AMADOU BA, DE LA DISGRÂCE À LA CONSÉCRATION
Inimitiés personnelles avec certains caciques, suspicion de liens avec Sonko et déchéance politique... Le candidat de BBY à la présidentielle a dû surmonter un certain nombre de péripéties au sein même de sa famille politique

Amadou Ba, qui vient d’être consacré comme le prochain candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) a dû surmonter un certain nombre de péripéties au sein même de sa famille politique. Inimitiés personnelles avec certains caciques, suspicion de ses liens avec Sonko et déchéance politique. Amadou Ba, qui a connu une traversée du désert après son départ du gouvernement en 2020, devra faire usage de tous ses artifices de bon diplomate pour tenter de restaurer l’unité au sein du régime présidentiel.
Ce n’est pas trahir le secret des dieux que de dire que la nomination d’Amadou Ba comme candidat de Benno Bokk Yaakaar (BBY) pour la présidentielle de 2024 est la récompense d’une vertu en politique : la patience. Le chef de l’État a justifié son choix, en soulignant ses "compétences professionnelles", "sa carrière diversifiée" ainsi que ses qualités de "rassembleur". Une nomination qui sonne comme une consécration pour l’ancien directeur des Impôts et des Domaines qui a subi les affres du ‘’Fast Track’’ (disparition du poste de PM) et l’ouverture vers une majorité élargie. Il s’est vu débarquer de son poste lors du remaniement gouvernemental du 1er novembre 2020.
Pour beaucoup d’observateurs, ce départ du gouvernement a été une disgrâce, dans la perspective d’une succession de Macky Sall qui venait freiner l'ascension de l’ancien ministre de l’Économie et des Finances (2013-2019). Une ‘’traversée du désert’’ qui ne semble pas déplaire à ses ennemis au sein du camp présidentiel. En conflit ouvert ou larvé avec plusieurs pontes du régime dans l’entourage de Macky Sall, Amadou Ba mange son pain noir en silence.
Écarté de la course à la mairie de Dakar et de la tête de liste de Benno aux Législatives, Amadou Ba, parachuté comme coordinateur de l’APR comme lot de consolation, se fait discret en attendant patiemment son heure.
Ses apparitions discrètes aux côtés du président, lors de cérémonies religieuses et lors d’un déplacement à La Mecque, relancent les hypothèses concernant sa relation avec Macky Sall. Faites de suspicions et de méfiance, les relations entre Amadou Ba et son mentor n’ont pas toujours été au beau fixe.
À ce moment-là, certains partisans du président Macky Sall l’accusent d’entretenir une certaine proximité avec Ousmane Sonko, considéré comme un adversaire irréductible du régime. Il est aussi accusé de ne pas avoir mouillé le maillot dans la défense du président attaqué de toutes parts.
En témoigne sa prise de bec avec Mbaye Ndiaye, lors d’une rencontre politique aux Parcelles-Assainies en perspective des élections locales de janvier 2022, quand celui-ci mettait en garde l’ancien grand argentier de l’État contre toute ‘’trahison’’. Ce qui a fait sortir de ses gonds Amadou Ba. ‘’Monsieur le Ministre Mbaye Ndiaye, je sais que vous me voulez du bien. Vous œuvrez dans ce sens. Mais sachez que jusqu’à ce jour, jusqu’à ce jour, Dieu m’a gardé de certains actes’’, avait-il fulminé.
Il faut dire que Macky Sall n’a jamais su ‘’canaliser’’ son surpuissant ministre de l’Économie et des Finances, un des piliers du gouvernement qui s’est forgé dans les arcanes de la Génération du Concret de Karim Wade.
En effet, Amadou Ba n’a jamais réussi à intégrer le premier cercle des proches de Macky Sall. C’est avec un profond scepticisme qu’il fait sa rentrée politique en menant à la victoire la liste de Benno aux Législatives de 2017. Le responsable ‘’apériste’’ aux Parcelles-Assainies va rééditer l’exploit à la Présidentielle-2019. Il mène la campagne victorieuse de la majorité en soutien de la première dame Marième Faye Sall, une démarche qui ne manquera pas de rapprocher les deux personnages.
La rébellion de Mimi Touré éjectée de la course pour le poste du perchoir le repositionne au cœur de l’appareil étatique. La crainte d’une profonde sédition en interne aurait poussé le chef de l’État à jouer la carte de la sécurité, en ‘’clouant les mains d’Amadou Ba sur la table de la primature’’, afin d’éviter une possible fronde de la base ‘’apériste’’ excédée par le traitement infligé aux caciques républicains.
‘’Le palais a été durement secoué. Le roi s’est retrouvé nu. Macky Sall ne pouvait plus se permettre, face à cette rébellion, de laisser dehors un ponte du régime du poids d’Amadou Ba. Voilà pourquoi il a été nommé PM. Sa désignation était tellement inattendue qu’il ne l’a lui-même sue que le jour même, deux heures avant qu’elle ne soit rendue publique, selon Cheikh Yerim Seck dans son livre ‘’Macky Sall face à l’histoire : passage sous scanner d’un pouvoir africain’’.
Un Premier ministre sous surveillance
Dans cette relation de raison avec Macky Sall, sa nomination comme Premier ministre apparaît ainsi comme une prison dorée ou une primature sous surveillance. Assigné à un rôle de simple collaborateur, Amadou Ba se voit allouer un budget moindre que son prédécesseur et, ne disposant pas de locaux pour son cabinet, il est obligé de recevoir et de travailler au petit palais. Dans le même temps, les ministres sont sommés d’aller prendre les instructions directement au palais, soutient toujours Cheikh Yerim Seck dans son livre.
Malgré cette situation, Amadou Ba reste fidèle à sa ligne de conduite : la loyauté.
Ainsi arrive le moment de signer la charte qui va engager tous les candidats à la candidature de BBY. Lors de la conférence des responsables de la majorité, le Premier ministre ne déroge pas à sa règle et joue la carte de la loyauté et de l’humilité. Il fait savoir qu’il est candidat à rien et s’en remet à la décision du chef de l’État concernant le choix du candidat.
Risque d’implosion autour de sa candidature
Dans cette optique, le Premier ministre décide de se concentrer sur le travail. Le chef du gouvernement, qui s’est aussi vu attribuer les portefeuilles de l’Élevage et des Sports, cultive l’image d’un fonctionnaire dévoué aux dossiers de l’État. Il s’assure une présence sur le terrain et sous le feu des projecteurs, à l’occasion des évènements sportifs ou lors de la campagne pour l’approvisionnement en moutons pour la fête de l’Aïd.
En effet, malgré les multiples péripéties, l’ancien patron de la diplomatie a su faire le dos rond et attendre son heure. Les retards et les reports de la décision du chef de l’État ne le feront pas bouger d’un iota, n'hésitant pas à jouer la carte de la simplicité et de la modestie. Ainsi, il recadre son camarade ‘’Abdoulaye Diouf Sarr’’, quand ce dernier a évoqué que ‘’Dakar a deux candidats : Amadou Bâ et moi’’. ‘’Non, ne parle pas en mon nom, je suis candidat à rien’’, a-t-il répondu sèchement à l’ancien maire de Yoff, le 19 juillet dernier.
Pour l'heure, Macky Sall a exhorté ses ‘’collaborateurs, militants et sympathisants à soutenir le candidat choisi’’. Un appel qui ne semble pas être suivi par Aly Ngouille Ndiaye, qui dans la foulée de cette décision, a annoncé sa démission du gouvernement. Une démarche qui semble préparer une prochaine candidature pour la Présidentielle. Un scénario tant redouté par le chef de l’État qui, à travers ses décisions (réunions, charte, consultations tous azimuts) a toujours voulu éviter une multiplication des candidatures au sein de la majorité et éviter l’implosion de la majorité présidentielle. D’autres départs ou défections pourraient être enregistrés.
Mais avec un tel profil, le président semble avoir sauvé l’essentiel : la préservation d’une unité forte au sein de la majorité présidentielle.