AU-DELÀ DES POSTURES COMMODES
EXCLUSIF SENEPLUS - Le débat sur la fiabilité de notre système électoral est un débat purement politicien. Le Sénégal, à l’instar des grandes démocraties, vit son moment populiste qu'il convient de comprendre et de gérer - ENTRETIEN AVEC ABDOU FALL

Ancien ministre d’Etat et fin observateur politique, Abdou Fall a participé activement au dialogue national aux côté du président Moustapha Niasse désigné Coordonnateur de cette large concertation initiée par le président Macky Sall. Entretien.
SenePlus : Comment évaluez-vous globalement ce dialogue national ?
Abdou Fall : Je remercie d’abord le president Moustapha Niasse de nous avoir accordé sa confiance, Aymerou Gningue et moi, avec l'assentiment du président Macky Sall, en nous associant à l'équipe de son cabinet pour l'assister dans la mission de coordination du dialogue national.
Personnellement, l’évaluation que je fais de cette large concertation est très positive pour notre pays et notre peuple.
J'ai d'abord été frappé par la qualité de la représentation. Toutes les composantes des forces vives de la nation ont répondu massivement à l’initiative du dialogue. On a noté la forte volonté de chacun et de tous ensemble d'en faire un moment capital de notre démocratie et de notre vie économique, sociale et culturelle, sans oublier le point essentiel de notre sécurité collective et individuelle. Et les résultats ont été au rendez-vous avec globalement 270 propositions présentées pour des avancées significatives dans tous les secteurs d'activités.
Au plan politique, en particulier, les nouveaux accords conclus sur le Code électoral, notamment sur le parrainage et les possibilités de candidatures de de toutes et de tous ceux qui ont bénéficié de grâce, dans certaines conditions, ont été salués comme de bonnes décisions.
L'absence de l'opposition dite radicale, notamment celle autour du parti Pastef et d'une bonne partie de la coalition plus large YAW, a-t-elle, selon vous, diminué la portée des conclusions de ce dialogue national ?
Aucun observateur lucide ne se faisait d'illusion sur la participation de ceux que vous appellez l'opposition radicale. Celle-ci qui s'est installée depuis longtemps dans une posture de défiance systématique des institutions du pays, optant sans réserve pour le rapport de force en lieu et place d’une logique démocratique de saine confrontation.
C'est de ce point de vue que le dialogue national a fait voir nettement les contours d'un large bloc républicain représentatif de toutes les forces politques et sociales de la nation qui restent profondément ancrées dans notre modèle de démocratie apaisée.
Je trouve personnellement dommage que des segments de la classe politique aient décidé de se soustraire de cette dynamique de concertation nationale pour emprunter la voie sans issue d'un radicalisme tout à fait contre-productif.
Pensez-vous que tous les acteurs lors de ce dialogue ont participé avec un esprit ouvert ? A-t-il été difficile d'obtenir les consensus qui ont été atteints ?
Pour qui garde à l'esprit la configuration des courants politiques qui ont été parties prenantes du dialogue national, il est évident que les discussions ne pouvaient être que difficiles. Mais c'est précisément pour cette raison qu'il est nécessaire de recourir aux moyens du dialogue et de la concertation pour rechercher les termes d'accords qui nous évitent des formes de confrontation susceptibles d'être lourdes de conséquences pour la paix et la stabilité de nos pays.
Et c'est la conscience de cette responsabilité partagée par tous de sauvegarde de notre modèle de démocratie apaisée qui a favorisé les ententes qui ont debouché sur les importants résultats obtenus.
La maturité et la sagesse ont prévalu pour nous hisser encore une fois à un niveau supérieur dans la gestion de notre système démocratique. Il convient de faire remarquer qu’une longue tradition de dialogue, de concertation et de consultation dans notre pays a permis de créer des consensus à différents cycles du processus démocratique.
Pensez-vous que le conflit présenté comme un duel fatal (Mortal Kombat) entre le président Macky Sall et son opposant Ousmane Sonko est aujourd'hui neutralisé ou du moins n'est plus la question centrale qui se pose aux géopolitiques sénégalais ?
Je situe ce que vous venez de décrire comme une manifestation au Sénégal de la crise de la démocratie représentative que traversent toutes les grandes démocraties à travers le monde.
Tirant profit des régimes de libertés propres aux pays réellement démocratiques, des courants politiques extrémistes de type populiste, religieux ou irredentistes, ou tout à la fois, se développent avec comme principal arme l'agitation politique tous azimuts. Les groupes sociaux les plus exposés aux effets des politiques ultra libérales de l'économie globalisée constituent leurs cibles privilégiées. Le Sénégal, à l’instar des grandes démocraties, vit son moment populiste qu'il convient de comprendre et de gérer au-delà des manichéismes et des commodes postures de dénonciation sans nuance. C'est dans ce cadre que je situe les nouveaux phénomènes de violences politiques que traverse le pays. Les démocraties doivent prendre en charge cette question de fond. C'est la raison pour laquelle je reste convaincu que c'est à travers des stratégies de gouvernance concertée telle que nous en vivons l'expérience avec le dialogue national que nous parviendrons à renforcer et à stabiliser de façon durable notre option d'une politique de progrès et développement dans le cadre d'un régime de libertés. C'est par le dialogue qu'on rétablira les équilibres entre droits et devoirs, libertés et responsabilités car il y a manifestement des dérapages à corriger. Dans ce cadre, on conviendra que chaque acteur doit assumer ses responsabilités, y compris l’Etat qui doit garantir l’exercice des libertés et l’exigence d’équilibre de la société.
Vous n'allez pas nier pour autant les durcissements notés dans la répression des manifestations de l'opposition au point que le régime du président Macky Sall est de plus en plus accusé de tyrannie au Sénégal et dans l'opinion internationale
J'en reviens aux moments populistes que traversent les pays démocratiques avec l'apparition de nouveaux moyens d'actions qui intègrent la défiance systematique des institutions et la violence dans des manifestations qui étaient sensées être pacifiques. C'est cette évolution dans l'exercice du droit de manifester dans les démocraties qui justifie conséquemment de nouvelles formes de gestion du maintien et du rétablissement de l'ordre public pour garantir la sécurité des citoyens et de leurs biens. En France, plus de dix mille interpellations ont été enregistrées lors du mouvement des Gilets jaunes. Aux États-Unis, les dirigeants de la casse du Capitol sont condamnés à des peines lourdes allant de 12 à 20 ans.
Dans tous les pays où ces nouvelles formes de violence sont apparues, les Etats ont été obligés d'adapter leur doctrine de maintien de la paix aux nouvelles réalités.
Dans une démocratie, autant l'Etat, dans ses missions sociales, souscrit à ses devoirs de solidarité nationale dans les périodes de crise sociale, autant l'Etat, dans ses missions régaliennes de veille pour l’équilibre de la société, a le devoir de protéger les citoyens contre toutes les formes de violences d'où qu'elles viennent. Autrement, nous nous retrouvons dans la chienlit et nous ne sommes plus en démocratie. Or, on ne peut bâtir le développement d'une nation dans le désordre.
Beaucoup pensent que la question principale est la participation ou non du président Macky Sall à cette élection. Ne pensez-vous pas que tant que cette question n'est pas réglée, il est difficile de voir où nous en sommes en termes de situation politique et de sérénité sociale ?
J'avoue encore une fois que je suis toujours gêné par cette manie chez nous de nous focaliser sur les personnes dans la prise en charge du débat politique. Je ne suis jamais à l'aise dans le crypto-personnel.
Sans nier les droits individuels du citoyen Macky Sall d'engager sa décision de se porter candidat ou non à une élection, ma conception à titre personnel de la politique me rend enclin à envisager les questions de candidatures plutôt comme des débats de parti et de coalition de parti. Je fais peut-être vieille école mais je refuse de me laisser prendre dans le piège de la fièvre médiatique qui s'empare des gens en pareilles circonstances. Je ne sais rien du tout de ce que le président Macky Sall annoncera le moment venu et sur les procédures qu'il entend suivre pour le faire, mais en tout état de cause les instances du parti et de la coalition délibereront le moment venu sur le choix du candidat de notre camp. L'attitude responsable consiste, à mon avis, à attendre ce moment pour s'exprimer sur une question aussi sérieuse dans le cadre des instances désignées à cet effet.
Je ne peux rien faire, par contre, pour arrêter quelqu’un qui s’excite sur ce sujet au point de menacer de mettre sa vie en péril.
Le président de la République a déclaré que les élections se dérouleront normalement et en toute transparence. Partagez-vous cet avis ? Quels sont, selon vous, les indices qui pourraient nous faire penser que nous allons effectivement avoir des élections tranquilles, sereines et pluralistes ?
Le monde entier sait que le débat sur la fiabilité de notre système électoral est un débat purement politicien. Deux alternances démocratiques, quasi égalité des forces à l’Assemble nationale, sérieuses percées de l’oppositions aux élections locales, contestation nulle aux différentes élections et j’en passe. La fiabilité de notre système électoral est un fait incontestable.
Oui, nous allons vers des élections tranquilles, sereines et pluralistes même si on note encore des tensions à dissiper du côté des extrémistes qui ont décidé de faire le choix de la rue à la place des urnes. Ce serait dommage, à mon avis, que cette ligne continue de prévaloir dans leurs rangs.
Dites-nous un mot sur ce que vous pensez de l'après 25 février 2024. Je ne vous demande pas de faire un pronostic sur le résultat possible, mais pensez-vous qu'après cette élection, il serait possible pour le Sénégal d'entrer dans une ère où nous sortirions de l'hyper présidentialisme et créerions les conditions pour un saut qualitatif dans le système démocratique sénégalais et la bonne gouvernance ?
Permettez-moi malgré tout de dire un mot sur le pronostic. Ma conviction est faite qu'un pacte d'entente consolidée entre les parties prenantes de Bennoo donne toutes les chances de victoire de son candidat le moment venu. J'ai toujours pensé, par ailleurs, que l'actualisation de nos offres à présenter aux citoyens doit prendre une place sérieuse dans nos débats à venir dans les rangs de l’APR et de la coalition Bennoo.
Je pense, notamment, aux sujets sur les grandes reformes institutionnelles à entreprendre dans le sens d'un exercice plus inclusif et participatif du pouvoir, au sommet de l'Etat comme au niveau des territoires. Nous avons là à mon avis de questions de fond que nous devons traiter pour faire évoluer nos sociétés et la gouvernance de nos pays .
On assiste de plus en plus à des formes de faillites de l'Etat post-colonial, en particulier dans l'espace francophone. Le Sénégal, qui continue de faire figure de pôle majeur de stabilité sur le continent, doit prendre toute la mesure de ses responsabilités dans un tel contexte. Ce sont là les vrais enjeux de la prochaine élection présidentielle. Il est du devoir de tous de veiller au grain. Notre majorité y a grand rôle. Et la dynamique du dialogue enclenché devra se poursuivre pour aller encore plus loin vers d'autres convergences constructives.