CE QUI SE PASSE RENVOIE A UNE FORME D’AUTORITARISME
L’enseignant-chercheur en droit public, Moussa Diaw, s’est prononcé mardi sur la modification de la loi relative à l’état d’urgence et l’état de siège

L’enseignant-chercheur en droit public, Moussa Diaw, s’est prononcé mardi sur la modification de la loi relative à l’état d’urgence et l’état de siège. Un texte qui consacre un nouveau titre intitulé « gestion des catastrophes naturelles ou sanitaires», permettant ainsi au chef de l’Etat de restreindre des libertés sans proclamer l’état d’urgence.
Qu’est-ce qui se cache derrière la modification de la loi relative à l’état d’urgence et au couvre-feu ? Les acteurs politiques, particulièrement ceux de l’opposition parlementaire, pensent qu’il y a des non-dits.
Et selon l’analyste politique Moussa Diaw, joint au téléphone, cette loi suscite, bien entendu, des arrière-pensées. «On colle à la peau du président de la République des calculs politiciens à chaque fois qu’il prend une décision en avançant une loi qu’il soumet à l’Assemblée nationale», indique Monsieur Diaw. La dernière fois, rappellet-il, c’était lors de la suppression du poste de Premier ministre sous l’argumentaire fast-track. Une manière de dire que les choses ne se sont pas accélérées depuis la suppression du poste de Premier ministre. L’enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis n’est pas aujourd’hui rassuré par la modification de la loi relative à l’état d’urgence et l’état de siège. Il pense que cela ne fait que renforcer le chef de l’Etat et lui donner tous les pouvoirs.
Ainsi, il estime qu’il est tout à fait compréhensible que les gens doutent de la bonne foi du président de la République. Surtout que, ajoute-t-il, le scrutin présidentiel est prévu pour bientôt. «L’agenda politique passe très vite et cela laisse augurer un climat qui risque de poser des problèmes par rapport à certaines agitations ou bien à certaines ambitions de perdurer au pouvoir. Ce qui se passe renvoie justement à l’image d’une forme d’autoritarisme qui ne dit pas son nom sous le label de la démocratie. Or derrière, au niveau des pratiques, c’est l’autoritarisme. Et cela pose un réel problème ou la stabilité à venir du pays», a déclaré Moussa Diaw. «En votant la loi et en lui donnant carte blanche, les députés nous exposent à un danger» A l’en croire, le chef de l’Etat n’avait pas besoin dans l’immédiat de modifier la loi sur l’état d’urgence et l’état de siège.
En effet, soutient-il, le Président Sall bénéficie déjà d’une majorité confortable à l’Assemblée et il aurait pu la saisir quand le besoin se pose. «Mais aller tout de suite faire du forcing sans débat contradictoire, imposer justement cette loi-là dans une démocratie, ce n’est pas du tout républicain au niveau de la méthode. En votant la loi et en lui donnant carte blanche, les députés nous exposent à un danger. Il aurait pu chaque fois que le besoin s’impose saisir l’Assemblée et lui demander de voter une loi», affirme Monsieur Diaw.
Selon l’enseignant-chercheur, la démocratie exige des débats contradictoires à l’Assemblée permettant aux députés de voir si c’est urgent ou pas de voter une loi. Par conséquent, il déplore le fait que le Président Sall puisse désormais prendre toutes les décisions sans passer par l’Assemblée. «Cela n’est pas une démocratie. C’est autre chose», tranche-t-il. A la question de savoir si on peut mettre dans le même registre «état d’urgence», «état de siège» et catastrophe naturelle, Moussa Diaw répond par la négative et estime qu’il y a des niveaux dans l’appréciation. «Ce qu’il évoque là comme situation d’urgence qui nécessite une intervention de l’Etat avec toute la latitude qui sied, à mon avis, cela ne s’impose pas dans ce contexte-là. On sait depuis le début de la pandémie qu’il y a eu des mesures d’urgence qui se renouvellent, et il fallait procéder de cette façon», a indiqué Moussa Diaw qui estime que les grandes démocraties fonctionnent de cette façon-là. «Normalement, le président de la République doit laisser l’Assemblée apprécier la situation et en tirer des conclusions. Et si vraiment cela nécessite des mesures idoines, les parlementaires donnent cette possibilité au président de la République de faire ses propres lois relatives à la situation. Mais tel n’est pas le cas», se désole-t-il.
Poursuivant, il invite le gouvernement à ne pas imaginer le catastrophisme dans le pays pour pouvoir mettre en place des lois qui, en fait, vont limiter les libertés. «On sait comment fonctionnent les Etats africains. On s’accapare de tous les pouvoirs. On a tous les leviers du pouvoir. Et sans débat, on impose son point de vue. Je pense qu’on devrait éviter cette situation et faire fonctionner la démocratie sénégalaise reposant sur des principes, des libertés et des débats contradictoires. C’est ce qui fonde la vitalité démocratique», a conclu Moussa Diaw.