LE GHANA, LE SÉNÉGAL ET LE NIGERIA DOIVENT FAIRE PRESSION POUR EXTRADER YAHYA JAMMEH
Les victimes oubliées d'Habré, le procès de Jammeh qui tarde à devenir réalité, mais aussi le procès Sankara et la rapidité de la CPI dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine… L’avocat et activiste américain Reed Brody dit ses espoirs et déceptions

Infatigable. À 68 ans, l’avocat et militant des droits humains est loin d’avoir raccroché les gants. Celui qu’un documentaire de 2017 qualifiait de « chasseur de dictateurs » a été l’une des chevilles ouvrières du procès Hissène Habré. Pendant un quart de siècle, il a, notamment avec sa consœur tchadienne Jacqueline Moudaïna, mobilisé les victimes, rassemblé les preuves, plaidé pour l’ouverture d’un procès devant toutes les instances imaginables. Et fini par obtenir gain de cause, avec la création d’un tribunal spécial, à Dakar, fruit d’un accord avec le Sénégal de Macky Sall et l’Union africaine.
La condamnation à perpétuité de l’ancien président tchadien, reconnu coupable de « crimes contre l’humanité » par les juges des Chambres africaines extraordinaires, définitivement confirmée en avril 2017, fut une victoire sans précédent. Pour la première fois, un ancien chef d’État africain était jugé et condamné en Afrique, par des juges africains, sous mandat de l’Union africaine. Mais cinq ans plus tard, les victimes n’ont pas reçu la moindre réparation. Hier au sein de Human Rights Watch, aujourd’hui aux côtés de la Commission internationale de juristes (CIJ), Reed Brody poursuit le combat. Tout comme il est aux côtés des militants gambiens qui se battent pour obtenir la tenue du procès de Yahya Jammeh.
Jeune Afrique : Six ans après la condamnation de Hissène Habré, décédé en août dernier, les victimes n’ont toujours pas reçu la moindre réparation. À quoi cela tient-il ?
Reed Brody : C’est d’abord et avant tout une question de volonté politique. Les victimes ont gagné deux procès, l’un devant le tribunal spécial à Dakar, l’autre devant un tribunal tchadien à N’Djamena. Et depuis six ans, ni l’Union africaine, ni le gouvernement tchadien n’ont véritablement avancé sur le processus de réparation. Les victimes se sont battues pendant 25 ans pour pouvoir faire juger Hissène Habré et ses complices. C’est la première fois que des victimes se sont organisées pour faire juger un dictateur dans un autre pays que le sien, et sont parvenues à ce qu’un procès se tienne et aille jusqu’au bout.
En septembre 2021, une délégation de l’Union africaine s’est rendue à N’Djamena. Ils ont même pris possession d’un bâtiment destiné à accueillir le fonds d’indemnisation des victimes que l’Union africaine a été sommée de mettre en place pour solliciter les bailleurs et récupérer les avoirs gelés de Hissène Habré… À l’époque, on décrivait cette mission comme étant un « tournant décisif », mais depuis, rien n’a bougé.
Comment sortir de cette impasse ?
L’Union africaine a alloué 5 millions de dollars au fonds. Ils sont là. L’argent de Hissène Habré, certains de ses biens qui ont été saisis, sont disponibles. Ce qu’il manque, c’est simplement la volonté politique. Le président sénégalais Macky Sall préside actuellement l’Union africaine. Pour les victimes, il fait figure de héros. C’est lui et sa ministre de la Justice de l’époque, Mimi Touré, qui ont permis au procès de se tenir à Dakar. Aujourd’hui, ce serait tout à l’honneur de Macky Sall de faire enfin avancer ce dossier.
Pourquoi, au-delà des seuls aspects financiers, ces réparations sont-elles si importantes pour les victimes, symboliquement ?
Ces hommes et ces femmes sont des héros. Ces personnes ont été torturées, ces femmes ont été violées, et ont eu le courage de témoigner à visage découvert et en public. Maintenant, elles sont purement et simplement oubliées par la communauté internationale et la justice. Elles méritent reconnaissance.