RENFORCER LE CONTRÔLE DES FINANCES PUBLIQUES
EXCLUSIF SENEPLUS - La rédaction actuelle du point 1.7 du Code de transparence favorise les interprétations divergentes, permettant au gouvernement précédent de questionner la méthode et l'indépendance de la Cour des comptes

Rapport d’audit de la situation globale des finances publiques après chaque nouveau mandat présidentiel : pour une nouvelle rédaction claire et précise du point 1.7 de l’Annexe du Code de transparence dans la gestion des finances publiques.
« C’est … un devoir moral et politique, pour les autorités qui ont été aux affaires sur une période relativement longue, de rapporter aux citoyens, en toute bonne foi, l’état dans lequel elles laissent le pays » - Mamadou Lamine Loum, « Le Sénégal au 1er avril 2001 ».
Le point 1.7 de l’Annexe de la loi n° 2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques dispose : « Dans les trois mois suivant chaque nouveau mandat présidentiel, la situation globale des finances publiques et en particulier la situation du budget de l’Etat et de son endettement, fait l’objet d’un rapport préparé par le gouvernement.
Ce rapport, audité par la Cour des comptes, est publié dans les trois mois suivants ».
Sur le fondement de cette disposition, le ministre chargé des Finances a transmis le 18 septembre 2024 à la Cour des comptes, pour audit, un rapport sur la situation des finances publiques couvrant la période de la gestion 2019 au 31 mars 2024.
Après avoir audité le rapport du gouvernement, la Cour des comptes a produit un rapport définitif intitulé « Audit du rapport sur la situation des finances publiques gestions de 2019 au 31 mars 2024 » ; rapport qui a suscité notre intérêt et qui a inspiré la présente réflexion.
Notre analyse, qui est la deuxième d’une série de publications sur le rapport de la Cour, est limitée pour l’instant aux conditions d’application du point 1.7 de l’Annexe du Code de transparence dont la rédaction est équivoque par défaut de clarté et manque de précision. En effet, nous estimons que les députés qui ont voté la loi du 27 décembre 2012 précitée semblent s’être mépris sur le sens du point 1.7 de l’Annexe du Code de transparence. Ce qui explique en partie la suspicion du gouvernement précédent sur les conditions de préparation du rapport d’audit par la Chambre des Affaires budgétaires et financières de la Cour.
Tout d’abord, il faut saluer l’alternance politique intervenue en 2024 qui a permis aux Sénégalais de découvrir les ruses financières du gouvernement précédent pour contourner depuis plusieurs années le droit commun de la comptabilité publique. Nous tenons ensuite à féliciter la Cour des comptes pour ce travail important dont l’analyse reste cependant à parfaire avec des rapports particuliers (de la Cour ou d’une commission d’enquête parlementaire) en vue, d’une part, de mettre en exergue très clairement les responsabilités des uns et des autres dans l’emploi des deniers publics et, d’autre part, de proposer des mesures correctives pour que pareille situation ne se reproduise plus.
La rédaction équivoque du point 1.7 de l’Annexe du Code de transparence
La principale objection que l’on peut opposer à la formulation du point 1.7 est relative à la question suivante : Qu’entend-on par « rapport audité par la Cour des comptes » ?
La lettre du point 1.7 laisse penser qu’il est demandé à la Cour de contre expertiser le rapport gouvernemental. La Cour des comptes semble en avoir la même compréhension lorsqu’elle souligne dans son rapport définitif d’audit (page 8) que « la responsabilité de la Cour est de réaliser l’audit du rapport sur la situation des finances publiques produit par le Gouvernement … » et que « l’objectif général de l’audit est de s’assurer que le rapport produit par le Gouvernement rend compte fidèlement de la situation budgétaire et financière de l’Etat de 2019 au 31 mars 2024 ». Plus spécifiquement, selon le rapport (page 8), « il s’agit de : - vérifier que les données et informations budgétaires et financières du rapport (du gouvernement) sont exactes et exhaustives ; - s’assurer que les données et informations budgétaires et financières du rapport sont adéquatement retracées en comptabilité ».
Or à l’analyse, il ne nous semble pas que l’intention véritable des rédacteurs du Code de transparence était de faire contre-expertiser par la Cour le rapport établi par le gouvernement. En effet, de notre point de vue, le point 1.7 confie à la Cour des comptes, après chaque nouveau mandat présidentiel, la mission d’auditer la situation globale des finances publiques sur demande formulée par le gouvernement et matérialisée par un rapport valant en quelque sorte lettre de mission. A notre sens, l’article 68 de la Constitution qui confère à la Cour des comptes sa mission d’assistance aux pouvoirs publics et l’article 71 de la loi organique de 2020 relative aux lois de finances suffisent pour fonder la compétence de la Cour de procéder elle-même à l’audit de la situation des finances publiques.
Pour une nouvelle rédaction du point 1.7 de l’Annexe du Code de transparence ne prêtant point à l’équivoque
Pour plus de clarté et de précision, il est suggéré de réécrire le point 1.7 de l’Annexe du Code de transparence. À ce titre, on peut s’inspirer de la formule de rédaction employée par le législateur organique ivoirien : « Dans les trois mois suivant chaque mandat, la Cour des comptes, sur la base d’un rapport préparé par le gouvernement, procède à un audit de la situation globale des finances publiques et en particulier la situation du budget de l'Etat et de son endettement » (article 68 de la loi organique n° 2014-337 du 05 juin 2014 portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques).
Avec cette formulation, la Cour ne serait plus liée par le format du rapport du gouvernement et aurait l’initiative mais aussi la liberté d’auditer la situation globale des finances publiques et en particulier la situation du budget de l’Etat et de son endettement suivant les normes et standards qui lui sont propres.
Outre cette nouvelle rédaction du point 1.7 de l’Annexe du Code de transparence, nous proposons au gouvernement de compléter l’article 19 de la loi organique sur la Cour des comptes en ajoutant le rapport sur l’audit global des finances publiques après chaque mandat présidentiel parmi les rapports de la Cour à adopter en chambres réunies.
La réforme proposée pourrait également prévoir l’adoption d’un décret fixant les modalités d’application du Code de transparence des finances publiques, notamment en ce qui concerne l’accès aux informations et documents relatifs à la gestion des finances publiques.
Mamadou Abdoulaye Sow est Inspecteur principal du Trésor à la retraite.