LA CEDEAO, UNE COMMUNAUTE A DEUX VITESSES
Avènement de chefs d'états militaires, dénonciation de son immobilisme, ingérence occidentale, Le coup d'État au Niger a remis au goût du jour les profondes divergences qui existent actuellement au sein de la Communauté africaine des États de l'Afrique de

Le coup d'État au Niger a remis au goût du jour les profondes divergences qui existent actuellement au sein de la Communauté africaine des États de l'Afrique de l’ouest. Les présidents du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée sont montés au créneau en s'érigeant en forteresse contre une intervention de la CEDEAO au Niger pour remettre le Président Bazoum au pouvoir.
La passe d'armes à peine voilée entre le bouillant Président du Burkina Faso Ibrahima Traoré et le chef de l'Etat du Sénégal Macky Sall, au sommet Russie-Afrique qui a réuni près de 17 chefs d'État du continent, est la preuve patente d'une Afrique complètement hétéroclite sur le plan idéologique. Mais ces deux interventions très opposées entre un Président qui abhorre les coups d'Etat et un jeune capitaine épris des idées révolutionnaires de Thomas Sankara laissent entrevoir, au-delà de cet épisode où le linge sale de l'Afrique a été lavé à Saint Pétersbourg, une profonde divergence au sein de la CEDEAO. Et le dernier coup d'État au Niger vient davantage enliser la communauté sous régionale dans une profonde division. Dirigée par le Président nigérian Bola Tinubu, la CEDEAO qui n’exclut pas le recours à la force et a donné une semaine aux putschistes pour rétablir l’ancien Président Mohamed Bazoum, a été fortement réprimandée par les chefs d'états militaires du Mali, du Niger et de la Guinée qui semblent faire fi des décisions des autorités de la CEDEAO.
Ainsi dans un communiqué conjoint, les présidents de ces trois pays avertissent que toute intervention militaire contre le Niger serait considérée comme une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali. Ajoutant aussi que toute intervention militaire contre le Niger entraînerait un retrait du Burkina Faso et du Mali de la CEDEAO ainsi que l'adoption de mesures de légitime défense en soutien aux forces armées et au peuple du Niger.
Sans langue de bois, le colonel Assimi Goita et ses camarades considèrent ces sanctions contre le Niger illégales, illégitimes et inhumaines. Cette défiance de ces dirigeants téméraires soulignent à quel point la CEDEAO doit manifestement se réinventer. Et même si tous les analystes sont d'accord que par essence, c'est par les urnes qu'un président de la République doit être élu dans un pays qui aspire à faire partie des pays dits démocratiques, force est de dire que certaines défaillances notées sur le plan constitutionnel démocratique et sur le plan de la gouvernance donnent un peu raison à ces militaires qui réfutent cette thèse.
COUPS D'ÉTAT MILITAIRES CONTRE COUPS D'ÉTAT CONSTITUTIONNELS
Selon ces derniers notamment, l'importance n'est pas dans la manière d'accéder à la magistrature suprême mais d'être des patriotes intègres qui vont essayer de sortir les peuples de la pauvreté. Dans ce cadre, le fait majeur, ces dernières années, est que les coups d'État semblent être bénis par les populations, surtout les jeunes qui veulent consommer notamment leur rupture avec les pays occidentaux. Cette situation a été constatée au Mali et récemment au Niger. Maintenant, que faire pour donner une vraie impulsion à cette organisation sous régionale créée en 1975 tant divisée et décriée? À cette question, l'ancien ballon d'Or France Football et non moins président du Libéria est formel. De son avis, il y a une approche à deux vitesses à l’égard des coups d’État. ''Tant que la CEDEAO tolérera les coups d’État institutionnels qui permettent les présidences à vie, il y aura des coups d’État militaires'', soutient-il avec véhémence non sans indiquer que la tolérance de la CEDEAO à l’égard des manœuvres politiciennes comme l’extension des mandats présidentiels facilite indirectement les coups d’État militaires.
AMADOU CAMARA GUÈYE, ANALYSTE GÉOPOLITIQUE A ANTICIP : «A CHAQUE FOIS, LA CEDEAO SE POSE EN UNE COMMUNAUTÉ QUI GÈRE LES POST-CONFLITS »
Pour sa part, le journaliste et analyste en géopolitique Amadou Camara Guèye invite les autorités de la CEDEAO à savoir raison garder. «Je pense que la CEDEAO a déjà pris de bonnes décisions économiques. Le fait que le Nigeria ait coupé son approvisionnement en électricité à la suite de la sanction de la CEDEAO est une bonne chose. Le Bénin aussi a fermé ses frontières et c'est une décision qui peut impacter. Moi je pense qu'il faudra se limiter aux sanctions économiques et ne pas enclencher une intervention militaire qui pourrait déboucher sur d'autres crises comme des crises humanitaires et sécuritaires », explique le chercheur en géopolitique non sans faire savoir aussi que la CEDEAO doit prendre au sérieux les mises en garde des pays réfractaires comme le Mali et le Burkina Faso. «Ça pourrait vraiment déstabiliser cette communauté déjà très fébrile », prévient-il.
Dans le même ordre d'idées, il trouve que la CEDEAO doit changer de «logiciel », pour pouvoir, insiste le brillant analyste, résoudre les conflits. «À chaque fois, la CEDEAO se pose comme une communauté qui gère des post-conflits alors qu'elle doit être réactive en amont. La CEDEAO regorge assez de diplomates qui peuvent faire ce travail », prône-t-il dans cet entretien téléphonique accordé à l'AS.