L'ORPAILLAGE TRADITIONNEL, UN MAL NÉCESSAIRE!
Depuis la découverte d’un gisement prometteur (couloir, ndlr) jusqu’à sa mise en exploitation, gagner quelques pépites du précieux métal jaune nécessite bien des entreprises à la fois risquées et bénéfiques pour les travailleurs

Depuis la découverte d’un gisement prometteur (couloir, ndlr) jusqu’à sa mise en exploitation, gagner quelques pépites du précieux métal jaune nécessite bien des entreprises à la fois risquées et bénéfiques pour les travailleurs. Il génère des retombées économiques considérables, de l’ordre de 86,6 milliards de F CFA, pour une production de 4,3 tonnes, selon l’Étude Monographique sur l’orpaillage au Sénégal (EMOR/Kédougou), réalisée par l'Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) en 2018. Et ceux qui ont réussi à se procurer de machines de transformation du minerai, mais excessivement coûteuses (environ 50.000.000 F CFA l’unité), abandonnant l’utilisation de produits toxiques, sont déjà aux anges. Même si la Covid-19 ayant entrainé la fermeture des dioura a fortement impacté le secteur. De même, si au début, les dioura étaient une véritable cause de déperdition et d’abandon scolaire, aujourd’hui, c’est l’inverse : dans nombre de zones d’orpaillage aujourd’hui, les recettes tirées de l’exploitation de l’or permettent de maintenir les enfants à l’école. Faisant de l’activité, une sorte de mal nécessaire.
RETOMBEES ECONOMIQUES : Plus de 86,6 milliards empochés par les diouratigui, en 2018
ll ressort de l’atelier sur le partage du rapport Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) 2018, organisé le mardi 07 janvier 2020 à Kédougou que «l’orpaillage traditionnelle produit 4,3 tonnes d’or, pour un montant estimé à 86,6 milliards de FCFA». Cependant, il est difficile, voire impossible de donner avec exactitude le montant qui en découle pour plusieurs raisons. D’abord, chaque année, de nouveaux sites d’orpaillage clandestins voient le jour. Ensuite, les énormes quantités d’or qui y sont tirés échappent le plus souvent à la Douane - même si elle fait un travail remarquable - à cause d’un trafic bien organisé. Et enfin, il y a le cours de l’or qui est plus attrayant dans les autres pays. Néanmoins, il existe des indicateurs pouvant renseigner sur l’impact de l’orpaillage sur le train de vie des populations.
Sur le plan économique, la plupart des orpailleurs rencontrés sur les sites de Kharakhéna, Khossanto ou encore Bantaco, affirment avoir un meilleur train de vie depuis qu’ils ont commencé l’exploitation du métal jaune. En témoigne Alassane «Diaobé», un diouratigui venu de la Casamance et établi à Bantaco : «avant de venir ici, à Bantaco, j’étais à Dakar où je travaillais à la société SOMETA. A mon arrivée, on m’a initié au métier de l’orpaillage et ses secrets tel que le pesage : 10, 2/10, 3/10. Une fois cette étape maîtrisée avec aisance, j’ai su que ce travail était fait pour moi. De plus, je peux gagner ici jusqu’à 200.000 F CFA par jour, alors qu’à la société où je travaillais, je percevais 150.000 le mois. J’ai réussi à me construire une villa digne d’un ministre grâce aux recettes de l’orpaillage. Depuis, grâce à la sueur de mon front et la bénédiction du ciel, j’ai acquis une machine de traitement du minerai, avec laquelle nous travaillons actuellement, à hauteur de 11.000.000 (2 moteurs de formats différents et les outils qui les accompagnent) et une mototaxi tricycle à 1.000.000 de F CFA. Nous travaillons à la surface. Par contre, d’autres entrent au fond du «daman» pour extraire le précieux métal jaune. Ces derniers s’en sortent souvent avec des sommes astronomiques. Car, une seule pierre peut rapporter près de 1 million en l’espace de 24 heures. Il y a aussi d’autres qui peuvent travailler un an durant sans avoir de quoi ramener chez eux; c’est une sorte de loterie, on peut gagner, comme on peut aussi perdre».
A sa suite, Kassa Keita, conseiller municipal de la commune de Tomboronkoto, répondra par l’affirmatif quant à la question de savoir si l’orpaillage a des impacts positifs sur leur mode de vie. D’emblée, il affirme sans ambages que «l'orpaillage a changé beaucoup de choses chez nous, même si les avis sont partagés sur le sujet : notre train de vie, notre pouvoir d'achat, pour n'en citer que ceux-là. Et dans la région de Kédougou, c'est grâce à l’orpaillage que les gens subviennent à leurs besoins. Pour preuve, c'est grâce à l'orpaillage que nous arrivons à payer les fournitures de nos enfants qui vont à l’école ici même, la scolarité de ceux qui vont à l’université ; mais aussi et surtout c’est grâce à l’orpaillage que nous avons un toit». Mieux, il possède un champ de 6 hectares et demi où il a planté 450 manguiers, 300 bananiers et 300 pieds d’anacardiers. Le conseiller municipal révèle que c’est grâce aux recettes de l’orpaillage qu’il a pu s’offrir ce verger, y compris toute la clôture en fils de fer barbelés.
IMPACT DE COVID-19 : FERMETURE DES DIOURA, LE SECTEUR DU COMMERCE «TESTÉ POSITIF»
Dans le secteur du commerce, bon nombre de commerçants, grossistes comme boutiquiers détaillants, en passant par ceux qui possèdent des étals, rencontrés au marché central de Kédougou affirment avoir subi une baisse de leurs revenus depuis le début de la crise due à la Covid19, occasionnant la fermeture des dioura. Chérif Sidy Yaffa, président de l’association des commerçants de Kédougou confie : «en ce moment, nous faisons face à beaucoup de difficultés qui occasionnent d’énormes pertes. A partir des achats des travailleurs des «dioura», nous parvenions à nous maintenir à flot. Mais, depuis qu’ils sont fermés, afin de limiter la transmission du coronavirus, ces milliers de travailleurs qui venaient se ravitailler chez nous ne le font plus. Dès lors, on note une baisse substantielle de nos revenus. En effet, ils faisaient une commande de 1.000.000 ou 2.000.000 et payaient comptant. Hélas, il n’y a plus rien de tout cela», déplore-til. Des exemples de ce genre existent à la pelle, car l’orpaillage est ancré dans la vie quotidienne des Kédovins qui y trouvent leur compte.
COVID-19 CONFINE MOTOS ET TRICYCLES A VENDRE, DANS LES DEPOTS
Le secteur de la mécanique, entendez par-là, l’achat et la vente des motocyclettes et des tricycles dont se servent les orpailleurs, n’est pas mieux loti depuis l’avènement du coronavirus ayant entrainé la fermeture des dioura. Les premiers sont utilisés par les orpailleurs pour se déplacer d’un site d’orpaillage à un autre et les seconds pour transporter les minerais et sacs de sable aurifère. A.K, surnommé «Malien», en référence à ses origines, affirme que grâce à l’orpaillage il arrive à «vivre dans l’aisance», sans toutefois donner son gain mensuel exact. Ses compatriotes maliens et des ressortissants guinéens lui ont emboité le pas dans ce commerce qui aujourd’hui, génère des dizaines de millions par an, si l’on se base sur le nombre de nouvelles motos mises en circulation chaque mois.
LE POUVOIR D’ACHAT DES POPULATIONS POUR MESURER LA RENTABILITE ECONOMIQUE DES DIOURA
L’autre aspect qui pourrait renseigner sur la rentabilité économique des orpailleurs est leur pouvoir d’achat. En effet, sur un échantillonnage de 100 individus choisis parmi les orpailleurs rencontrés dans les dioura à Khossanto, Bantaco et Kharakhéna, chacun affirme vivre avec au moins 5000 F CFA par jour, faire des achats de natures diverses (denrées alimentaires et produits de premières nécessités) à des montants compris entre 50.000 et 150.000 F CFA le mois
APPLIQUER LA CONVENTION DE MINAMATA SUR L’UTILISATION DU MERCURE : Pour lutter contre la dégradation des sols, de l’environnement et la pollution aquatique
Pour lutter contre l’utilisation du mercure qui entraîne la dégradation des sols, la pollution des cours d’eau et l’empoisonnement des végétaux jouxtant les sites d’orpaillage, le Sénégal est signataire de la Convention de Minamata du 10 octobre 2013 lors de la Conférence diplomatique de Kunamoto au Japon. Laquelle Convention nécessite un plan d’action pour sa mise en œuvre déjà pré-validé par le Sénégal, le 03 mars 2016, et en correction au niveau du ministère des Mines et de la Géologie, pour approbation. Ladite Convention ratifiée par le Mali, le Sénégal et le Burkina Faso, milite pour une réduction considérable sinon l’abandon définitif de l’utilisation du mercure dans les sites d’orpaillage. Pour y parvenir, des sensibilisations de masse s’imposent auprès des orpailleurs et acteurs du secteur aurifère afin de mettre en œuvre un plan efficace et efficient, des actions planifiées dans la Convention de Minamata, en attendant l’interdiction totale de l’utilisation de ces produits hautement nocifs pour l’environnement et les humains ; bref pour l’écosystème. De l’avis du président de l’Association des orpailleurs de Kédougou, Mamadou Dramé, il appartient à chaque Conseil municipal de «contenir l’activité d’orpaillage» dans son territoire communal, en faisant en sorte que les orpailleurs traitent le minerai dans un même endroit en vue de réduire la pollution liée au mercure. En effet, il existe des machines capables de traiter ces milliers de mètres cubes de boue et de sable extirpés des tréfonds de la terre et d’en démêler le métal jaune des débris, sans utiliser une seule goutte de mercure.
Pour ce faire, indique M. Dramé, «il faudrait que l’État accompagne les orpailleurs à acquérir des machines pour le traitement du minerai, sans l'utilisation du mercure, qui existent et qui sont très efficaces. Mais, leur coût sont exorbitant ; pour pouvoir en disposer une, il faut l’équivalent de 2 kg d'or c'est-àdire 50.000.000 de F CFA». Fodé Samboura, chef des employés du site GIE Fokhoba sis à Bantaco, tout en vantant l’efficacité des puissantes machines de traitement du minerai, explique la procédure. «Ce projet a été mis en place pour combattre l’utilisation du mercure dans les sites d’orpaillage. Nous sommes les premiers sinon les seuls à avoir la machine dans la région. Ici, on traite le minerai sans utiliser le mercure. Les gens du village amènent leur minerai ici, parce ce que quand ils le traitent à la maison, ils sont obligés d’utiliser du mercure. Mais cette machine est une solution contre l’utilisation du mercure. Pour ce faire, il y a un calendrier à respecter c’est-à-dire que chaque membre du dioura qui le souhaite aura un jour à lui seul pour le traitement de son minerai. Après avoir concassé et broyé le minerai, on le passe sur la table et c’est elle qui se chargera de séparer l’or de la boue».
GAIN DE TEMPS
En plus de la limitation des risques liés à l’utilisation du mercure et du cyanure dans le processus de traitement du minerai, la machine permet de gagner un temps fou. Elle permet de traiter, en moyenne, près de 1,5 tonne de minerai en l’espace d’une journée, par exemple de 8h à 16h. Alors que ceux qui décident de traiter le minerai eux-mêmes en utilisant les produits chimiques courent le risque de détériorer leur santé. Pis, il leur faut plusieurs mois pour faire ce que nous faisons en moins de 24h. L’efficacité des machines n’est plus à démontrer et les orpailleurs gagneraient plus en l’utilisant plutôt que de travailler chez eux. En plus du coût du traitement qui est accessible. Avec la machine, composée dans sa structure de broyeur, de concasseur et de la table vibrante, les gens paient 7000 F CFA pour le traitement de 20 ou 30 sacs du minerai brut. Alors qu’au village où le traitement est plus laborieux, en raison des outils archaïques utilisés (tamis, pilon et mortier, nattes et bassines d’eau), il faut débourser 10.000 F CFA par sac. Aussi, avec la machine, un sac de minerai rapporte 4 à 5 grammes d’or ; alors que si c’est traité à la main, le rendement serait de l’ordre de 1 gramme.
DEPERDITION SCOLAIRE DANS LES ZONES D’ORPAILLAGE Un problème aux causes multiples
S’il est vrai que l’orpaillage traditionnel est l’une des principales causes de déperdition scolaire, il n’en demeure pas moins qu’elle n’en est pas la seule. En effet, dans la région de Kédougou, tout comme dans la plupart des autres localités traditionnelles qui tardent à s’émanciper, les parents donnent très tôt en mariage leurs enfants car, élever un enfant se révèle être une tâche difficile dans cette région où le taux de pauvreté est de 71,3%, selon une étude que l’ANSD avait réalisée en 2011. Ce faisant, les parents préfèrent donner la main de leurs filles très jeunes. Les statistiques obtenues de l’Inspection de l’éducation et de la formation (IEF) de Kédougou, concernant 3 sites d’orpaillage, révèlent un faible taux de déperdition scolaire.
Dans la commune de Tomboronkoto, l’un des plus grand site d’orpaillage, sur un effectif de 289 élèves, 4,76% des garçons ont quitté l’école et 2,8% chez les filles. Dans la commune de Bantaco, le directeur de l’école primaire, Lanssana Kaba, parle même de «hausse considérable de la scolarisation» due à l’arrivée de nouvelles familles attirées par l’or. Cependant, dans la localité de Bandiambo, l’on note un taux élevé de déperdition scolaire ; il est de l’ordre de 64%, soit 58% chez les filles et 41% chez les garçons. Il s’y ajoute que l’éloignement des localités peut être un facteur d’abandon scolaire. En effet, la distance entre un village abritant un établissement scolaire et d’autres localités qu’il polarise peut fortement décourager les élèves et les pousser à l’abandon. Avec des routes sinueuses et boueuses, les bicyclettes sont les moyens de déplacement privilégiés pour les familles pauvres. Et, la plupart d’entre-elles n’en disposent qu’une pour remplir tous les besoins en déplacements de la famille.
UN AVANTAGE PAR ENDROITS : L’ORPAILLAGE POUR MAINTENIR LES ENFANTS A L’ECOLE
Envahis par de nombreuses personnes venues d’horizons divers, en plus de la population autochtone, les sites d’orpaillage représentent la société Kédovine en miniature. Ainsi, comme dans toute localité, les dioura qui polarisent des milliers de personnes, jouxtent les établissements scolaires. Ce faisant, beaucoup de pères de famille y voient une aubaine pour financer les études de leurs enfants. M. Diallo, la cinquantaine, et son fils Abdoulaye, rencontrés au dioura du village de Habibou, une localité située à quelques encablures de Kédougou, affirment tous deux «y trouver leur compte». Pour le père «l’orpaillage sert non seulement à assurer la dépense quotidienne mais aussi à réserver quelques sous pour l’investissement immobilier». Quant à Abdoulaye, élève au lycée technique de Kédougou, il déclare : «l’orpaillage que je pratique, en temps partiel, en dehors de mes heures de cours, me permet de payer entièrement mes frais de scolarité, mes fournitures, le vestimentaire et ma nourriture. A chaque campagne, je ramasse près de 500.000 F CFA».