LE NOUVEAU PLAN DE MACKY SALL À DOUBLE FACE POUR CETTE ANNÉE
EXCLUSIF SENEPLUS - Avec la suppression de la CREI, le président cherche à se protéger. Le rapport de force est à l'avantage des Wade. Les équations sont plus complexes qu'on ne le croit du côté de l'APR

Il l'a fait ! Enfin ! Bien que Macky Sall ait mis en place la Cour de Répression de l'Enrichissement Illicite (CREI), il décide de la supprimer après 8 ans d'existence polémique. Il se dédit. C'est un fait unique dans la politique sénégalaise qui n'a pas été suffisamment souligné par la presse. C'est un acte politique majeur qui conditionnera 2021. Contrairement à ce que je lis, ce n’est pas l’ONU qui a contraint Macky Sall à revoir sa copie sur la CREI. Ce n’est donc pas une victoire des avocats de Karim Wade, encore moins du justiciable ; c’est plutôt la mise en scène d’un jeu d’échec politique où un nouveau pion vient d’être déplacé par le joueur Macky Sall.
Un an après la débâcle de la diplomatie sénégalaise à Genève, le président sénégalais valide, sans le dire expressément, les observations du Comité des Droits de l'Homme. Il reprend à son compte la principale critique onusienne, à savoir l'absence d'une juridiction d'appel. Pour ma part, c'est la présomption de culpabilité qui posait un problème. D’ailleurs, reprendre les arguments dudit Comité sur le double degré de juridiction est un moindre mal. C’était la CREI qui était viciée, contraire à la Constitution sénégalaise de 2001.
Je ne peux qu'approuver cette décision politique salvatrice. Amadou Ba et Mimi Touré ne sont plus aux côtés de Macky Sall, sa décision en a-t-elle été plus facile à prendre pour lui ? En tous les cas, après Genève, Amadou Ba était tenu pour responsable, en coulisse, par les plus grands leaders du PDS, de l'échec du rapprochement entre Macky Sall et les Wade.
Pour décrire la CREI, j'avais inventé l'expression "Léviathan judiciaire" à l'occasion ! Celle-ci avait été reprise par Abdoulaye Baldé sur TV5 en novembre 2019. Sur SenePlus, j'avais annoncé "la mort programmée du Léviathan judiciaire". J'avais beaucoup écrit sur la CREI. J'avais même interviewé l'ancien premier ministre Abdoul Mbaye sur les circonstances de la réactivation de la CREI. L'influence du politique dans cette juridiction d'exception était certaine.
Quelle joie de voir ses prédictions et ses invocations se produire en tant qu’éditorialiste ! Macky Sall nous prend tout de même de court comme d'habitude ! Le nouveau ministre de l'Intérieur, substitut du procureur près la CREI à l'époque du procès de Karim Wade, doit se sentir quelque peu dérangé par l'annonce de Macky Sall.
Le temps politique n'est pas celui de la Justice. Le budget 2021 de la CREI avait même été approuvé. Malgré les nombreuses imperfections de la CREI, il aura fallu attendre presque plus d'une décennie pour la supprimer. Il est évident que cette décision répond à des opportunités politiques du moment. Derrière cette annonce du nouvel an, il y a évidemment un calcul politique. Lequel ?
Le plan de Macky Sall se dessine en deux temps : la suppression de la CREI et l'Amnistie. Il se protège judiciairement et il séduit son ancien prisonnier, en la personne de Karim Wade.
Avec la création d'un parquet financier, l'exécutif conserve la main sur les poursuites "politiques" à venir. Il n'y aura donc pas de grande révolution concernant les menaces pesant sur l'opposition. Macky Sall pourra d'ailleurs utiliser ce nouvel instrument beaucoup plus vite, contre Amadou Ba, Mimi Touré et autres, si besoin est ! La CREI était lente, lourde. Un parquet, c'est plus souple, rappelez-vous la mise en cause de Khalifa Sall et sa condamnation à toute vitesse avant la validation des candidats de 2019 par le Conseil constitutionnel. Un exploit judiciaire !
Le nouveau parquet financier rapportera surtout à Macky Sall et à ses collaborateurs en cas de poursuites pénales lorsqu’ils perdront le pouvoir. L'enrichissement illicite disparait a priori de l'ordre juridique sénégalais puisque cette infraction était reliée à la CREI. Ainsi la présomption de culpabilité a juste été utilisée contre Karim Wade dont Macky Sall a pu apprécier les dégâts. Une fois pris en tenaille par la CREI, vous n'avez aucun moyen d'en réchapper. Le second mandat, c'est l'incertitude d'un troisième mandat. Il faut s'y préparer. L’avantage de ce parquet ? Dorénavant, il va falloir prouver. C'est une autre paire de manches sauf si les preuves sont évidentes !
Avec la suppression de la CREI, Macky Sall cherche à se protéger. C’est une évidence ! La CREI pouvait tôt ou tard se retourner contre lui. Il fallait s'en débarrasser. Il cherche aussi de nouveaux alliés. Je vous l’écris depuis longtemps, il veut Karim Wade à ses côtés. Pour à la fois diminuer l'opposition mais aussi et surtout s'offrir certaines adresses financières prestigieuses en vue d'achever ses chantiers. Eh oui le syndrome de la fin des chantiers ! La France en ce moment n'a plus d'argent dans les caisses ! Et si Bolloré, avec la complicité des diplomates français, a toujours été à la manœuvre pour la CREI, de sa réactivation jusqu'en octobre 2019 à Genève, il ne peut pas grand-chose pour le redressement économique du Sénégal. Et Bolloré n'est pas soutenu par Emmanuel Macron.
Cela discute ferme entre Macky Sall et les Wade : les portes s’ouvrent, se ferment. Il arrive même qu’elles claquent brutalement. Aucune des parties ne semble vouloir céder. Quoique ! Avec la suppression de la CREI, c’est un signal très fort qui a été lancé par le président. C’était une demande du PDS et des Wade. C’est obtenu. Le dernier discours de Karim Wade, me diriez-vous ? De la comédie sénégalaise ! Ou alors une mauvaise compréhension de l'évolution des faits politiques ! Chacun joue, et rejoue jusqu’à obtenir plus ! Malgré les critiques acerbes de Karim Wade à l’égard de Macky Sall, il n’évoque ni l’amnistie ni la révision judiciaire. Dans son long discours du nouvel an (habituellement, ils sont courts), il revient sur son exil forcé et sur le don qu’il a fait au moment du premier confinement sénégalais. Karim Wade, s’il tenait à éclairer l’opinion publique, avait l’opportunité de rappeler son unique demande : la révision judiciaire. Et en conséquence de rejeter l’amnistie dont un projet de loi serait dans les tuyaux de l'Assemblée nationale. Pourquoi revenir sur un don fait en mai et non sur l'amnistie débattue ces dernières semaines ?
L’amnistie est aujourd’hui admise au sein de la famille Wade, contrairement à ce qui est dit et écrit çà et là. La révision judiciaire est faite pour les justiciables (ce n’est pas chose facile à obtenir), pas pour les hommes politiques ! Pour la première fois depuis l'arrivée de Macky Sall, le rapport de force est à l'avantage des Wade. Comme me soufflait à l'oreille un membre de l'opposition, Karim Wade peut s'allier avec Khalifa Sall et gagner les élections législatives pour obtenir l'amnistie qui sera alors une demande du peuple. Macky Sall en connaît le danger. D'autant plus qu'il s'est séparé de son argentier, Amadou Ba. Les équations sont plus complexes qu'on ne le croit du côté de l'APR !
Il reste néanmoins des possibilités pour Macky Sall de tromper son monde. Il suffit de coupler les élections avec la présidentielle en 2024. Finalement, la politique sénégalaise n'en finit pas d'être un jeu de casse-tête ! Pas si sûr que cela profite aux populations !
Il me vient une idée : Et si Macky Sall, par la suppression de la CREI, introduisait une amnistie limitée à toutes les condamnations rendues par la CREI dont le président reconnaît l'illégalité. C'est une proposition que j'avais émise à l'époque : une sorte d’Amnistie-Révision. Ce serait un coup gagnant, assurément ! Karim Wade obtiendrait l'amnistie et non Khalifa Sall ! Vous imaginez un seul instant les frustrations politiques des uns et les joies des autres. Une bonne manière de diviser encore et encore l'opposition !
Je vous avoue qu’il m’est difficile de vous dire si le plan réussira ou si le plan se passera ainsi : les parties sont tellement secrètes et parfois fantasques. En revanche ce dont je suis certain, c’est qu’à partir du moment où le président lui-même reconnaît l'illégalité de la CREI au niveau procédural, il va bien falloir en tirer les conséquences pour le procès de Karim Wade. Une juridiction illégale engendre des condamnations illégales ! Là-encore, Macky Sall est maître du temps. Les négociations se poursuivent ; je préviens Karim Wade de ne pas être trop gourmand quel que soit le sentiment d’injustice qu’il éprouve depuis son séjour à Rebbeus. A vouloir trop réclamer la révision judiciaire, il pourrait l’obtenir par Macky Sall si ce dernier ne parvient pas à son dessein. Dans ce cas de figure, la révision pourrait être longue, très longue à obtenir.
Bonne année 2021, politiquement parlant elle nous réserve encore beaucoup de surprises !
Retrouez ci-dessous, tous les articles signés de notre éditorialiste, sur la CREI :
PETITE LEÇON DU COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME
LA CREI SOUS INFLUENCE POLITIQUE