LA TENSION A SON COMBLE
Alors que la décision du juge à l’encontre de Sonko sera déterminante pour la suite, la pression est forte sur le président Macky Sall, dont on attend la parole.

Le Sénégal est-il au bord du précipice ? La question mérite d'être posée alors que le pays vient de connaître les émeutes les plus importantes depuis bien des années. Pour le moment, le bilan fait état d'au moins cinq morts, mais la colère de la rue est à un niveau tel qu'il y a fort à redouter que une semaine d'extrême tension avec les manifestations auxquelles a appelé le Mouvement de défense de la démocratie (M2D) regroupant le parti de Sonko, des partis d'opposition et des éléments de la société civile. Le M2D réclame, d'une part, la libération des prisonniers « arbitrairement » détenus, d'autre part, l'ouverture d'une enquête sur les événements, allant même jusqu'à remettre en question la légitimité du président.
L'avertissement du médiateur de la République
À percevoir comme un avertissement sans frais aux autorités, il y a les déclarations du médiateur de la République censé recueillir les doléances contre l'État. Alioune Badara Cissé a dressé un état des lieux sombre du Sénégal et évoqué les béantes inégalités sociales qui se font jour ici et là à travers le pays. Faisant référence à la tragédie des migrants qui tentent de rallier l'Europe, il a fait allusion à la jeunesse « qui traverse les océans sans bouée de sauvetage et qui sert d'aliment aux poissons en haute mer ». N'hésitant pas à interpeller le président Macky Sall, il l'a pressé de sortir de son silence et de s'adresser aux jeunes pour faire baisser la pression. Les Sénégalais "veulent vous entendre », a-t-il dit interrogeant : « Mais pourquoi diable ne leur parlerez-vous pas ? » Et de poursuivre : « Faites-le avant qu'il ne soit trop tard », avant de conclure : « Il était prévisible qu'il arriverait un moment où le couvercle sauterait. »
Ces faits qui secouent le pays
Justement, au cœur de la marmite sociale qui vient d'exploser, il y a Ousmane Sonko, arrivé troisième de la présidentielle de 2019. Avec le ralliement, certains diraient la transhumance d'Idrissa Seck, un ancien du Parti démocratique sénégalais (PDS) d'Abdoulaye Wade et actuel chef du parti Rewmi, au groupe des alliés du président Macky Sall, Ousmane Sonko, chef du Pastef (Parti du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) est pressenti comme l'un des principaux concurrents, si ce n'est le principal challenger pour la présidentielle de 2024. Quelle place va occuper Idrissa Seck, devenu quatrième personnage de l'État avec son titre de président du Conseil économique, social et environnemental ? À ce jour, nul ne sait vraiment ce qui va se passer puisque la question du troisième mandat de Macky Sall est sur la table. Toutes choses égales par ailleurs, le Sénégal se trouve aujourd'hui dans une situation semblable à celle de la Côte d'Ivoire d'Alassane Ouattara à la dernière présidentielle, c'était en octobre 2020. Le débat est ouvert quant à la légalité ou pas d'un troisième mandat au regard du changement constitutionnel qui a eu lieu pendant le premier mandat de Macky Sall. Quelle interprétation va l'emporter ? Celle qui lui permet de se représenter ou une autre qui le conduirait à se retirer ? La question est posée et occupe bien des esprits de constitutionnalistes du Sénégal et d'ailleurs.
En tout cas, c'est alors qu'il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par Adji S., une employée d'un salon de beauté dans lequel Ousmane Sonko allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos, qu'il a été interpellé pour trouble à l'ordre public. Placé en garde à vue, Ousmane Sonko a refusé de parler. Au moment où ces lignes sont écrites, cette personnalité au profil antisystème assumé a vu sa garde à vue levée pour le motif lié à l'ordre public, mais il est attendu ce lundi devant le juge pour l'affaire de viol que le député, qui, entre-temps, a perdu son immunité, considère comme un complot ourdi par le président lui-même pour l'écarter de la prochaine présidentielle. Inutile de dire que la décision qui sera prise par le juge ce lundi de le relâcher ou de l'écrouer s'annonce lourde de conséquences pour la suite des événements. Elle sera à placer dans un contexte économique et social où l'exaspération, née des suites de la pandémie de Covid-19 en 2020, des conditions de vie dans le pays en butte à une pauvreté de plus en plus importante, alimente la furie de populations qui ont l'impression de se voir déposséder de leurs droits économiques et politiques par des politiciens prompts à s'entendre sur leur dos.
Des appels à la retenue et à la médiation
Celle-ci inquiète beaucoup de chancelleries. Cela a conduit les ambassades de l'Union européenne et de ses États membres, mais aussi du Royaume-Uni, de la Suisse, des États-Unis, du Canada, de la Corée du Sud, et du Japon, à exprimer leur « préoccupation » et à appeler à « une restauration pacifique du calme et du dialogue », soulignant que « le Sénégal a une longue histoire d'État de droit, de démocratie participative, de tolérance et de respect des droits humains ». Lire la suite sur https://www.lepoint.fr/afrique/senegal-la-tension-a-son-comble-08-03-202...