QUI EST VRAIMENT ASSIMI GOÏTA, MONSIEUR NON
Secret et discret, l’ancien commandant des Forces spéciales s’est engagé dans une épreuve de force sans précédent avec la Cedeao et la France. Est-il prêt à tout pour se maintenir au pouvoir ?

C’est le jour du Sacrifice. En cet Aïd-el-Kébir, la foule se presse dans la grande mosquée de Bamako. Partout dans la ville, l’heure est à la fête, et l’humeur des hommes venus se recueillir est badine malgré le déploiement des forces de sécurité : les plus hautes autorités sont en train de prier. Tout à coup, un homme surgit dans le dos d’Assimi Goïta. Il brandit un couteau, tente de l’atteindre à la gorge. Mais c’est à un colonel des forces spéciales qu’il s’en prend, un homme qui a chassé les terroristes dans le Nord, appris à se défaire de l’ennemi, combattu au corps-à-corps. Le militaire esquive. Imperturbable.
Ce n’est pas la première attaque à laquelle le président de la transition échappe. Il le sait déjà : ce ne sera pas la dernière. En quelques instants, ce 20 juillet 2021, l’assaillant est maîtrisé, et la sécurité personnelle du dirigeant malien quadrille les environs de la grande mosquée. « Que Dieu lui donne de la force ! » scandent en bamanankan quelques badauds lorsque Goïta s’éclipse. À son retour au palais de Koulouba, entouré de quelques fidèles, le rescapé relativise. « Cela fait partie du jeu », dit-il, serein. Du jeu ? Mais à quoi joue-t-il ?
« Non à la Cedeao, non aux sanctions ! » Six mois après cette tentative d’assassinat, le 14 janvier 2022, une foule immense défie la Cedeao. Elle a répondu à l’appel de son chef, qui a savamment orchestré cette démonstration de force en Conseil des ministres. Des millions de francs CFA ont été mobilisés pour que les Bamakois descendent dans les rues. La Cedeao voulait des élections le 27 février 2022 ? C’est non. Elle consent à accorder à la junte un délai un peu plus long pour se maintenir au pouvoir, à condition qu’il n’excède pas six mois ou un an ? C’est encore non. Ici, à Bamako, c’est Goïta qui commande. Et il fait ce qu’il veut.
Comment cet inconnu s’est-il retrouvé à la tête du Mali, engagé dans un bras de fer quasi insensé ? A-t-il toujours rêvé des ors de Koulouba ? Pour comprendre l’ascension de ce discret militaire, il faut revenir à la journée du 18 août 2020.
La surprise
Ce mardi-là, cinq colonels mettent en œuvre leur plan : en quelques heures, ils arrêtent et renversent le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), affaibli par plusieurs mois de contestation populaire. Les conspirateurs s’appellent Malick Diaw, Ismaël Wagué, Sadio Camara, Modibo Koné et Assimi Goïta.
Les trois derniers ont usé les bancs du Prytanée militaire de Kati, sont issus de la garde nationale et évoluent dans le cercle de certains des hommes les plus influents de l’appareil sécuritaire : Moussa Diawara, le patron de la sécurité d’État sous IBK, qui a étrangement disparu ce jour-là ; le général Cheick Fanta Mady Dembélé, un ancien de Saint-Cyr, qui s’est illustré dans plusieurs opérations panafricaines de maintien de la paix, et Ibrahima Dahirou Dembélé, l’ancien ministre de la Défense. Le rôle de ces hommes, considérés par certains observateurs comme les cerveaux du putsch, n’a jamais été éclairci.
Le premier acte de leur coup réussi, les conjurés se réunissent à Kati, l’immense camp militaire situé à 15 km de Bamako. Il faut alors passer à l’acte II et choisir qui dirigera la transition. Malick Diaw lorgne le poste. Il est l’aîné et a de l’expérience : il a déjà participé au coup d’État du capitaine Amadou Haya Sanogo contre Amadou Toumani Touré, en 2012, et espère que son heure est venue. Mais il est clivant et passe pour être incontrôlable. Il ne fait pas l’unanimité parmi les putschistes. À trois reprises, le nom de Goïta apparaît.
L’intéressé se dit surpris. Il y a de quoi. Certes, en tant que commandant des Forces spéciales, il a l’habitude de mener des hommes, mais il n’a jamais vraiment confié à ses compagnons d’armes qu’il avait de l’appétence pour le pouvoir politique. Le colonel accepte pourtant sans ciller sa nomination. « En le désignant, les putschistes ont fait le choix du plus faible, juge un diplomate installé dans la sous-région. Sadio Camara a influencé le vote parce qu’il croyait contrôler Goïta. »