LA PROBLEMATIQUE DE L’ASSAINISSEMENT URBAIN ET SON IMPACT SUR L’ACTIVITE ECONOMIQUE
La mise en place de bases infrastructurelles en matière d’assainissement dans notre pays date de la période coloniale, c’est dire l’énorme retard du secteur dont les performances sont jugées quelquefois inacceptables par les usagers.

La mise en place de bases infrastructurelles en matière d’assainissement dans notre pays date de la période coloniale, c’est dire l’énorme retard du secteur dont les performances sont jugées quelquefois inacceptables par les usagers. Ainsi, l’essentiel des réseaux d’assainissement du Dakar - Plateau a été installé entre 1925 et 1929. Le réseau eaux usées et eaux pluviales à la Médina date de 1950, les collecteurs de Hann/Fann ont été terminés en 1955, et le canal de la Gueule Tapée (lycée Maurice Delafosse) en 1950. Faute d’investissements nouveaux dans le domaine des infrastructures, la collecte et l’évacuation des eaux se heurtent à des problèmes liés à l’insuffisance des ouvrages, à leur vétusté ainsi qu’à leur dimensionnement devenu inadéquat du fait de l’urbanisation croissante. Les réseaux d’évacuation souffrent également de problèmes comportementaux des citoyens en mal d’appropriation du bien public national d’assainissement. Le patrimoine du secteur est davantage constitué d’infrastructures d’assainissement collectif caractérisées par la cherté de leurs coûts de réalisation. Des coûts hors de portée des ressources propres des sociétés en charge de la gestion de patrimoine. L’assainissement collectif ou le « tout à l’égout » a été le premier choix offert aux usagers dès la mise en place des réseaux urbains d’assainissement, en particulier à Dakar-ville. A l’usage, il est apparu que les sociétés en charge du secteur (SONEES, ONAS) ont eu et continuent d’avoir d’énormes difficultés à assurer l’entretien et la maintenance des infrastructures, qui se traduisent en charges d’exploitation et de trésorerie ruineuses, mais aussi par des pertes et dégradation de matériels et de petits équipements du fait des citoyens (vols de regards, bourrages des entrées d’évacuation…)
La gestion actuelle de l’assainissement
Avant la réforme institutionnelle de 1996 du secteur de l’hydraulique urbaine et de l’assainissement, ce sous-secteur géré par l’ex-SONEES (Société nationale d’exploitation des eaux du Sénégal) souffrait déjà d’importants retards d’investissements. Géré tant bien que mal par l’ex-SONEES en charge de l’eau potable, l’assainissement urbain a été dissocié de l’eau potable, et sa gestion confiée à l’ONAS, alors que l’eau potable était confiée à la SONES pour la gestion du patrimoine, et à la SDE (aujourd’hui SEN’EAU) pour la partie exploitation. Cette séparation dans la gestion a d’emblée éliminé toute possibilité d’une péréquation, pourtant de mise entre les deux sous-secteurs lors de la gestion SONEES durant laquelle l’eau potable « portait » l’assainissement. Les institutions financières avaient sans doute préféré régler en priorité la question du déficit en eau potable de 100 000 m3/j à cette époque, et délester la nouvelle SONES du poids d’un secteur de l’assainissement jugé non productif dans le souci de présenter un modèle financier viable, apte à sécuriser l’alimentation en eau potable sur le moyen et long terme. Au prix de sacrifier le secteur de l’assainissement, l’histoire a donné raison à cette option. Ce choix, même s’il a permis de se concentrer positivement sur la couverture d’une demande en eau fortement corrélée au croit démographique et au besoin de confort des usagers, a, en effet, relégué l’assainissement au second plan en confiant la gestion globale à un office public tant pour la gestion du patrimoine que pour l’exploitation sans le transfert concomitant des ressources financières correspondantes. En contrepartie de cette séparation, le secteur de l’hydraulique urbaine verse à l’ONAS une « redevance assainissement » portée sur la facture eau collectée par la SDE (aujourd’hui par la SEN’EAU)
Sous forme de surtaxe
Ces revenus, quoique réguliers, sont loin de permettre l’ONAS de faire actuellement face à ses besoins d’investissements et à ses charges d’exploitation courantes qui comprennent la maintenance et l’entretien, le renouvellement du patrimoine relatifs aux ouvrages et équipements d’assainissement de captage, de traitement des réseaux d’eaux usées et d’eaux pluviales. Après près de 25 ans de réforme, il est loisible de constater que le sous-secteur de l’assainissement a perdu les moyens financiers de son fonctionnement normal, dans un contexte d’urbanisation effrénée dans la région de Dakar entrainant la saturation des ouvrages et équipements. Aussi, la tendance est aujourd’hui de privilégier l’assainissement autonome moins coûteux. On parle d’assainissement autonome lorsque les équipements sanitaires (latrines, toilettes à chasse, etc.) et éviers ne sont pas reliés à un réseau d’égout, mais aboutissent à des fosses (fosses de latrines, fosses toutes eaux, fosses septiques). Les excreta ne sont pas évacués au fur et à mesure de leur production mais stockés ; une fois pleine, la fosse est vidangée (camions de vidange). La problématique de l’assainissement urbain est d’abord d’ordre financier, sachant que l’expertise en la matière est disponible et avérée.
Impact de l’assainissement sur l’activité économique
C’est connu : une bonne prise en charge de la question de l’assainissement permet de traiter les enjeux liés à la santé (en particulier celle des enfants), à l’économie et à l’environnement. En matière de santé, l’assainissement réduit le coût des dépenses publiques liées aux maladies hydriques causées par les rejets à l’air libre d’eaux usées non retraitées, et la mauvaise évacuation des eaux pluviales du fait de bourrages de toutes sortes des réseaux par des citoyens indélicats, ou en tous cas mal informés. Le manque d’accès à l’assainissement est le principal responsable de maladies diarrhéiques, qui tuent chaque année deux millions de personnes dans le monde, dont 90 % sont des enfants de moins de 5 ans. Les maladies liées à l’assainissement freinent la croissance économique en ce qu’elles pèsent directement sur la capacité de travail des habitants et, partant, sur le dynamisme de l’économie. Globalement, on estime que l’Afrique subsaharienne perd environ 5 % de son PIB à cause du manque d’assainissement, soit quelque 28,4 milliards de dollars chaque année, un chiffre qui dépasse le montant total de l’aide et de l’allègement de la dette. Le défaut d’assainissement engendre des pertes économiques mesurées en jours de travail non ouvrés, qui se répercutent sur le PIB du fait des repos accordés aux malades, et a des répercussions négatives sur l’éducation et l’enseignement d’une manière générale. Au plan du tourisme, le défaut d’assainissement est également facteur de moins-value. Une bonne politique d’hygiène publique et d’assainissement est un préalable pour le développement du tourisme en général. De par son climat, son ensoleillement quasi permanent, sa position géographique privilégiée, la compétence de ses professionnels de santé et la qualité de son plateau médical et enfin la sociabilité de sa population, le Sénégal détient tous les atouts pour être une destination compétitive en matière de tourisme médical, pour autant qu’il daigne renvoyer l’image positive d’un pays propre soucieux de l’hygiène et d’une politique et pratiques d’assainissement à toute épreuve. Les désagréments liés au manque d’assainissement, qu’il s’agisse de pollution visuelle ou olfactive, nuisent aux citoyens, aux touristes et aux activités commerciales impactées dans les quartiers et les artères des grandes villes.
La mobilisation des ressources financières
La question centrale de l’assainissement urbain se rapporte à la disponibilité de ressources financières nécessaires à la réalisation des infrastructures et des équipements. Or, les institutions financières ont une préférence pour les services payants alors que, pour les usagers, l’assainissement apparaît comme devant être un service non payant. Autant payer l’eau potable est admis (en deçà d’un tarif sans rapport avec la valeur des investissements nécessités), autant le service de l’assainissement ne saurait être payant. Faute de cette volonté de payer qui aurait permis les remboursements d’emprunts, le sous-secteur de l’assainissement est réduit à se contenter de la redevance assainissement portée sur les factures d’eau, des subventions de bailleurs ou des prêts dont le remboursement est pris directement en charge par l’Etat. La mobilisation de ressources, tant nationales que locales, pour le secteur de l’assainissement reste un challenge difficile à relever, d’où la nécessité d’innover.
Or, c’est un impératif, des ressources financières additionnelles doivent être mobilisées
Au-delà des appuis budgétaires de l’Etat centrés sur la lutte contre les inondations en banlieue, et l’assainissement de capitales régionales et départementales, les usagers doivent être mis à contribution au plan financier et humain, ainsi que les institutions financières africaines de développement. Des techniques de levée de fonds innovantes devraient être expérimentées comme par exemple une taxation des transferts de fonds digitaux au profit de l’assainissement, en sus des contributions volontaires citoyennes au niveau des quartiers et au niveau national, ce qui, à l’évidence, irait de pair avec une gestion transparente des fonds affectés exclusivement à ce secteur. A cet effet, il faudrait se départir de deux idées. La première, c’est celle selon laquelle l’assainissement est un secteur improductif. La seconde voudrait qu’il doive nécessairement être le pendant de l’eau potable urbaine.
CONCLUSION
Les problèmes d’assainissement nécessitent des réponses à plusieurs défis que sont : la mobilisation de ressources financières en rapport avec les besoins, la conception de programmes fiables, et enfin une prise de conscience citoyenne pour la préservation des ouvrages et équipements, et la mise en application des bonnes pratiques en matière de rejets domestiques. L’option prise par l’Etat est de favoriser l’assainissement autonome dont les coûts seraient largement inférieurs à l’assainissement « tout à l’égout » et qui permettrait de surcroît la valorisation et la réutilisation des sous-produits d’épuration des eaux usées ou boues de vidange (production d’eau distillée pour le refroidissement de moteurs, engrais, électricité etc.) avec l’implication du secteur privé. Cette perspective, qui serait source de revenus complémentaires, devrait faire l’objet de séances de sensibilisation et d’explication susceptibles d’intéresser davantage les opérateurs privés mais aussi de vaincre les résistances socio-culturelles qui se sont déjà manifestées dans un passé récent, notamment pour ce qui concerne l’utilisation de sous-produits dans le secteur maraîcher.