ET SI ON RESSUSCITAIT LA SONAGRAINES ?
Aujourd’hui que le système du carreau-usine a montré ses limites, la Sonacos étant revenue dans le giron national, la société oléagineuse ne doit plus se contenter d’être un agent de transformation industrielle

Nous le rappelions dans une récente chronique, la commercialisation de l’arachide constitue une véritable équation pour les pouvoirs publics. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Il suffit de revisiter l’histoire de cette filière imposée au Sénégal par le colonisateur et qui est devenue finalement une identité nationale, l’épine dorsale de l’économie sénégalaise, pour s’en convaincre. Ainsi, après avoir suspendu les exportations des graines d’arachide au début du mois de décembre afin de permettre un bon approvisionnement des huiliers nationaux qui ne savaient plus où donner de la tête à cause de la forte concurrence chinoise, l’État a levé cette interdiction. Une annonce faite par le chef de l’État lui-même lors de l’interview qu’il a accordée, le 31 décembre 2020, à une partie de la presse sénégalaise.
Cette décision ne surprend guère. Il était évident que le Gouvernement ne pouvait prendre le risque de fermer le marché de l’exportation indéfiniment. Ce, pour des raisons économiques évidentes. D’ailleurs, nous n’avions pas manqué de le souligner. «La Sonacos peut bien penser qu’un boulevard s’ouvre à lui pour remplir ses greniers, mais rien ne garantit que les cultivateurs accepteront de lui céder leurs graines. D’autant plus que rien ne les y contraint. Ils peuvent bien stocker leur arachide et attendre la réouverture du marché des exportations qui ne peut rester éternellement fermé, au risque de revivre la situation de 2018 quand des milliers de tonnes d’arachide sont restées invendues. Un risque que ne prendrait pas certainement l’État», avions-nous écrit dans notre chronique du jeudi 24 décembre dernier intitulé «Arachide : réinventer la filière pour huiler les rapports».
En parlant d’une réinvention de la filière, nous invitions, par ricochet, la Sonacos à un changement de paradigme dans sa manière de s’approvisionner en graines d’arachide. Au lieu de se contenter de se placer au bout de la chaîne de valeur de la production, nous avons estimé que cette entreprise devait s’impliquer en partie ou dans l’ensemble du processus par l’autoproduction ou par la contractualisation et, pourquoi pas, devenir une exportatrice d’arachide. Et c’est exactement la suggestion faite par le président de la République à la Sonacos. En effet, Macky Sall ne s’est pas contenté d’annoncer la levée de la mesure de suspension de l’exportation de l’arachide, il a aussi et surtout invité la Sonacos à engager des réformes profondes qui épousent la marche du temps et les réalités d’un marché libéralisé non sans lui assurer le soutien de l’État.
Engager le chantier de la réforme ne devrait pas être une montagne russe pour la Sonacos. Cette entreprise, fruit du rachat des trois anciennes huileries françaises établies au Sénégal à l’époque, a une expérience certaine en matière de collecte de graines d’arachide. Il suffit de ressusciter la défunte Sonagraines, ancienne filiale de la Sonacos, sous une nouvelle forme tout en prenant le soin de ne pas répéter les mêmes erreurs qui ont plombé son fonctionnement par le passé. Faut-il le rappeler, jusqu’en 2002, la Sonacos était omniprésente dans l’ensemble du processus, de la vente des semences et engrais aux paysans à l’achat des récoltes. Ce, à travers justement la Sonagraines. Créée au début des années 1980 à la suite de la dissolution de l’Oncad et de la disparition des coopératives agricoles, la Sonagraines, en tant que structure étatique, s’occupait de la collecte de l’arachide au bénéfice de la Sonacos. Elle intervenait directement auprès des paysans à qui elle fournissait des intrants. Le système a fonctionné ainsi pendant une vingtaine d’années. En décembre 2001, la Sonacos barbotant dans un déficit structurel chronique et sous la pression de la Banque mondiale, l’État se résout finalement à dissoudre la filiale de l’huilerie nationale et, quatre ans plus tard, privatisa la Sonacos qui sera renationalisée en 2016. La disparition de la Sonagraines avait renforcé le poids des opérateurs privés stockeurs dont on dit qu’ils sont l’Alpha et l’Omega de la filière arachidière, pour ne pas dire qu’ils dictent le rythme du marché. Aujourd’hui que le système du carreau-usine a montré ses limites, la Sonacos étant revenue dans le giron national, la société oléagineuse ne doit plus se contenter d’être un agent de transformation industrielle. Elle doit pouvoir se passer de l’intermédiation que jouent les Ops entre elle et les paysans, en allant bord-champ s’il le faut. Les industrielles de la tomate le font déjà avec bonheur.