LA BELLE, LES CANCRES ET LE GAZ
Si la BBC s’est intéressée à la question de l’exploitation du gaz au Sénégal, c’est bien parce que la presse en a parlé en long et en large depuis 2016

Dans la nuit du 2 au 3 juin, BBC a mis en ligne une vidéo dans laquelle sa journaliste Mayeni Jones accuse Aliou Sall, Franck Timis et British Petroleum (Bp) de malversations financières et de corruption dans l’exploitation du gaz au Sénégal. Dès le lendemain, les réseaux sociaux se sont enflammés. Chacun y est allé de son argumentaire et de son commentaire. Le frère du président de la République et maire de Guédiawaye organise, dans l’après-midi, une conférence de presse pour se dédouaner. Le retentissement est tel que le chef de l’Etat a profité de son traditionnel discours d’après-prière de la Korité pour donner son sentiment sur l’affaire. Et dans l’après-midi, alors que tout le monde était occupé à fêter en famille la fin du Ramadan, la porte-parole du Gouvernement tint une conférence de presse qui s’est transformée finalement en une déclaration de presse, à la grande frustration des journalistes qui avaient fait le déplacement. A ces sorties médiatiques, suivront celles de Bp et de Kosmos. Et comme on pouvait s’y attendre, tous ont balayé d’un revers de la main les allégations de la BBC.
Mais, curieusement et de manière inexpliquée, cette affaire a tourné en un procès contre la presse sénégalaise. Certaines personnes, appelons-les « facebookiens », en ont profité pour déverser leur saoul sur les journalistes locaux considérés comme des bons-à-rien et même pas capables de mener une enquête journalistique comme Mayeni Jones. Pour ces déontologues à la petite semaine, le fait qu’une journaliste étrangère mette au grand jour ce « scandale » est la preuve de l’échec des journalistes sénégalais plus enclins à traiter de sujets futiles que d’aborder des questions d’intérêt général. La presse sénégalaise au pilori, Mayeni Jones au pinacle !
C’est vrai, au Sénégal, la presse n’est pas du tout exempte de reproches, il y a beaucoup de choses à redire sur la manière de fonctionner de notre profession. Nous, journalistes, sommes les premiers à reconnaître que tout ne tourne pas rond dans notre métier. Sauf que pour ce cas-ci, on nous fait un mauvais procès. Si la BBC s’est intéressée à la question de l’exploitation du gaz au Sénégal, c’est bien parce que la presse en a parlé en long et en large depuis 2016. Et puis, qu’est-ce que la nouvelle « héroïne » du peuple de Facebook a-t-elle dit que la presse sénégalaise n’a pas déjà évoqué ? Rien ou presque. Tout le monde savait qu’Aliou Sall était salarié de Timis Corporation et qu’il avait donc un salaire. Quant au montant de celui-ci, on ne voit pas en quoi le dévoiler participe à asseoir la culpabilité du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (Cdc). Concernant le versement de 250.000 dollars à Agritrans, jusqu’ici, c’est parole contre parole, aucun document ne vient étayer cette présumée transaction frauduleuse. Du moins, dans le documentaire, la preuve n’est pas fournie. Et sur le paiement de royalties à Timis par Bp, sur une période de quarante ans, la compagnie britannique a nié en bloc.
Ce n’est pas la première fois qu’on tape sur la presse locale à propos du pétrole et du gaz. A la sortie de son livre en 2017, Ousmane Sonko s’était bombé le torse d’avoir fait un travail d’enquête que les journalistes, « inféodés » à l’argent, auraient dû faire. Or d’enquête, son livre était loin d’en être une. Toute la première partie de l’ouvrage est un rappel historique de la recherche pétrolière et gazière au Sénégal et de la législation pétrolière. Le reste étant une compilation de ce que le leader de Pastef a déjà dit et ressassé dans la presse.
Dans un pays où pour faire bon journaliste il suffit juste de taper sur les pouvoirs publics à longueur de journée, il est entendu que Mayeni Jones était bien partie pour être érigée en héroïne. Ce, même si son « enquête » n’est pas un modèle de traitement équilibré et professionnel. En effet, dès les premières secondes du documentaire, l’impression qui se dégage c’est la conviction établie de la journaliste, que sa religion est faite sur cette affaire. Le reste, c’était de démontrer coûte que coûte que les faits de corruption et de malversations financières étaient incontestables. C’est exactement par ce procédé qu’un « journaliste » sénégalais, ancien « revueur » de presse, animateur de débats télévisés, chroniqueur hebdomadaire sur un portail internet, a réussi à se faire passer, aux yeux de certains, comme le « meilleur journaliste ». Alors que le gars n’a jamais fait un reportage de sa vie.