EXCLUSIF SENEPLUS - Ce n'est pas pardonnable d'être journaliste et relayer les propos des tenants d'un “troisième mandat” illégal mais avant tout immoral à tout point de vue. Ce n'est pas une question d'équilibre mais de responsabilité
Cette tribune destinée à la presse sénégalaise appelle à des prises de position éditoriales plus fermes face à la violence d’État exercée par le régime actuel.
Il est des glissements vers l’autoritarisme qu'on ne soupçonne pas mais qui se reflètent dans nos modes de pensée.
La plus illustrative d'entre elles est de pouvoir deviner qui, de nos jours, est susceptible d'être inquiété par la justice non pas pour ses propos mais pour son affiliation politique ou la contradiction du discours politique officiel.
Il faut des hommes pour matérialiser les injustices mais il y a des corps de profession pour le permettre. Si les politiques au pouvoir sont à l’initiative de cette entreprise globale de répression des opinions, il est deux entités qu’il faut tenir particulièrement pour responsables de la situation actuelle : la Justice et la Presse pour leur rôle actif ou passif, c'est selon, au service d'ambitions liberticides.
Le Sénégal a connu des jours sombres à la fin du règne d’Abdoulaye Wade avec des morts qui n'auraient pas dû être et des personnes marquées à vie par les conséquences d'une ivresse de pouvoir.
Aujourd’hui encore les mêmes déclarations incendiaires, les difficultés socio-économiques et le climat de tension encore plus exacerbé font craindre le pire.
Une tension entretenue car si le chef de l’État avait douteusement expliqué vouloir écarter tout débat nuisible à la suite de son mandat, il faut noter que sa promesse de sanctionner ceux qui iraient à l’encontre de sa ligne de conduite ne s’est globalement appliquée qu’à ceux qui ont rappelé ce que lui-même avait dit et redit très clairement : il ne pourrait se représenter en 2024.
Pourtant, ses ministres (en tête, son Premier ministre le pressant de se déclarer), directeurs d’agences publiques et partisans de tous bords, déroulent à leur aise leur agenda pour un “second quinquennat” par des pétitions, déclarations de presse et meetings, parfois en sa présence et disent se mobiliser pour concrétiser leur "unique option pour 2024" sans que cela ne semble gêner le chef du parti.
Il ne fait donc plus aucun doute que si ce n'est sa principale option, Macky Sall se ménage encore les moyens de concrétiser une volonté de se représenter à nouveau et/ou d’écarter les concurrents sérieux à son poste. Sa récente sortie dans le média L'Express s’ajoute à une longue liste de signaux rouges.
Il est important de parler de cette troisième candidature car elle est à la source de tout. Et il convient si ce n’est déjà tard, d’anticiper les conséquences meurtrières de l’instauration d’un tel débat car à ce stade, ce n'est pas pardonnable d'être journaliste et relayer, en estimant n’être que factuel, les propos de leaders politiques qui professent un “troisième mandat” illégal mais avant tout immoral à tout point de vue. Ce n'est pas une question d'équilibre entre parties mais de responsabilité vu le passé très récent.
En d'autres termes, on ne peut pas prétendre exercer un métier ayant pour vocation de préserver la démocratie et torpiller les rares piliers sur lesquels elle repose.
Bien que nous soyons dans une période d'extrême polarisation de l'information, il ne s'agit pas d'une position partisane mais bien républicaine. Si la presse doit servir d’arbitre du jeu démocratique, s’opposer aux méthodes déloyales d’un acteur est tout sauf une interférence, surtout lorsque cet acteur utilise les puissants moyens mis à disposition de l’État contre une partie de la société.
Il s’agit donc de servir de rempart face à la machine répressive du régime actuel, préserver l'État de droit et surtout la liberté d'expression, celle-là même qui nous permet d'exercer ce métier et que le régime actuel réduit de jour en jour à néant.
Suivre des principes est parfois pénible car il implique de défendre des personnes pour lesquelles nous n'avons aucune sympathie, y compris au sein de notre profession. Aucun membre de la corporation n’est d’ailleurs épargné.
De nos jours, ne pas être inquiété pour son travail journalistique n'est pas fonction du respect des règles, tout dépend de sa capacité à gêner le projet antidémocratique qui se déploie depuis plusieurs années.
Il y a déjà eu une succession de faits marquants sur lesquels nous avons raté le coche.
La première concerne les germes liberticides contenus dans les textes régissant notre métier. Il ne faut que le moment opportun pour qu'ils soient utilisés contre les voix discordantes.
La diffusion de fausses nouvelles, la diffamation, le secret défense, les supposés outrages à l'Institution, des concepts qui ont malheureusement eu de meilleurs avocats dans la presse que ceux qui s’en prévalent pour intimider journalistes, activistes et opposants ou simples citoyens.
Heureusement qu’il reste dans les évènements politiques, des moyens de comparaison avec les risques liés à notre métier pour une meilleure prise de conscience de l'enjeu.
Interrogeons-nous, par exemple, quatre fois :
- Pourquoi faut-il, aux journalistes comme aux citoyens épris de transparence, s’entourer de toutes les subtilités possibles voire même s’autocensurer quand ils savent détenir un document, rendu confidentiel à dessein, relatant des faits d’intérêt public ?
- Pourquoi l’exigence (injustifiée) à la presse de respecter le secret de l’instruction est moins évoquée dans le débat public, les fuites de pv ici et là devant permettre à grande peine d’avaliser dans l'opinion des détentions plus qu’arbitraires et humiliantes.
- Pourquoi est-il inconsciemment considéré comme plus risqué légalement de filmer l’acte que de procéder à un racket quotidien et systématique sur les routes ?
- Alors que les moments les plus décisifs d’une nation se jouent souvent dans le secret et que dans bien des pays, on se bat et force les barrières que les gouvernants imposent pour le préserver, il n'y a rien de plus aberrant que certains, ici, justifient d'être écartés au nom d’une certaine “légalité”. À qui donc cette protection du secret sert-elle et est-ce l'essence de notre métier et d’une démocratie ?
Des carrières sont brisées, des personnes sont mortes sans qu'il ne leur soit accordé la considération qui sied en leur rendant justice et d'autres anonymes séjournent en prison car, faillite collective, échapper de nos jours aux injustices dépend du degré d’engagement de sa corporation.
Il nous faut ramener la logique démocratique et replacer l’humain au cœur de notre métier, privilégier la légitimité du but démocratique que nous poursuivons face à une légalité contraire aux intérêts du public, analyser ce que vaut et signifie le "respect" d’une Institution quand les hommes qui l’incarnent temporairement piétinent la dignité de ceux qu'ils devraient servir.
A mes confrères, il y a urgence démocratique.
LES CONDAMNATIONS DE LA LSDH À PROPOS DE LA SITUATION DU PAYS
La Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), à travers son vice-président, a fait hier une sortie pour condamner, avant de donner des pistes de solution et des recommandations pouvant sortir le pays de cette situation tendue qu’il vit.
La Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), à travers son vice-président, a fait hier une sortie pour condamner, avant de donner des pistes de solution et des recommandations pouvant sortir le pays de cette situation tendue qu’il vit depuis quelques jours.
Aux yeux de la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), les heurts de ces dernières heures n’honorent pas le Sénégal, car une injustice ne peut se réparer par une autre injustice. La tournure de la situation sociopolitique du moment, en prélude de la prochaine élection présidentielle de 2024, selon son vice-président, est assez tendue, et ne devrait laisser aucun citoyen sénégalais indifférent.
Pour le professeur Denis Ndour, l’indignation et la peur animent la plupart des Sénégalais, à chaque fois que les politiques, pouvoir comme opposition, profèrent des discours musclés de défiance et de menace.
‘’Au moment où nous enregistrons deux morts en 48 heures, on s’interroge sur le mutisme de certaines personnalités (figures historiques vivantes, leaders religieux, leaders d’opinion, communicateurs traditionnels...) pour un appel à l’apaisement. Mais, à mon avis, on ne peut étouffer que par de simples discours cette violence graduelle que nous constatons au Sénégal, depuis quelques années et, particulièrement, durant ces dernières 72 heures qui, à la limite, agasse tout le monde. En effet, il s’agit là d’une violence dormante qui nécessite une analyse profonde pour des remèdes durables. Pourquoi une simple convocation au tribunal pour un différend entre deux Sénégalais devrait prendre le pays en otage ? Au nom de quelle loi devrait-on imposer, voire conduire de force un citoyen lambda qui a choisi d’aller répondre librement à sa convocation au tribunal ? Ceci n’est-il pas une forme de violence ? À qui la faute et quelles solutions ? Des citoyens sont tués fréquemment, lors des manifestations, et cela ne constitue aucunement une menace de sanction du côté des forces de sécurité chargées de maintenir l’ordre, en sachant pertinemment que ces homicides font rarement l’objet d’une enquête ou de poursuites’’, souligne le Pr. Ndour à travers une note rendue publique.
D’ailleurs, fait-il remarquer, il est difficile d’obtenir des chiffres fiables sur les homicides commis par des forces de l’ordre, car dans de nombreux pays, ces données ne sont pas collectées ou pas publiées. C’est toujours le mutisme de l’État qui, souvent, se réfugie derrière des commissions d’enquête qui finissent par être oubliées. ‘’Quand l’autorité qui doit interdire la violence et éduquer à la non-violence, se désole-t-il, exerce la répression ou perpétue devant tout le monde des scènes de violence, on peut comprendre ceux qui ont la perception d’un sentiment d’injustice quand les forces de l’ordre brutalisent, humilient et arrêtent des leaders politiques, des citoyens et des journalistes lors des manifestations pacifiques’’.
Légitimation de la violence par l’Etat
‘’En effet pour légitimer la répression, le pouvoir, souvent, se réfugie derrière le slogan habituel ‘’Force doit rester à la loi’’. Sans chercher à accabler tel ou tel corps de métier, les faits constatés durant ces 72 heures nous poussent à dire que, quelles que soient les circonstances, ces images posent la question de l’usage proportionné de la force par certains policiers. Le fait de commettre des bavures au cours de la dispersion d’une manifestation augmente simplement les heurts et les confrontations, mais ne les limite pas. D’ailleurs, depuis un certain temps, au Sénégal, la violence étatique, entendue comme l’emploi illégitime de la force physique par les agents de l’État, survient systématiquement lors des rassemblements ou marches politiques, lors de contrôles policiers, au cours de l’interpellation des manifestants ou pendant leur détention, ou durant les séances d’interrogatoire, particulièrement propices aux mauvais traitements, donc à la torture’’, dénonce le professeur Denis Ndour.
Ainsi, poursuit le droit-de-l’hommiste, contrairement à la bavure, la torture possède une définition juridique internationalement reconnue. Elle désigne tout acte commis par un fonctionnaire public ou une autre personne sur son instruction, qui inflige intentionnellement à une personne des peines ou souffrances graves, physiques ou mentales ou simplement pour la priver de sa dignité d’être humain, pour lui ôter sa capacité de penser.
Quant à la violence émeutière, elle ne résulte pas seulement d’un choix tactique de ‘’guérilla urbaine’’ de la part des manifestants, elle est aussi une pratique de contournement de la répression policière, souligne-t-il.
‘’Permettez-moi de rappeler que le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU (CDH) a adopté, unanimement, une résolution condamnant les violences policières et déplore tous les incidents de recours excessif à la force et d’autres violations des Droits de l’homme par les forces de l’ordre contre des manifestants pacifiques. Certes, nous souhaitons que les coupables de violence policière puissent payer pour leurs fautes, c’est pourquoi comme pistes de solutions nous pouvons nous inspirer de l’exemple de la législation belge. En effet, la difficulté provient précisément de ce que, à défaut de pouvoir filmer, des particuliers, victimes de violences policières, se retrouvent généralement sans moyen de preuve. La loi belge n'interdit pas à un particulier de filmer des policiers en cours d'intervention. Il serait bon de le rappeler aux policiers qui peuvent certes trouver cela désagréable, mais doivent l'accepter. Ce qui pourrait poser problème, c'est la diffusion de telles images qui, dans certaines circonstances, peut constituer une infraction. Mais au cours de leur intervention, les policiers ne peuvent présumer que les images seront diffusées, éventuellement de manière illégale, et ne peuvent donc en aucun cas empêcher l'enregistrement’’, indique le Pr. Ndour.
‘’C’est quand les agents de la force publique tuent que le scandale surgit’’
Ainsi, pour parvenir à un dégel, il émet trois recommandations. À l’opposition, il faut désormais, selon lui, suivre la procédure de recours jusqu’au bout, quand une demande de manifestation n’est pas accordée et éviter le discours de défiance du genre : ‘’Autorisation ou pas, nous allons faire notre manifestation.’’
À l’endroit des autorités étatiques, il demande de faire preuve de respect du droit constitutionnel de manifester, puisqu’il ne fait aucun doute que l’interdiction des manifestations génère l’affrontement, et éviter, non seulement, d’interdire les manifestations, quand on sait que les effectifs des forces de sécurité sont assez suffisants pour assurer l’encadrement, mais encore éviter de notifier le refus de l’autorisation à quelques heures de l’événement. Ceci n’est pas professionnel.
Concernant les forces de défense et de sécurité, il demande d’éviter d’exécuter des ordres sans humanisme ni respect de la dignité humaine. ‘’Nous sommes tous des Sénégalais. Mais surtout, durant les manifestations, veuillez identifier et arrêter ceux qui commettent des exactions pour ensuite venir se réfugier auprès de vous sans être inquiétés. Si l’absence de libertés facilite le jaillissement de la violence policière, il n’est pas nécessaire que celle-ci se termine dans le sang. Tout dépend des techniques et des moyens employés pour faire face aux altérations de l’ordre public. Les policiers doivent communiquer avec les manifestants au lieu de les charger systématiquement’’.
Il ajoute : ‘’Faisons attention, car c’est quand les agents de la force publique tuent que le scandale surgit et réveille l’hostilité populaire. L’impunité est une injustice. Il est temps d’éteindre cette braise de violence qui commence à ternir l’image du Sénégal. Trop, c’est trop ! Dans la concordance, l’unité et le respect de la dignité du citoyen, remettons-nous au travail à travers une co-construction sincère entre acteurs pour un pays de la Teranga terre de paix et de démocratie’’.