LECTURE SOCIOLOGIQUE DU RAPPORT D'EXÉCUTION BUDGÉTAIRE
Le rapport d'exécution budgétaire du premier trimestre 2025 offre bien plus qu’un simple aperçu technique des finances publiques. Il est, en filigrane, le miroir sociologique d’un comportement collectif : celui d’un État qui consomme plus qu’il n’investit

Le rapport d'exécution budgétaire du premier trimestre 2025, publié récemment par le ministère sénégalais des Finances et du Budget, offre bien plus qu’un simple aperçu technique des finances publiques. Il est, en filigrane, le miroir sociologique d’un comportement collectif : celui d’un État qui consomme plus qu’il n’investit, et d’une société qui semble reproduire cette logique à tous les niveaux. En cela, la tendance structurelle de l’État à privilégier les dépenses de fonctionnement au détriment des investissements productifs s’apparente à un mode de vie généralisé au sein de la population.
Une économie budgétaire centrée sur le passif
Le rapport indique que plus de 75 % des dépenses réalisées au T1-2025 relèvent du fonctionnement courant, incluant les salaires, les subventions, et les charges de la dette. En revanche, les investissements directs de l’État n’atteignent même pas 1 % des prévisions annuelles. Cette disproportion interpelle. Elle signale un déséquilibre profond dans la vision de la gestion des ressources publiques : l’État semble consommer ses moyens plutôt que de les transformer en leviers de production durable.
Un État « consommateur » plus que « bâtisseur »
Ce comportement de l’État n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une culture sociale plus large où l’urgence du présent prime sur la planification de l’avenir. Entretenir un appareil administratif hypertrophié, maintenir des subventions de confort, multiplier les charges récurrentes non productives : tout cela témoigne d’un souci de confort immédiat au détriment de la création d’infrastructures ou d’actifs économiques.
On observe ici un rapport au temps particulier : l’avenir est incertain, presque secondaire. Il faut donc profiter maintenant, consommer maintenant, satisfaire maintenant. Ce qui est paradoxal pour un État qui devrait, par essence, incarner la projection stratégique et la responsabilité générationnelle.
Un comportement qui reflète celui d'une majorité de citoyens
Cette tendance de l’État reflète un phénomène social plus global. Dans une grande partie des ménages sénégalais, les revenus sont majoritairement consommés pour des dépenses courantes : habillement, cérémonies, alimentation, mobilité. L’épargne est faible, et l’investissement – dans l’immobilier, l’agriculture, la formation ou l’entrepreneuriat – reste marginal.
De même que l’État peine à créer des actifs publics structurants, les citoyens peinent à transformer leurs revenus en richesses productives. Dans les deux cas, on observe un rapport émotionnel à la dépense, souvent justifiée par des normes sociales (répondre aux demandes, paraître généreux, célébrer l’instant) plutôt qu’économiques (rentabilité, durabilité, transmission).
Une culture de la dépense statutaire
Derrière ces choix budgétaires se cache une logique statutaire : dépenser pour asseoir ou entretenir un statut. Pour l’État, il s’agit de maintenir une image de puissance ou de générosité. Pour le citoyen, c’est souvent une question d’honneur ou de reconnaissance sociale. Dans les deux cas, la dépense devient un outil de communication identitaire plus qu’un instrument de production.
Réconcilier consommation et investissement : un impératif sociétal
Cette analyse suggère que le rééquilibrage budgétaire au Sénégal ne pourra être strictement technique. Il doit être sociologique. Changer la manière dont l’État dépense suppose de transformer les mentalités collectives vis-à-vis de l’argent, du temps, du statut et de la responsabilité.
Il est urgent de promouvoir une culture de l’investissement, de la planification, de l’accumulation d’actifs à tous les niveaux de la société. L’État doit donner l’exemple en orientant les ressources vers l’éducation, les infrastructures, l’innovation. Et les citoyens doivent être encouragés à épargner, à entreprendre, à transmettre.
Car un pays où l’on consomme plus qu’on ne crée est un pays qui se condamne à vivre toujours à crédit, matériellement et symboliquement.
Quelles conditions pour une rupture ?
La réussite de tout programme de développement véritablement transformateur au Sénégal suppose une série de préalables structurels et sociopolitiques que voici :
1. Une réconciliation nationale sans compromission, fondée sur la vérité, la justice, et l'inclusion, pour asseoir une paix durable et restaurer la confiance dans les institutions.
2. Une vision claire et partagée du devenir national, portée par un leadership éthique et responsable, capable d’unir les énergies autour d’un horizon collectif.
3. Un modèle économique renouvelé, basé sur la valorisation des ressources locales, la souveraineté productive et la création d’actifs durables, rompant avec les logiques de dépendance ou d’importation excessive.
4. Une implication structurante du secteur privé national, non pas comme simple sous-traitant ou accompagnateur, mais comme co-acteur central des politiques publiques de développement et des programmes sociaux.
5. Une plus grande transparence et efficacité dans la mobilisation et l’exécution budgétaire, avec des audits publics, des critères de performance et des mécanismes de redevabilité renforcés.
6. Un rééquilibrage des dépenses publiques, avec plus d’investissements orientés vers les actifs productifs (infrastructures, recherche, formation, santé, agriculture) et une réduction drastique de la consommation improductive.
7. Une réduction du train de vie de l’État, afin que les dirigeants vivent et agissent en fonction des réalités et conditions des citoyens ordinaires.
Conclusion : Le rapport budgétaire 2025 est donc plus qu’un tableau de chiffres. Il est le reflet d’un rapport social et culturel à l’argent, au pouvoir et au temps. Comprendre cette dynamique est une étape nécessaire pour refonder une économie plus saine, mais aussi une société plus responsable. Le Sénégal ne pourra se construire durablement que s’il transforme son rapport collectif à la dépense en un projet commun de création, d’investissement et de transmission.