OÙ VA L’ARGENT DE L’ÉTAT ?
Le rapport d’exécution budgétaire du premier trimestre 2025 montre que le Sénégal reste prisonnier d’un vieux modèle budgétaire hérité de la période postcoloniale et perpétué par tous les régimes successifs. Un État qui collecte, consomme beaucoup ...

Le rapport d’exécution budgétaire permet de suivre les grandes masses financières, d’observer la trajectoire budgétaire et de mesurer les écarts entre les prévisions et les réalisations. Chaque rapport d’exécution budgétaire donne une vision macroéconomique globale, mais ne fournit pas le détail précis des dépenses ligne par ligne. Il reste très insuffisant pour permettre un contrôle citoyen digne de ce nom.
Le rapport d’exécution budgétaire du premier trimestre 2025 montre que le Sénégal reste prisonnier d’un vieux modèle budgétaire hérité de la période postcoloniale et perpétué par tous les régimes successifs. Un État qui collecte, consomme beaucoup et rembourse … mais investit très peu. Un État obèse qui vit d’abord pour se perpétuer et se maintenir.
Il existe deux grandes familles de dépenses publiques : les dépenses ordinaires et les dépenses en capital (investissements)
Les premières concernent le fonctionnement quotidien de l’État. Au T1 2025, elles s’élèvent à 1 130,89 milliards FCFA, soit près de 80 % des dépenses totales. Elles se répartissent entre les salaires (357,07 milliards), les intérêts sur la dette (225,24 milliards), les achats de biens et services (84,65 milliards), et les transferts courants (463,93 milliards).
Les transferts courants sont des versements que l’État effectue sans attendre de retour direct : aides sociales, subventions, bourses, etc. Pourtant, le rapport ne fournit aucunes informations sur les critères d’attribution ou l’impact réel de ces dépenses. Il est donc impossible de juger de leur efficacité.
En face, les dépenses en capital représentent les investissements de l’État, censés impulser la croissance et structurer l’avenir. Le montant déclaré au T1 2025 est de 288,57 milliards FCFA, soit 20 % des dépenses du trimestre. Ce chiffre semble correct sur le papier. Mais à y regarder de plus près, seuls 2,64 milliards FCFA ont été effectivement exécutés par l’État sur ses ressources propres, soit moins de 1 % des crédits ouverts.
En d’autres termes, les projets sont dans les dossiers, pas sur le terrain. Le prétexte évoqué sur les lenteurs dans la passation des marchés ne peut plus masquer une absence de pilotage ferme, voire un manque de volonté ou de compétence.
Aussi l’État avait prévu de recevoir 45 milliards FCFA en dons budgétaires pour soutenir les dépenses ordinaires. Or, aucun franc n’a été mobilisé à ce titre au cours du trimestre, soit un taux d’exécution de 0 %. Parallèlement, il avait également inscrit 200 milliards FCFA en dons en capital destinés à financer des investissements. Là encore, seuls 8 milliards FCFA ont été effectivement reçus, soit à peine 4 % de ce qui était attendu. Ces écarts interrogent sur la sincérité des prévisions, mais aussi sur le climat de confiance entre l’État et ses partenaires financiers.
Les charges financières de la dette au premier trimestre 2025 ont augmenté de 43,57 milliards FCFA par rapport à la même période l’année passée. Cette hausse s’explique par l’augmentation des emprunts contractés en 2024, la montée des taux d’intérêt sur les marchés, ainsi que le début du remboursement de certains prêts. Pourtant, le rapport ne donne aucun détail sur ces dettes : ni les nouveaux prêts signés, ni les projets financés, ni les conditions financières appliquées. Le gouvernement a annoncé que les prochains rapports intégreront ces données. C’est une bonne intention, mais encore faut-il que cela dépasse les simples agrégats macroéconomiques et permette une lecture citoyenne complète, transparente et accessible.
Au premier trimestre 2025, la Présidence de la République a dépensé 17,22 milliards FCFA. La Primature a consommé 3,21 milliards, et l’Assemblée nationale 5,72 milliards FCFA. À elles seules, ces trois institutions ont exécuté plus de 26 milliards FCFA en trois mois, sans que le rapport n’en détaille la nature. Combien pour les salaires ? Pour quels types de personnel : conseillers techniques, chargés de mission, ministres-conseillers ? Quels avantages sont accordés ? Ces postes répondent-ils à des besoins réels ? Quels marchés ont été passés, pour quels montants, avec quels prestataires ? Et pour quels résultats ?
Autant de questions fondamentales que le rapport d’exécution budgétaire ne permet pas de traiter, car il ne fournit aucun détail par ligne de dépense. En l’état, il est impossible d’exercer un contrôle citoyen sérieux. Le risque est clair : ces institutions peuvent consommer l’essentiel de leurs crédits annuels sans aucune transparence sur l’usage réel des fonds publics.
Le citoyen est donc informé… mais pas éclairé. Et sans éclairage, il n’y a ni transparence réelle, ni redevabilité, ni efficacité de la dépense publique.
Le régime actuel est arrivé au pouvoir avec un discours de rupture. Mais sur la forme comme sur le fond, aucune rupture n’est encore visible dans la manière dont les rapports d’exécution budgétaire sont conçus, structurés et communiqués. La présentation est la même, les agrégats sont les mêmes, les zones d’ombre aussi.
Il est temps d’engager une réforme ambitieuse et crédible. Cette réforme devrait aboutir à la mise en place d’une plateforme publique de suivi budgétaire, ouverte à tous, actualisée en temps réel, permettant de tracer chaque dépense jusqu’au dernier franc.
En attendant cette réforme, la vigilance citoyenne doit s’exercer avec les moyens disponibles. Mais surtout, les organes de contrôle de l’État comme l’OFNAC et l’IGE doivent jouer pleinement leur rôle : produire des audits indépendants, rigoureux, accessibles, et publiés dans les délais. Car sans transparence et sans contrôle, le pouvoir budgétaire reste une boîte noire.