LE TROIS MARS DE MACKY SALL
EXCLUSIF SENEPLUS - Ce qui fait la singularité des acteurs du soulèvement en cours, c’est leur désarroi qui frise le désespoir face à l’insignifiance de leur vie. Le président doit sans tarder parler au peuple et lui proposer un « nouveau deal » politique

Le président Macky Sall est-il un patriote ? Est-il capable de placer effectivement la patrie avant le parti comme il l’a proclamé naguère ? De placer les intérêts de ce pays, c’est-à-dire sa stabilité, son intégrité et sa sécurité au-dessus de sa propre personne et des intérêts de sa famille, de son clan et de ses partisans ?
Le président Macky Sall est-il un homme d’État ? Et pas seulement un homme politique qui pense au-delà des prochaines élections, aux générations futures, selon le bon mot d’Abraham Lincoln ? Qui est préoccupé avant tout par la pérennité de l’État dont le peuple sénégalais lui a confié la charge pendant un laps de temps déterminé !
Le président Macky Sall réalise-t-il que le 3 mars 2021 marque un tournant décisif dans l’histoire de ce pays ? Non pas que ce pays n’ait jamais connu des soulèvements populaires !
Depuis l’indépendance de ce pays, les Sénégalais se sont soulevés à plusieurs reprises contre la carence de souveraineté, le déficit de démocratie et la patrimonialisation de l’État.
Ainsi, du mouvement d’étudiants, d’élèves et de travailleurs, du « Mouvement de mai 68 » face au président Senghor. Ainsi des luttes des années 1975 à 2000 pour le multipartisme, la reconnaissance des libertés démocratiques, le pluralisme de l’information et l’adoption d’un système électoral transparent.
Il y a eu aussi en 2011 « le Mouvement du 23 juin » contre le projet de troisième mandat et de ticket présidentiel du président Abdoulaye Wade.
Cependant, le soulèvement populaire qui a commencé ce 3 Mars et qui se poursuit encore est particulier du fait à la fois du contexte historique dans lequel il s’inscrit et du profil singulier de ses acteurs.
Le contexte historique, c’est celui du désenchantement de la jeunesse de ce pays, à l’instar de celle de tous les pays d’Afrique, face à la situation de dépendance politique, économique et culturelle dans lequel notre pays se trouve soixante ans après son indépendance.
Ce qui fait la singularité des acteurs du soulèvement en cours, c’est leur désarroi, qui frise souvent le désespoir, face au chômage chronique et à l’insignifiance de leur vie quotidienne pour lequel il n’entrevoyait jusqu’à présent d’autre solution que l’émigration à tout prix. Au prix même de leur vie ainsi qu’en témoigne leur slogan « Barça am Barzakh ».
Le président Macky Sall comprend-il que pour cette jeunesse, à tort ou à raison, M. Ousmane Sonko apparait tel un Messie, comme l’unique espoir de vivre enfin un jour prochain des vies dignes d’être vécues ?
Si le président Macky est un vrai patriote, un homme d’État préoccupé avant tout par le destin de ce pays, qui apprécie donc lucidement le contexte géopolitique dans lequel le Sénégal se trouve, qui sait les écueils qui menacent plus que jamais notre fragile esquif Sunugal, qu’il agisse donc rapidement avant qu’il ne soit trop tard !
Il doit sans tarder parler au peuple sénégalais sans fard et lui proposer un « nouveau deal » politique. Il s’agit de faire libérer toutes les personnes accusées de délits politiques, mais également Ousmane Sonko, en précisant qu’en ce qui concerne l’accusation de viol dont il fait l’objet, la justice poursuivra son action sans entrave et sans pression. D’appeler à l’organisation d’élections législatives anticipées couplées aux élections municipales et départementales initialement prévues en juin 2019 et reportées au 28 mars 2021.
Le président de la République indiquera également au cours de cette adresse que le parti vainqueur des prochaines élections législatives désignera au président de la République le Premier ministre qui lui proposera les membres du prochain gouvernement, avec lequel il cohabitera jusqu’à la fin de son mandat en 2024. Il indiquera bien entendu qu’il respectera les dispositions constitutionnelles actuelles et ne sera pas candidat à un troisième mandat.
Le président Macky Sall annoncera dans les jours qui suivront cette adresse à la nation un remaniement ministériel qui verra la nomination d’un officier supérieur de l’Armée comme ministre de l’Intérieur en charge de l’organisation des élections, comme le président Abdou Diouf l’avait fait à la veille des élections présidentielles de février 2000. Il annoncera également les mesures appropriées pour établir et garantir l’indépendance de la Justice par rapport à l’Exécutif.
Ceci est-il de la politique-fiction ?
Le président Macky Sall est-il capable de se libérer des lobbies et des « tasks forces » qui pèsent sur lui et de prendre ces mesures hardies qui pour parler comme M. Abdou Diouf sembleraient scier la branche sur laquelle il est assis ?
Je voudrais croire que comme le général de Gaulle, qui après la grave crise de Mai 1968 avait organisé un référendum pour rélégitimiser la fonction de président de la République et l’ayant perdu avait démissionné tout en laissant à la France des institutions revigorées, M. Macky Sall mettra en avant les intérêts supérieurs du pays pour le sortir d’une crise qui pourrait le handicaper durablement.
S’il adoptait cette stature d’homme d’État, le président Macky Sall se donnerait une dimension qui lui voudra surement l’immunité quelque soient les forfaits et même les crimes dont il se serait coupable au cours de sa présidence.
Par contre s’il s’enfermait dans cette attitude de mépris du peuple et continuait de vouloir réprimer l’insurrection dans le sang, comme le récent discours de son ministre de l’Intérieur le laisse entendre, alors le nom de ce président restera dans l’histoire comme celui qui aura détruit cet ersatz de démocratie et cette Téranga pour la construction desquels des générations d’hommes et de femmes de ce pays ont lutté.
Les Sénégalais se souviendront de lui, comme les Somaliens se souviennent sans doute de Syad Barré et les Burkinabè de Blaise Compaoré, comme celui par qui la descente aux enfers du pays a été amorcée.
Il se fait tard monsieur le président de la République : déjà au moins cinq personnes ont été tuées et chaque jour désormais fera son lot de morts et de destructions.