QUAND LA FRANCE SE LANCE DANS LA GUERRE DE COMMUNICATION AU MALI
Depuis que Choguel Maïga a accusé Paris d’« abandon en plein vol », les spots publicitaires de l’opération Barkhane essaiment à Bamako. Une campagne qui s’inscrit dans la nouvelle stratégie de « lutte informationnelle » de l’armée française

Seize panneaux et au moins 576 diffusions quotidiennes d’un petit film sur chacun. Depuis le mois d’octobre, les espaces publicitaires numériques de la capitale malienne sont porteurs d’un message intriguant. Entre une publicité pour un karaoké et de la réclame pour un forfait mobile défilent des pictogrammes de soldats et de blindés appuyés des slogans « Barkhane se transforme », « Ensemble ». Une première pour l’opération militaire française, qui projette en boucle son message au-dessus de plusieurs carrefours très fréquentés de Bamako, et qui s’est même invitée sur les ondes de trois chaînes de télévision, s’offrant un créneau de choix au moment des journaux de l’ORTM – la télévision publique malienne, la plus regardée du pays -, de Joliba TV et de Renouveau TV.
Alors que s’enchaînent des images de l’intervention française au Mali, la vidéo, courte, vient rappeler l’essence de l’opération et vulgariser les grandes lignes de sa restructuration, prévue pour 2022. Sur fond de musique guerrière, les « trois piliers » de l’opération Barkhane (« partenariat de combat », « réassurance » et « coopération ») laissent ensuite place à un rappel chiffré : 2 500 à 3 000 militaires français (contre 5 100 aujourd’hui), « dotés de moyens performants », composeront la « nouvelle force ».
« On ne s’en va pas »
Apparu sur les écrans maliens seulement quelques jours après la véhémente prise de parole du Premier ministre de la transition, Choguel Maïga, à l’ONU, qui a accusé la France d’« abandon en plein vol », le spot publicitaire sonne comme une réponse à la brouille diplomatique qui sévit actuellement entre Paris et Bamako. « On pourrait croire en effet que cet affichage arrive en réaction aux déclarations du Premier ministre malien, mais celle-ci a été décidée bien avant les propos qu’il a tenus à l’égard de la France. Il a fallu un peu de temps pour la concevoir », rectifie le colonel Pascal Ianni, porte-parole de l’état-major des armées françaises. Elle aurait même été initiée dès le mois de juillet, selon une autre source au sein de l’armée française.
Moins d’un mois plus tôt, Emmanuel Macron affirmait que la France n’avait pas « vocation à rester éternellement au Mali », et annonçait la « restructuration » en profondeur de l’opération extérieure française. Celle-ci, assez mal comprise, a largement été interprétée comme un départ de Barkhane. « Nous souffrons d’un déficit de communication sur la question de notre restructuration. Depuis l’annonce d’Emmanuel Macron en juin, les Maliens pensent qu’on s’en va. Ce n’est pas le cas », résume notre gradé.
Guerre des perceptions
La campagne répond surtout à la nouvelle stratégie adoptée par le ministère des Armées : « la guerre informationnelle ». Dirigée par le nouveau chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard, qui a succédé à François Lecointre en juillet 2021, l’armée hexagonale entend notamment renforcer sa doctrine en matière de « lutte informatique d’influence ». Un jargon qui renvoie à la lutte « contre la propagande terroriste et la manipulation de l’information, partout sur les théâtres d’opération où les armées françaises agissent », résumait la ministre française des Affaires étrangères, Florence Parly, le 20 octobre dernier, présentant la nouvelle doctrine et annonçant un renforcement des équipements et ressources humaines consacrés à la lutte d’influence.
Un « combat informationnel », ou « guerre des perceptions », censée permettre de « gagner la guerre avant la guerre », estime le général Burkhard. « On a vécu vingt ans durant lesquels la logique était l’engagement sur le terrain, mais aujourd’hui ce n’est plus l’unique solution », martelait-il ainsi devant la presse le 5 octobre.