NE PRENEZ PAS LES PIROGUES DE LA MORT
Le mythe est loin de la réalité.

Le mythe de l’Occident a fait son effet dans la conscience collective des jeunes Sénégalais. Les pays Occidentaux sont tellement nantis que même leurs animaux y sont choyés se disent-ils. Je m’inscris en porte à faux contre une telle absurdité, car en Europe on y rencontre beaucoup de gens qui vivent sous le seuil de pauvreté, beaucoup de gens à qui on a sans doute délivré un test imonium paupertatis, des gens qui grelottent dans un froid de canard n’ayant pas là où crécher.
Le mythe est loin de la réalité.
A travers la télévision, beaucoup de jeunes Africains croient que les images qu’on y montre sont le quotidien de l’Européen le plus anonyme. Toutes ces images ne sont en fin de compte que des clichés.
L’Europe, l’Amérique sont des continents qui présentent des contrastes, des continents où les contradictions sont de mise et il faut sans doute y être pour s’en rendre compte. En Amérique, par exemple, les richesses sont étalées sans que cela ne heurte les consciences alors que la pauvreté est l’autre versant de ces richesses.
Les films qui défilent sur le petit écran ne mettent jamais ou mettent rarement en évidence l’autre facette de ce pays : les agressions récurrentes, la violence entre des gans ennemis, la pauvreté. De telles choses sont pourtant le lot quotidien de beaucoup d’américains, c’est des choses qui font partie de la vie américaine.
Tout ce que les jeunes de certaines contrées Africaines connaissent de l’Amérique c’est les gros bolides exposés, les dollars qui défilent dans les clips de RAP, les femmes avec des plastiques artificielles, le côté bling-bling et très mondain. Tout ceci est connu un peu partout en Afrique, à Simal, Mare Lothie, Thiaré, Fatick, Vélingara, Saint-Louis, Dakar, Gandiaye, Bobo Djoulasso, Douala, Abidjan, Lomé, etc., Tout ce côté clinquant de la vie fait naître des envies d’ailleurs.
Les jeunes Africains sont beaucoup plus américanisés que les américains de souche, ils connaissent sans doute mieux les stars américaines, européennes que les leurs. Les cultures venues d’ailleurs font rêver. Ce qu’ignorent ces jeunes, c’est qu’à côté du star business, du monde des people trash, il existe des sans abris, des gens qui se pavanent dans les rues, des gens qui ne vivent que par la grâce de la générosité de certaines personnes au cœur sensible. Ils ne savent pas que malgré la richesse apparemment abondante, il y a des gens qui s’entassent dans des chambres exiguës et qui chaque jour que Dieu fait vont à Clignancourt, à la Tour Eiffel pour vendre des produits contrefaçons, des hommes qui gagnent difficilement leur vie et qui luttent chaque jour pour échapper aux traques policières étant sans papiers légaux. Hélas !
Beaucoup de jeunes, une fois en Europe, deviennent des rabatteurs dans différents salons de coiffure, de boutiques entre autres. Pour s’en convaincre, il faut faire un tour à Strasbourg Saint Dénis, les hommes travaillent pour les salons de coiffure. Je me demande si au fond les jeunes qui s’entassent dans des pirogues rafistolées, veulent vraiment partir pour faire certains boulots, travailler comme des goujats, faire des boulots qu’ils refuseraient de faire en Afrique. Je me demande si la plupart des jeunes que je voyais, (durant mon séjour) postés à la devanture des salons criant pour se faire entendre par de probables clients n’avaient pas un travail qui pouvait leur convenir en Afrique.
Ils venaient, me disais-je, en Europe, les rêves pleins la tête, mais avaient sans doute déchanté, leur rêve ne se réalisera jamais dans cette Europe où il faut être doublement solide pour espérer s’en sortir. Leur vie était dure et cela se lisait sur les plis des visages rabougris par le désespoir, ah c’est aussi ça l’Europe. Il faut relater la réalité pour aider à la réelle prise de conscience et éviter les désillusions, montrer que tous les immigrés ne roulent pas sur des ponts d’or en Europe, et il n’y a rien de mal à ça, c’est au contraire une noble tâche.
Ousmane SARR,
Philosophe/UCAD