AUX RACINES DE LA PAPAUTÉ
Au premier siècle de notre ère, ni Pierre ni ses successeurs immédiats ne portaient le titre de "pape". L'institution papale, telle que nous la connaissons aujourd'hui, est le fruit d'une lente construction théologique et politique

(SenePlus) - L'histoire de la papauté, cette institution millénaire au cœur du catholicisme, est bien plus complexe que ce que la tradition ne laisse souvent entendre. Comme le révèle un article du Monde des religions publié à la suite du décès du pape François, l'évolution de cette institution s'est faite sur plusieurs siècles avant d'atteindre la forme que nous lui connaissons aujourd'hui.
Si l'Annuaire pontifical du Vatican présente sobrement Saint Pierre comme ayant « reçu de Jésus-Christ le pouvoir pontifical suprême à transmettre à ses successeurs », la réalité historique apparaît bien plus nuancée. Comme le souligne l'article du Monde, « celui que Jésus a choisi pour ancrer les fondations de son Église [...] n'a en effet jamais reçu, de son vivant, le titre de 'pape' ».
Le terme « pape » lui-même – dérivé du grec « pappas » signifiant « père » – n'apparaît qu'au IIIe siècle et n'était alors pas réservé uniquement à l'évêque de Rome. « Les évêques de Carthage ou d'Alexandrie, pour ne citer qu'eux, en sont gratifiés pendant toute l'Antiquité », précise le journal. Ce n'est que progressivement que ce titre sera exclusivement attribué au successeur de Pierre.
Dans les premiers siècles du christianisme, les Églises apostoliques – celles fondées ou visitées par les apôtres – jouissaient d'une considération particulière. Parmi elles, Rome occupait une place spéciale en raison de la présence des reliques de Pierre et Paul, deux figures majeures du christianisme primitif.
Tertullien (env. 155-env. 225) louait ainsi l'Église romaine : « Heureuse Église ! Les apôtres lui ont versé toute leur doctrine avec leur sang. Pierre y subit un supplice semblable à celui du Seigneur. Paul y est couronné d'une mort semblable à celle de Jean [Baptiste] [...]. Voyons ce que Rome a appris, ce qu'elle enseigne. »
Cette aura particulière conférait à l'évêque de Rome un rôle d'arbitre dans les différends entre communautés chrétiennes. Dès 95 ou 96, l'évêque Clément de Rome s'adressait aux fidèles de Corinthe pour résoudre un conflit interne, les exhortant à obéir « aux avertissements que Dieu leur envoie à travers nous ».
Malgré ce prestige, l'autorité de l'évêque de Rome était loin de faire l'unanimité dans les premiers siècles du christianisme. Le Monde rapporte plusieurs épisodes où les initiatives papales se sont soldées par des échecs retentissants. Victor de Rome, par exemple, tenta à la fin du IIe siècle d'imposer une date commune pour la célébration de Pâques, mais face au refus de l'évêque d'Éphèse, « le Romain se croit permis d'excommunier toute l'Asie mineure, provoquant l'indignation du clergé oriental ».
De même, au IIIe siècle, lorsqu'Étienne de Rome invoqua les paroles de Jésus – « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » – pour affirmer sa primauté dans une controverse sur le baptême, il se heurta à « une fin de non-recevoir ».
Les tensions ont culminé au IVe siècle avec la crise arienne. Jules de Rome s'indigna alors de ne pas avoir été consulté : « Ignorez-vous donc que la coutume était qu'on nous écrive d'abord, et que de là soit proclamé ensuite ce qui était juste ? [...] Ce que je vous signifie, c'est ce que nous avons reçu du bienheureux apôtre Pierre ». Ces prétentions exaspérèrent les évêques d'Orient qui se demandaient, comme Basile de Césarée (330-379) : « Quelle est l'aide que nous apportent les froncements de sourcils de l'Occident ? »
Juridiquement, durant les premiers siècles, l'évêque de Rome ne disposait d'aucun moyen pour imposer ses décisions aux autres Églises, même si son avis était souvent sollicité. Comme le conclut l'historien Karl Schatz, cité par Le Monde, « l'Église de Rome était davantage la sœur aînée que la mère ».
Ce n'est qu'au Moyen Âge que le concept de monarchie pontificale arrivera à maturité. La bénédiction papale « urbi et orbi » (« à la ville et au monde »), par exemple, ne remonte qu'au XIIIe siècle, tandis que le principe de primauté pontificale romaine ne sera défini qu'en 1439 lors du concile de Florence.
Même à cette époque tardive, les tensions persistaient : si les représentants de l'Église orthodoxe approuvèrent initialement les décisions de ce concile œcuménique, ils « se rétractèrent dès leur retour chez eux », signe des divergences profondes qui continueraient à marquer les relations entre Rome et les Églises d'Orient.