IL FAUT SAUVER LE SOLDAT SONKO
On ne règle pas les problèmes politiques par des mesures administratives (radiation) ou judiciaires (emprisonnement). C’est d’autant plus vrai que, trop souvent, les textes semblent soumis, dans leur application, à la loi du deux poids-deux mesures

Depuis plusieurs semaines, le Sénégal ne bruit que de ce qu’on appelle « l’affaire Sonko ». Cette affaire de mœurs qui domine l’actualité et provoque des remous pouvant déboucher sur une crise ingérable, est, depuis le début, un évènement politique du fait de la dimension et de la popularité d’un ancien fonctionnaire de l’administration fiscale entré en politique presque par effraction.
Le lot d’un homme qui n’a pas cédé
On constatera que c’est un peu cela la marque déposée de cet inspecteur des Impôts touché par l’activité syndicale et qui, frappé par le glaive du pouvoir de Macky Sall qui l’avait révoqué de l’administration publique pour « violation de l’obligation de réserve », s’est retrouvé à l’Assemblée nationale muni d’un mandat en bonne et due forme du peuple sénégalais.
Accusé de connivence avec des groupes radicaux, et même de détournement de deniers publics (94 milliards CFA), il est classé troisième à la dernière élection présidentielle, derrière le président sortant et celui qui tenait à tout prix à être désigné leader de l’opposition, Idrissa Seck. Ce dernier lui a cédé cette position depuis son ralliement à Macky pour « constituer 85% de l’électorat ». Ainsi, personne ne peut contester à Sonko son titre acquis de haute lutte de leader « naturel de l’opposition ».
Voici donc que surgit cette affaire sordide de mœurs dans laquelle le président du parti Pastef est accusé par une fille de vingt ans de viols répétitifs, dans un salon de massage, sous la menace d’une arme à feu.
Contradictions flagrantes
Je ne m’attarderai pas sur la présumée victime dont un célèbre chroniqueur dit qu’elle « n’a pas l’air d’une sainte vierge ». D’autres commentateurs sont d’ailleurs allés plus loin sur le profil sulfureux de celle par qui le scandale est arrivé. Je crois quand même qu’il faut se garder d’un jugement hâtif et s’en tenir aux faits qu’une enquête approfondie menée jusqu’au bout par les services compétents pourrait seule éclaircir. Pourvu ces derniers puissent travailler librement.
Au demeurant, l’enquête diligentée par la gendarmerie dans les premiers jours qui ont suivi le déclenchement de cette affaire, semblait dévoiler des dessous qui sentaient le complot à mille lieues. La Section de Recherches de la gendarmerie avait relevé de lourdes contradictions entre les déclarations de la victime présumée et certains faits constatés, notamment dans le certificat délivré par un médecin attitré. On semblait ainsi s’acheminer vers un désaveu et peut-être vers le cas burlesque où seraient pris ceux qui voulaient prendre. C’est tout à l’honneur des enquêteurs de la gendarmerie qui n’en étaient pas à leur coup d’essai puisqu’on se rappelle avec quelle diligence l’enquête sur l’agression de Talla Sylla avait orienté les regards vers le palais présidentiel. Puisque la procédure est en cours, laissons la Justice éclaircir les tenants et les aboutissants de cette sordide affaire. C’est le moins que l’on puisse attendre d’elle.
Mesures extrêmes et approche dangereuse
C’est quand même ahurissant de voir la vitesse à laquelle l’Assemblée nationale a créé une commission ad hoc pour décider la levée de l’immunité du député Ousmane Sonko. La démission de deux membres de cette commission en dit long sur leur perception de la logique qui a guidé la création de cette commission. « L’Assemblée nationale est en train de renforcer et de consacrer son inféodation au Pouvoir exécutif, par le biais du parquet qui lui dicte la conduite à tenir …», ont-ils écrit dans leur lettre de démission. Sur de nombreux aspects, le dossier de Sonko rappelle ceux d’Idrissa Seck et de Khalifa Sall.
Ce qui est encore plus préoccupant, c’est d’entendre des rumeurs sur les risques d’une orientation ethniciste du dossier menaçant ainsi une des plus grandes forces de notre pays : l’unité nationale. Ajoutez-y les nombreuses arrestations touchant des proches du chef du Pastef et des hommes et femmes considérés comme des agitateurs professionnels ; vous comprendrez alors les craintes d’un nombre de plus en plus important de ceux qui redoutent un véritable projet de liquidation d’un mouvement contestataire grandissant.
Pour bon nombre de Sénégalais, Sonko sera envoyé à Rebeuss. Pour combien de temps ? Telle est la question. Ce qui est à craindre, c’est que son éventuel séjour carcéral, redouté par ses partisans, ne dure assez longtemps pour l’écarter de la compétition électorale de 2024, exposant ainsi le pays à des remous dangereux pour sa stabilité. On ne règle pas les problèmes politiques par des mesures administratives (radiation) ou judiciaires (emprisonnement). C’est d’autant plus vrai que, trop souvent, les textes semblent soumis, dans leur application, à la loi des deux poids-deux mesures. « La plus grande injustice peut être habillée d’une forme juridique parfaite… », nous rappelle le manifeste de cent deux membres de la Communauté universitaire publié le 23 février dernier et intitulé « La crise de l’Etat de droit au Sénégal ».
Vigilance et intransigeance
Sous un autre angle, nous ne pouvons passer sous silence l’imprudence de celui en qui nos jeunes placent un grand espoir de voir un jour leur pays leur offrir de meilleurs lendemains. Ce que Sonko leur fait espérer c’est une situation de pleine souveraineté faisant du Sénégal un Etat maître de ses politiques et de ses choix stratégiques tournés exclusivement vers les intérêts de son peuple.
Quand on est porteur d’un tel espoir, on doit s’imposer une rigueur sans faille dans tout ce qu’on fait et dit pour prévenir et déjouer les nombreux pièges qui ne manqueront jamais de jalonner le long et pénible chemin menant à la gloire finale. Ne l’oublions pas : Macky Sall avait failli être jeté en prison sur une accusation de blanchiment d’argent sale. On a vu la suite.
C’est dire que Sonko et ceux qui se réclament de son entourage immédiat doivent faire montre d’une vigilance permanente et d’une forte intransigeance pour préserver leur dignité et leur intégrité morales contre tous les risques auxquels elles peuvent être exposées notamment par la fréquentation de certains lieux n’ayant pas bonne réputation. Tenez, celui qui a connu une ascension fulgurante dans le paysage politique sénégalais, au point d’être classé troisième à sa première expérience électorale, aurait pu recourir aux services d’un masseur à domicile pour ne pas s’exposer aux caprices vicieux d’une adolescente elle-même peut être victime d’une manipulation sordide.
Au demeurant, si complot il y a eu, ses auteurs n’ont pas fait montre d’une grande intelligence dans le montage de leur scenario. Jugez-en : quatre viols successifs, sous la menace d’une arme à feu, dans un salon aussi fréquenté et où se trouvaient les maîtres du lieu ainsi que d’autres « prestataires » ? Faut-il en rire ou en pleurer ?
Penses-y Sonko, c’est par nos souffrances que nous sommes instruits. Dieu est le meilleur Juge.