L’ILLUSION DE L’ABONDANCE
"Pour la première fois depuis longtemps, le pays a été épargné des palabres sur le bon approvisionnement du marché en pomme de terre et en oignon à la veille de la Korité. Ce fut en veux-tu, en voilà et les prix n’ont pas flambé."

Pour la première fois depuis longtemps, le pays a été épargné des palabres sur le bon approvisionnement du marché en pomme de terre et en oignon à la veille de la Korité. Ce fut en veux-tu, en voilà et les prix n’ont pas flambé. Juste logique du système de l’offre et de la demande. Jusqu’au moment où nous écrivons ces lignes, ces deux produits sont encore assez présents sur les étals de nos marchés.
Une abondance dont se satisfont certains mais qui cache une incongruité. En réalité, cette profusion est une illusion et ne s’inscrit pas dans une logique cohérente d’autosuffisance que les autorités du pays appellent de leurs vœux. Cette situation nous installe plutôt dans la gangue de l’immédiateté, c’est-à-dire une satisfaction passagère sur une courte période, disons de trois à quatre mois au plus, avant de se retrouver devant un manque qui oblige à recourir aux importations. Ça renvoie à l’image du gars qui se retrouve brusquement devant un excédent de nourriture et s’en goinfre sans penser à en réserver pour demain, sachant que ce n’est pas tous les jours que la Providence lui fait une telle faveur. Certes, il mangera à satiété et en gaspillera même, mais sera à la merci de lendemains qui auront l’amer goût d’un jour sans pain.
Or, un peu de bon sens lui aurait permis de s’éviter une telle mésaventure. Le parallèle est caricatural, mais rend compte de la situation que nous vivons avec l’oignon et la pomme de terre. Voilà deux produits de grande consommation pour lesquels le Sénégal est autosuffisant mais qui, faute d’une politique de planification de leur culture et de leur stockage, car périssables, se retrouvent à manquer sur le marché à une période l’année. Cultivés à grande échelle au même moment dans toutes les zones agroécologiques où les conditions de leur épanouissement sont réunies, ils se retrouvent fatalement en même temps sur le marché. Alors bonjour la mévente. Et quand il y a mévente, il y a bradage et pertes post-récolte. Les producteurs ne s’y retrouvant pas financièrement ne peuvent pas repartir pour une nouvelle campagne. Et quand il y a moins de producteurs dans une filière, l’autosuffisance est forcément menacée. Implacable vérité de l’effet domino. Pourtant, il est établi que l’horticulture peut jouer sur trois tableaux : vocation vivrière, légume et rente.
Toutefois, on a l’impression qu’elle n’est pas assez valorisée et ne bénéficie pas de la même attention que la tyrannique filière arachidière qui mobilise toute la République. Et ce n’est pas trop dire ! L’arachide est la seule spéculation qui s’invite, chaque année, à la table du Conseil des ministres pour la fixation de son prix. On nous dira que la graine oléagineuse, sur le plan sociologique et dans l’imaginaire collectif, est difficile à remplacer. Certes. Cependant, cela ne doit pas être une raison pour reléguer au second plan les autres filières, notamment l’horticulture qui est, aujourd’hui, le secteur leader de l’agriculture sénégalaise et qui se porte le mieux aussi bien en termes de productivité que de compétitivité. Figurez-vous, là où les cultures horticoles donnent une moyenne de 25 à 30 tonnes par hectare, les autres spéculations sous pluie qui occupent une écrasante majorité des agriculteurs sénégalais, peinent à dépasser deux tonnes pour la même superficie.
En termes de compétitivité, les légumes et les fruits se vendent toujours plus chers et mieux qu’un kilo d’arachide, de mil et de maïs. En matière d’emplois, l’horticulture est le secteur, dans l’agriculture, qui peut absorber une masse importante de jeunes, de femmes, de Sénégalais qui y trouvent leur compte sans que le secteur ne soit saturé. C’est aussi une source de devises, les produits horticoles étant les seuls quasiment qui sont exportés. Dans cette filière, le combat le plus difficile a été gagné : la productivité. Le plus facile, le stockage, peine à être réalisé. Un paradoxe. L’État a un projet de construction de 20 hangars de stockage de grande capacité, c’est déjà bien. Mais il n’est pas le mieux indiqué pour de tels investissements. L’idéal serait que le secteur privé s’y lance comme ce que Swami agri a fait à Mbane où elle a inauguré, en mars dernier, sa huitième chambre froide d’une capacité de stockage de 15 000 tonnes.