est du bla bla, du bling bling, du ludique », se désole le psychologue.
« L’Etat a donné beaucoup de force à l’élève, et beaucoup de faiblesse à l’enseignant »
Pour le syndicaliste enseignant Tamsir Bakhoum, les lois sont tirées vers la légèreté. Jadis, dit-il, l’école sénégalaise et les enseignants, particulièrement, étaient protégés par des barrières, des garde-fous pour ne pas dire des textes qui régissaient les conseils de discipline. Lesquelles dispositions permettaient à chaque fois que des questions de discipline se posaient, le conseil de discipline prenait des actes à l’encontre des élèves fautifs. Mais, depuis quelques années, le constat est tout autre. Selon ce membre du Syndicat autonome de l’enseignement moyen et secondaire du Sénégal (Saemss), le conseil de discipline ne joue plus son rôle aujourd’hui dans nos établissements. Par conséquent, en déduit-il, les enseignants ne sont plus protégés. « L’état est le premier responsable de ce retournement de situation. Parce que si, aujourd’hui, l’Etat est le premier agresseur, mais tout le monde va suivre ! La communication agressive des autorités étatiques, qui consiste à reléguer l’enseignant au dernier plan de la société, est regrettable. Ce qui fait que chacun tire sur nous. Si nous étions dans une société où, à chaque fois, l’Etat tenait un langage de vérité avec des éléments allant dans le sens de protéger les enseignants et d’encourager les élèves et la société à les respecter, je pense que personne n’oserait aller dans le sens de critiquer jusqu’à violenter un enseignant», estime M. Tamsir bakhoum. Et de rappeler que l’école étant une société en miniature, les gens qui s’y retrouvent viennent d’horizons différentes, et de différentes sphères familiales. Seulement, pour ce responsable du syndicat dirigé par M. Saourou Sène, « l’Etat a donné beaucoup de forces à l’élève, et beaucoup de faiblesses à l’enseignant. C’est pourquoi les élèves se disent que, quelle que soit la faute commise, ils ne seront pas être sanctionnés, encore moins renvoyés de l’école. D’où ces nombreux cas d’égressions physiques sur les enseignants, et qui constituent de petits éléments par rapport à ce qui peut arriver à l’enseignant », a-t-il chargé à l’endroit des autorités étatiques.
« Il faut légiférer… »
« On ne peut plus accepter que des élèves agressent des professeurs. L’Etat doit prendre toutes ses responsabilités et légiférer. Il faut que l’Etat donne des textes qui permettent de réprimer tout fautif et surtout tout élève qui a un mauvais comportement à l’école, particulièrement vis-à-vis de son professeur. Il faut que cet élève puisse être renvoyé » soutient M. Tamsir Bakhoum. C’est aussi le point de vue du sociologue Djiby Diakhaté, également enseignant à l’université qui pense qu’on devrait punir toute personne qui agresserait un enseignant. Et que l’Etat, en ce qui le concerne, « doit revoir la rémunération des enseignants et qu’il n’attende pas que ces derniers soient en grève pour les appeler à la table des négociations ». Tout cela c’est bien mais insuffisant, estime le chargé de la communication et des relations avec la presse du Saemss. Ce qu’il faut surtout, à l’en croire, c’est une meilleure protection de l’enseignant par des textes forts. « Quel que soit son caractère, l’enseignant n’est pas protégé. Nous ne sommes pas des gendarmes, ni des policiers. Ce que l’on veut, c’est que l’Etat protège les enseignants avec des textes forts à la dimension de ce qu’ils méritent pour qu’à chaque fois qu’on est face à un fauteur de troubles, ou de quelqu’un qui serait tenté de manquer de respect à un enseignant, il soit puni de la façon la plus vigoureuse. Il appartient à l’Etat, qui a le monopole de la répression légale, de prendre toutes les dispositions idoines pour protéger l’école et les enseignants », a-t-il prôné tout en précisant qu’avec ce phénomène, qui prend de l’ampleur, nul n’est épargné.
« Un Etat ne peut se développer qu’avec des enfants qui ont des connaissances accrues »
Tamsir Bakhoum ne mâche pas ses mots. « Aujourd’hui, lorsque le savoir est relégué au second plan et que l’avoir prend l’ascenseur, on ne doit pas s’étonner d’être toujours dans une société d’agressions. Il faut que nous puissions rééduquer nos enfants et leur montrer que ce n’est pas une question d’argent mais de « jom », de « ngor », de « fitt » et de « fayda ». Si nous voulons aller vers l’émergence, il faut qu’on puisse se mettre d’abord dans la tête qu’un Etat ne peut se développer qu’avec des enfants qui ont des connaissances accrues dans tous les domaines, scientifique comme littéraire. Il faut des esprits éclairés pour pouvoir espérer être sur la bonne voie de l’émergence », philosophe notre interlocuteur.
FATIM BA DIALLO DU MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE «Le ministère dispose des mécanismes de gestion de la discipline»
Sur ces cas d’agressions perpétrés par des élèves et parents d’élèves sur l’autorité scolaire notamment les enseignants, la directrice de l’enseignement moyen général au ministère de l’Education nationale (Men), Mme Fatim Bâ Diallo, condamne et les juge regrettables tout en déclarant que la tutelle dispose des mécanismes de gestion de la discipline. « L’espace scolaire est parmi les priorités du ministère de l’Education nationale. La première priorité, c’est l’apaisement de l’espace scolaire. Quand on parle d’apaisement, on parle de la construction de la paix sur l’espace scolaire dans toutes ses formes. Le ministre dispose des mécanismes de gestion de la discipline. Le ministère trouve ce phénomène inadmissible, le regrette et le condamne. Et des mesures sont en train d’être mises en œuvre pour que des décisions qui s’imposent soient prises », a déclaré Mme Fatim bâ Diallo, directrice de l’enseignement moyen général au ministère de l’Education nationale (Men) sur les ondes de la RFM.