DERRIERE LA CRISE, LES OMBRES D’UNE DUALITÉ PEUR VS COURAGE
Tout porte à croire que Macky Sall est habité par une anxiété de type contre-phobique. Il doute de beaucoup de choses. Il est en proie à la suspicion qui peut aller jusqu’à la paranoïa quand la personnalité se désintègre

« Il est très facile de casser et de détruire. Les héros, ce sont ceux qui font la paix et qui la bâtissent. », Nelson Mandela.
Je continue dans cette série des couples de contraires complémentaires en abordant la dualité peur/courage. Mais cette fois-ci, je l’examine en utilisant comme objet de réflexion : le contexte actuel de crise aiguë qui secoue notre pays et interpelle tous les intellectuels. Cet article va dans le sens de l’apaisement. Il y a eu déjà beaucoup de pertes en vies humaines et des dégâts matériels considérables.
Plusieurs personnes ont dit que le président Macky Sall est habité par de l’anxiété. Y a -t- il un rapport entre ladite anxiété et cette situation ? Comment peut-on sortir intelligemment de cette crise ?
Y a -t-il une relation entre ladite anxiété et cette situation ?
Nombreux sont ceux qui disent que le président Macky Sall est anxieux. Je suis son ancien camarade de la Faculté des Sciences. Je ne prétends pas le connaître. Très honnêtement, le seul souvenir que je garde de lui est celui d’un étudiant combatif que je rencontrais dans les assemblées générales, à côté d’autres camarades comme Mbathie, Mbodji, Diabakhaté, feu Meïssa Touré, etc.
De nombreuses voix ont évoqué cette anxiété (que je confonds avec la peur, par souci de simplification, bien qu’elle soit définie par certains comme une peur sans objet ou une peur « mentalisée »). La liste de ces voix est longue : Idrissa Seck, la Première Dame, le Commissaire Sadio (qui a plus mis en exergue son côté hermétique), Bacary Domingo Mané, Ousmane Sonko, Moustapha Guirassy, etc. Je retiendrai juste deux voix qui me semblent extrêmement importantes : celle de la Première Dame et celle de Moustapha Guirassy.
Dans un entretien avec Vincent Hugueux, Marième Faye Sall dit : « Moi je gère, lui, il est tellement stressé. » (1)
Voici ce que dit Moustapha Guirassy, à travers les ondes de SenTV : « Macky Sall est un être humain avec ses peurs et ses ombres. Il faut qu’on l’aide à apprivoiser ses ombres… » (2) L’analyse de Moustapha Guirassy est d’une grande lucidité. Je la partage intégralement. Bacary Domingo Mané avait abordé la question dans le même sens. (3) Sans avoir la prétention de décrypter toute la situation avec cette seule grille de lecture psychologique, je crois qu’elle a un poids significatif pour comprendre certains éléments du contexte.
Tout porte à croire que notre président est habité par une anxiété de type contre-phobique (décrite simplement par de la peur dans l’inconscient couplée à la bravoure dans la conscience). Cette anxiété silencieuse pilote les éléments conscients sans en avoir l’air. L’individu de ce type de personnalité vit une situation d’ambivalence. Il voit de l’incertitude partout. Il voit des dangers partout. Il doute de beaucoup de choses. Il est en proie à la suspicion qui peut aller jusqu’à la paranoïa quand la personnalité se désintègre. On le voit dans le cas de Macky Sall, qui n’est en odeur de sainteté ni avec ses opposants, ni avec ses « ennemis internes ». La seule chose qui le hante en ce moment, c’est la question du troisième mandat avec toutes les projections dangereuses et menaçantes qu’il en perçoit pour lui et/ou les siens (condamnation, prison, dépossession, etc.). Son principal ennemi, en réalité, c’est son mental.
La dialectique peur/courage n’est pas toujours facile à percevoir. Aristote définit le courage à partir de la crainte. « L’homme courageux est celui qui supporte et sait craindre ce qu’il faut craindre et supporter ; qui le fait pour une juste cause ; de la manière et dans le moment convenables… » (4). Le courage se rapporte bien aux émotions de peur et de calme. La peur est une émotion normale qui nous avertit de la présence ou de l’imminence d’un danger. Elle est largement connectée au cerveau reptilien. Elle nous permet surtout de faire face à l’insécurité.
Toutes les personnalités sont en proie à l’anxiété, mais il existe un type de personnalité qui a peur de quasiment tout. Ce dernier présente une version phobique qui refoule la peur au niveau de son inconscient, et présente, à l’extérieur, un comportement absolument cordial et bienveillant. Il existe une autre version contre-phobique (celle de notre Président) qui refoule la peur au niveau de l’inconscient, et présente, à l’extérieur, une vitalité qui ressemble beaucoup à du courage ou de l’agressivité, selon l’intensité avec laquelle elle est perçue.
Face à la peur, la personne de la première version met en place une « forteresse » d’amis, de gens acquis à elle et qui sauront la protéger ; la personne de la seconde version ne compte que sur elle-même pour répondre à la peur. La peur, silencieusement (logée au niveau de l’inconscient), pilote ces deux individus avec des points aveugles qu’ils ne perçoivent pas. Ces deux versions ne sont pas complètement séparées.
On dit des gens de ce type de personnalité « qu’ils sont faciles à aimer, mais difficiles à connaître ». La clé pour comprendre ce type d’individu est l’ambivalence vis-à-vis des autres et vis-à-vis de lui-même. La personnalité oscille entre agressivité et cordialité : fort et faible, indépendant et dépendant, acerbe et doux, etc. Il est capable de s’aimer, mais également il se dénigre en s’estimant inférieur aux autres. Il a confiance en lui-même, mais se sent des fois désespéré et sans appui. Ces deux pôles oscillent en permanence dans sa tête lorsque la personnalité se situe dans un niveau de développement moyen ou bas. Ajoutons que ce personnage épouse le paradigme de la mentalité de pénurie ou du jeu à somme nulle. « Si je gagne, il perd. Si je perds, il gagne. » En poussant très loin ce jeu, il peut être très cynique. Si vous êtes avec moi, vous me protégez, je vous protège. Si vous êtes contre moi, la seule perspective qui m’offre de la sérénité est de vous abattre. L’intimidation est le meilleur moyen pour assurer son équilibre quand il est en proie à ces mécanismes égotiques.
Quand la personnalité évolue vers la maturité, ces deux pôles fonctionnent main dans la main et le personnage gagne en stabilité : il se sent sécurisé, accepté, confortable et en paix avec lui-même. Cette sécurité vient de l’intérieur de lui-même. Mais dès qu’il quitte ce niveau, cette ambivalence reprend de plus belle et il cherche dans le monde extérieur des appuis (autorité, système de croyances, etc.). C’est là que les problèmes s’amplifient, car il cherche sa stabilité intérieure dans le monde extérieur.
Comment peut-on sortir intelligemment de cette crise ?
Des deux côtés du pouvoir comme du mouvement démocratique qui fait face, nous retrouvons la mentalité de pénurie (très répandue chez les personnes anxieuses). Les uns, appelés des « faucons », vont entraîner le Président Macky Sall dans le déni total : « Vous avez l’Armée, vous avez la Police, vous avez l’État. Il faut mater ces éléments subversifs ». Les jusqu’au-boutistes de l’autre camp vont dire « qu’il n’y a rien à espérer du président Macky Sall, il faut que le peuple maintienne la pression jusqu’à son départ ». Pourtant, il existe un autre paradigme plus intelligent, qui contribue à la sauvegarde de la démocratie, mais qui demande de la part de tous les acteurs un vrai sens du dépassement. Seuls les vrais courageux, les magnanimes peuvent défendre cette option. C’est la mentalité d’abondance.
Voici une série de propositions de sortie de crise s’appuyant sur ladite mentalité :
1. Libération de Sonko et de tous les prisonniers politiques ou d’opinion.
2. Renoncement au troisième mandat de façon explicite.
3. Nomination d’un Premier ministre neutre, crédible, et engagement ferme à créer toutes les conditions de transparence pour les futures élections (législatives, municipales et présidentielles) ; remaniement ministériel avec des changements au niveau des postes du ministre de l’Intérieur et du ministre de la Justice. Les trois années à venir seront largement consacrées à la mise en œuvre des programmes économiques.
4. Prise en charge spécifique des dossiers sur lesquels le Président a mis son coude avec une option de non-poursuite judiciaire (comme le suggère Abdoul Mbaye) et mise en place d’un comité ad hoc chargé du recouvrement à l’amiable ; ce comité devrait intégrer de grands leaders reconnus pour leur « mandute » et leur hauteur de vue, comme Fatou Sow Sarr, Hélène Tine ou Nafy Ngom Keita. Les modalités de fonctionnement et les mécanismes de recouvrement devront être définis exceptionnellement par ce comité. Ce point est extrêmement important, car il permet d’exorciser les différentes peurs.
5. Acceptation de changements dans le dispositif institutionnel ou légal qui ne permet plus au chef de l’État de mettre le coude sur des dossiers de détournement de deniers publics ; l’État sera dorénavant implacable sur les nouveaux dossiers transmis par les corps de contrôle. Cette mesure doit être accompagnée de modifications institutionnelles qui garantissent l’indépendance des juges vis-à-vis de la chancellerie.
6. Échange avec l’opposition pour réparer tous les torts et tous les dégâts collatéraux liés à cette crise et ouverture de chantiers de développement ou de transformation avec l’opposition et la société civile (inondations, immigration, etc.).
En un mois, Ousmane Sonko a peut-être accumulé en capital sympathie plus que ce que Macky Sall a obtenu en trois ans. Il est devenu un acteur incontournable de la scène politique. Accepter de travailler avec cette force – sans entrisme – serait pour le président Macky Sall une voie qui lui permettra de sortir par la grande porte de l’histoire. Le schéma proposé ci-dessus procède d’une mentalité d’abondance de type gagnant-gagnant qui exige de la part de tous un sens du dépassement. C’est l’une des solutions de sortie de crise qui présentent le moins de risques.
- https://senego.com/mareme-faye-sall-parle-de-son-president-de-mari-moi-je-gere-lui-il-est-tellement-stresse_162439.html
- https://www.youtube.com/watch?v=xcedFooP3sw&t=2925s (à partir de 48 mn)
- https://www.seneplus.com/opinions/les-secrets-du-divan
- Aristote, Éthique à Nicomaque