CES GOULOTS QUI ETRANGLENT LES COLLECTIVITES TERRITORIALES
Financement du développement local, manque de ressources, exclusion des acteurs territoriaux dans la prise de décision… facteurs qui bloquent l’effectivité de la territorialisation des politiques publique

Intervenu en 2013, l’Acte III de la décentralisation est une réforme allant dans le sens d’approfondir la décentralisation. Sept ans après sa mise en œuvre, des experts approchés par «L’As» jugent que l’esprit est bon, même la réforme est incomplète. Et face aux nombreux facteurs qui bloquent l’effectivité de la territorialisation des politiques publiques, ils recommandent à l’Etat d’appliquer la phase 2 de la réforme. Car celle-ci permet de corriger toutes les incohérences et d’assurer le financement du développement local avec la mise en place du fonds de financement des territoires.
L’Acte III de la Décentralisation vise deux objectifs majeurs : la promotion de la viabilité des territoires et des pôles de développement et le renforcement des capacités des collectivités territoriales. Ainsi avec la suppression des Conseils régionaux, les départements qui étaient des entités administratives ont été érigés en collectivités territoriales auxquelles l’Etat a transféré un certain nombre de compétences. Le but est d’assurer une bonne territorialisation des politiques publiques. Mais, à en croire le directeur exécutif de l’ONG 3D, pour que les collectivités puissent remplir leurs missions efficacement, il faut un certain nombre de préalables. Moundiaye Cissé pense que le fait de changer le nom des communautés rurales pour en faire des communes, ce n’est pas ce qui est fondamental mais plutôt le contenu. «On pouvait garder les communautés rurales et leur donner des prérogatives que détiennent les communes. Voilà une réforme qui a été amorcée en grande pompe, mais l’Etat n’est pas allé jusqu’au bout de sa logique», dit-il.
Selon le secrétaire général du Gradec, le problème des Conseils départementaux réside dans le fait qu’ils n’ont pas de territoire leur permettant de disposer de ressources dans le cadre de la fiscalité locale. «Contrairement aux communes qui bénéficient de ressources propres tirées des impôts locaux, le Conseil départemental ne compte que sur le fonds de dotation de la décentralisation alloué par l’Etat pour faire face à ses obligations dans le cadre des compétences qui lui sont transférées, bien qu’il ait la possibilité d’explorer les opportunités qu’offre la coopération décentralisée. Dans ces conditions où les ressources demeurent insuffisantes, il leur est difficile de remplir leurs missions», souligne Ababacar Fall. Une position que partage Moundiaye Cissé qui relève beaucoup plus de saupoudrage dans la gestion de la décentralisation en lieu et place mise en œuvre de politiques publiques avant de soulever un réel décalage entre la vision du chef de l’Etat et la réalité sur le terrain. «A mon avis, le ministre en charge de la Décentralisation n’a pas su articuler la vision du chef de l’Etat avec ce qu’il met en œuvre sur le terrain. Aujourd’hui, il est indispensable de s’interroger sur les causes qui ont empêché les différents ministres en charge de la Décentralisation de mettre en œuvre le rapport qui sur les recommandations de la phase 2 de la décentralisation», déclare-t-il.
Alors l’Etat s’achemine vers le budget-programme, indique directeur exécutif de l’Ong 3D, il est inadmissible que les collectivités territoriales restent toujours dans le budget moyen. «C’est une incohérence. Car, si on veut parler de territorialisation des politiques publiques, cela devrait être en articulation des formats des budgets. Si au niveau central, on a des budgets programmes on devrait l’avoir au niveau des collectivités territoriales», dit-il. Et Moundiaye Cissé de poursuivre qu’on ne devrait pas prendre des décisions dans les collectivités territoriales sans pour autant demander leurs avis. A ce titre, il cite le récent décret sur l’affectation et la désaffectation des terres qui a été pris sans l’implication des acteurs territoriaux. Il relève également d’autres contraintes, notamment celle liée à la faiblesse des capacités techniques et de gestion des collectivités territoriales dans leurs aptitudes à prendre en charge, entre autres, la réalisation d’infrastructures et les services sociaux de base. Il y a également le déficit de mécanisme cohérent et effectif pour assurer la mobilisation des citoyens dans toute l’action publique locale.
PHASE 2 DE L’ACTE III : UNE SOLUTION A TOUTES CES INCOHERENCES
A en croire le SG du Gradec, l’Etat comme les départements Collectivités territoriales sont aujourd’hui conscients de cette situation et essaient, dans le cadre de la phase 2 de l’Acte III de la décentralisation, de trouver des solutions garantissant aux collectivités des ressources suffisantes pour faire face à leurs missions. Il s’agit entre autres du transfert effectif des ressources concomitamment aux compétences transférées, du renforcement des moyens et les capacités des collectivités territoriales en mettant en place des mécanismes de financement pertinents et efficients, de l’exploitation au maximum des opportunités de la coopération décentralisée et de la mise en place d’un fonds de solidarité des collectivités territoriales à alimenter par la TRIMF, la taxe sur les exploitations minières, une quote-part sur les péages d’autoroutes, quais et bacs, les nuitées d’hôtels, les transferts d’argent.
D’autre part, souligne Moundiaye Cissé, la phase 2 devrait également renforcer la question de l’autonomie budgétaire des collectivités territoriales. Elle permet aux collectivités territoriales de faire des emprunts obligataires, de développer le partenariat public-privé et de rendre effective la territorialisation des politiques publiques. Suite à la pandémie de Covid19, il est prévu 25% à 70% de pertes de recettes au niveau des Collectivités Territoriales. Par conséquent, Moundiaye Cissé pense que sans transferts conséquents de ressources de l’Etat vers les Collectivités Territoriales, ces dernières feront face à de sérieux problèmes pour payer les salaires et assurer le fonctionnement de leurs services. «D’où l’importance de mettre en application la phase 2 avec notamment la mise en place de la commission nationale des finances locales, la commission d’évaluation des charges des compétences transférées et l’accroissement du taux de 5% de la TVA jusqu’ici allouée aux collectivités territoriales», affirme le Directeur Exécutif de l’Ong 3D. A cet effet, il recommande la redynamisation des travaux de la commission d’évaluation de la charge financière des compétences transférées pour une meilleure équité dans les rapports financiers entre l’État et les collectivités territoriales. Il propose également l’augmentation de la part de celles-ci sur la TVA qui était de 5,5% à au moins 25 %, vu le nombre assez important de collectivités territoriales au Sénégal. Et enfin, Moundiaye Cissé invite l’Etat à renforcer les connaissances et l’engagement des populations locales sur le Civisme fiscal.