AND JËFF, LA BELLE RÉUSSITE MAIS AUSSI QUEL GÂCHIS ! (3/10)
EXCLUSIF SENEPLUS - Comment And Jëff en est arrivé là où il est, divisé, quasi absent dans la formulation des alternatives dans le champs politique sénégalais depuis 2000 ? Ce mouvement révolutionnaire n'a presque plus de relève

Le 21 septembre dernier, à la Maison de la Culture Douta Seck, l’ex Xarébi/And Jëff - Mouvement Révolutionnaire pour une Démocratie Nouvelle (MRDN) - la gauche communiste sénégalaise d'obédience maoïste - mouvement qui est devenu maintenant And Jëff Parti Africain pour la Démocratie et le Socialiste (And Jëff/PADS), a organisé une journée de souvenirs, dédiée à ses membres disparus. Prétexte pour le feuilleton managérial ‘’La gauche sénégalaise, une histoire explicative’’, par un jet d'articles, de revenir sur le ‘’And Jëff'', du MRDN jusqu'au PADS, qui fut à l'époque et pour la gauche révolutionnaire sénégalaise, le potentiel, la promesse mais aussi un problème et une grande désillusion aux temps présents.
Avec le recul, quelle belle réussite et quel impact positif du mouvement révolutionnaire sénégalais qui est And Jëff mais aussi quel gâchis, And Jëff ! En jetant un coup d’œil sur le rétroviseur, deux interrogations nous viennent à l'esprit, dans ce gâchis : (1) Comment And Jëff en est arrivé là où il est, divisé, quasi absent dans la formulation des alternatives dans le champs politique sénégalais depuis 2000 et surtout (2) comment ce mouvement révolutionnaire puis ce grand parti de gauche dont l’ADN était la détection, la formation, l'encadrement et le placement des porteurs d’enjeux et des porteurs de voix, n'a presque plus de relève et risque de mourir de sa belle mort ? Mais tout d’abord, And Jëff, la belle réussite !
And Jëff, la belle réussite !
Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, And Jeff, a réussi sa mission initiale et historique mais a échoué dans sa mission seconde et principale (nous y reviendrons). Dans les cercles d'études marxistes, à l’époque, on enseignait que ce n’est pas au parti (en soi) de prendre le pouvoir, mais au peuple. Tout au plus, le parti stimule et féconde l’action populaire. Ce peuple (révolutionnairement s'entend et dans une perspective marxiste-léniniste), est aussi une manifestation dont les identités les plus visibles actuellement au Sénégal, sont issues de And Jëf'f'. Dans presque tous les domaines des forces vives de la nation. Pour preuve, que le camarade Macky Sall arrive au sommet du pouvoir en devenant le président de la République, chef de l'Etat du Sénégal, est une victoire en soi du mouvement révolutionnaire sénégalais et d’And Jëff. Dans la galaxie du pouvoir politique d'Etat, au plus haut niveau, gravitent des (ex) ‘’révolutionnaires’’. Ou encore ce qu'il en reste…..Que le parti And Jêff ne prenne pas le pouvoir est l’exception. Que les révolutionnaires incarnent le pouvoir est la règle qui confirme l’exception. And Jëff se donne à voir comme une affaire d'honnêtes citoyens d'un certain âge alors que dans la réalité des choses, And Jeff (sa jeunesse d’alors, ses idéaux, son combat) n'a jamais été aussi présent dans les espaces politiques, civils et médiatiques. C'est cet ''esprit And Jëff’’ et cette ‘’conscience historique et politique And Jëff’’, qui gouvernent le Sénégal depuis le palais présidentiel, qui s'opposent/s'apposent au régime en place dans l’opposition/l’apposition, qui ont investi la société civile et le monde de l’activisme et de la citoyenneté participative, tiennent de main de maître le mouvement paysan sénégalais et le mouvement syndical sénégalais. La contradiction est le moteur de l'histoire. ‘’L’esprit And Jeff’’ et la ‘’conscience historique et politique And Jëff, traversent le Sénégal, juste dans sa moelle épinière et dans ses tripes, mais la structure, le parti And Jeff/PADS, semble être dépassé par les événements en cours. Et c’est dans l’ADN des mouvements révolutionnaires dont la vocation historique n'est pas de prendre le pouvoir pour l'exercer et en jouir, mais d’influer et de peser considérablement sur la trajectoire du pouvoir, pour la prise en charge de ses revendications. ‘’L’esprit And Jëff et la ‘’conscience historique et politique And Jëf'f', ont tellement essaimé dans la société sénégalaise que le Sénégal n'est pas en crise mais en mutation, sous la combinaison de trois chocs : (1) un choc des économies, un choc démographique et un choc des cultures.
‘’And Jêff’’, quel gâchis !
Jamais dans l’histoire politique de la gauche sénégalaise, parti n’avait été aussi attrayant, aussi appétissant, aussi vivant, aussi prometteur et aussi sexy pour un esprit révolutionnaire, que le And Jêff, en termes de solutions alternatives, d’idées progressistes et d’humanisme réfléchie et assumée. Au siècle dernier, au temps des batailles idéologiques, quand la publication des socialistes, ‘’Club et Nation’’ (1969), avec une vocation politique très marquée, donnait le rythme en termes de réflexion et d’actions, la revue ‘’Famille et Développement’’ (1974), affiliée à And Jêff, pilotée par Marie Angélique Savané, marquait la cadence d’une réflexion libre, mais rigoureusement, sur les grands enjeux, comme ceux de la souveraineté nationale, des processus de développement, de la capacité des personnes à agir sur leur environnement et leur vie. Le défunt Babacar Sané, tenait la dragée haute face à Bara Diouf, Jacques Diouf et autres dans les colonnes du quotidien national Le Soleil. Sans compter le journal Xarébi et les actions de terrain du mouvement des femmes de And Jeff, ''Yéwu Yéwi''.
S’il y a un domaine où And Jêff a particulièrement échoué, c’est dans celui de la transmission, dans ce qui fut pourtant son point fort, sa marque caractéristique et son avantage distinctif : la détection, la formation, l’encadrement et le placement. Aujourd’hui, les centres ACAPES (Association Culturelle d'Auto Promotion Educative et Sociale) - foyers ardents - ne sont plus ce qu’ils étaient. La logique de rentabilité (d’équilibre) financière, a pris le dessus sur la logique militante et du don de soi. Parce qu'aussi le monde a changé, n’est-ce pas Mame Thierno Diagne ? Dans les collèges, dans les lycées tout comme à l’université, le plus important n’est plus ‘’la détection, la sélection et le pistage de futurs leaders dans le combat idéologique et révolutionnaire, mais plus dans la bataille et la défense des intérêts matériels et moraux des enseignants. Car, à l’époque, And Jêff faisait le tri de ses (futurs) militants.
La désillusion du mouvement révolutionnaire sénégalais, c’est qu’il n’a plus un agenda idéologique (réflexion et transformation sociétale) mais garde un calendrier politique (élections et postes). L’arrivée au pouvoir du président Macky est une victoire du mouvement révolutionnaire mais And Jeff n’est pas encore en mesure de la conceptualiser aussi à son profit, à développer un argumentaire politique - un marketing politique - pour prendre sa part de victoire du mouvement révolutionnaire dans le jeu actuel des acteurs, au plan politique. C’est cela, les limites de tout mouvement révolutionnaire qui, dans son ADN, a une durée de vie précise : de sa naissance jusqu’au renversement du pouvoir en place. Une fois l’objectif atteint, la mission accomplie et la victoire consommée, tout mouvement révolutionnaire se doit de se réinventer, de se fixer un nouvel horizon, d’enclencher de nouvelles dynamiques, explorer de nouvelles stratégies, développer de nouveaux outils, innover par de nouvelles approches. Sans quoi, le mouvement révolutionnaire implose de l’intérieur et c’est ce qui est arrivé aux différents partis de la gauche radicale sénégalaise, une fois le PS puis le PDS chassés du pouvoir.
Sans quoi, on est dans le compromis et le grand Lénine professait que ‘’de compromis à compromis, on s’éloigne de l’idéologie’’. De compromis en compromis, on bascule sans s’en rendre compte dans la compromission. Et avec le président Wade (2000-2012), le moins que l’on puisse dire, c’est que And Jëff était passé du compromis à la compromission, avant de se rebiffer. L’une des erreurs stratégiques et politiques d’And Jeff, aura été aussi d’aller très loin avec le régime libéral, dans un jeu mortel de la séduction et du flirt politique. ‘’Gagner ensemble’’, oui. Mais ‘’gouverner ensemble’’, pas vraiment, si on veut rester en cohérence avec ‘’l’esprit révolutionnaire’’. Un révolutionnaire ne déménage pas pour habiter dans un palais, mais se doit de rester avec les masses et toujours près du peuple. Après avoir rendu possible la première alternance, en compagnie des ‘’soviétiques’’ de la LDMPT et du PIT, les ‘’chinois’’ d’And Jêff ont goûté au fruit défendu, pour un révolutionnaire. Cela fait forcément désordre.
Dans le prochain numéro de cette feuilleton, nous reviendrons sur ''And/Jeff : le potentiel, la promesse et mais aussi le problème, de la gauche radicale sénégalaise, du mouvement révolutionnaire sénégalais''.
Siré Sy est fondateur du Think Tank www.africaworldwidegroup.org