REQUIEM POUR UN "TUEUR"
Il a charrié toutes les peurs urbaines et alimenté bien de fantasmes. « Cercueil roulant », le « Car Rapide » est un repoussoir absolu et l’incarnation sur quatre roues de notre légendaire indiscipline

Il a charrié toutes les peurs urbaines et alimenté bien de fantasmes. « Cercueil roulant », le « Car Rapide » est un repoussoir absolu et l’incarnation sur quatre roues de notre légendaire indiscipline. Ce véhicule hors d’âge, fait de bric et de broc, a tellement fait de victimes et semé de malheur sur nos routes, qu’il est, à juste titre, un mal aimé. Aussi, pas grand monde ne versera sans doute une larme, à l’annonce, énième du genre, de son retrait programmé du circuit.
Pourtant, le « Rap’s » comme le surnomment les « Boy town », fait depuis si longtemps partie du décor qu’il va être difficile d’imaginer Dakar et sa banlieue sans ce tas de ferraille rafistolé aux couleurs bigarrées. Le « Rapide », c’est une partie de l’âme du Dakar underground. Avec ses personnages, souvent hauts en couleur et ses codes. Quand l’« apprenti» (sic), lui même aidé par le « Jondo» ( sous-apprenti qui apprend le métier et devenu par extension synonyme de benêt ) hurle «Jappal ci Mbaye !», seuls les banlieusards pure souche décrypteront qu’il conseille au passager de bien s’accrocher à la barre centrale qui traverse le toit du véhicule, au risque d’attraper le tétanos. Et quand par un sonore « Tek ci brik ! », il enjoint au chauffeur d’écraser le champignon, les passagers, croyant leur dernière heure venue, peuvent psalmodier leurs prières, comprenant qu’ils ont eu le malheur d’emprunter « Rapide Samba Laobé ».
Le gouvernement devrait quand même songer à sauver de la casse au moins une bonne centaine de « Rap’s » et les garder précieusement dans une sorte de musée. Comment en effet tourner un film ou une série crédible, ayant pour décor les rues du Dakar de ses quarante dernières années, sans incruster en arrière-plan ce « personnage » si emblématique ?
Après de mauvais et loyaux sévices infligés à des générations de Sénégalais, les convoyant dans les endroits les plus improbables à un prix modique, le Rap’s va mourir. C’est une partie de notre jeunesse qui part. En trombe...