GUERRE EN UKRAINE, POURQUOI LE SÉNÉGAL S'EST-IL ABSTENU ?
L'abstention de Dakar le 2 mars dernier lors du vote de la résolution de l'ONU sur le conflit russo-ukrainien est-elle le signe d’un non-alignement idéologique ou la manifestation d’une posture momentanée ? Décryptage

S'il n'est pas le seul pays africain à s'être abstenu lors du vote à l'ONU sur l'Ukraine le 2 mars dernier, le Sénégal a en revanche largement fait réagir les observateurs par le positionnement diplomatique mis en avant, à savoir la neutralité. La question a été posée de savoir s'il s'est agi d'une volonté de s'affirmer différemment sur la scène internationale ou d'un désir de calmer le jeu au niveau régional et local.
L'Assemblée générale de l'ONU (AGNU) votait le 2 mars dernier une résolution intitulée « Agression contre l'Ukraine », dont le texte pensé par l'Union européenne avec l'Ukraine exige « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l'Ukraine et retire immédiatement complètement et sans condition toutes ses forces militaires » d'Ukraine. Si une très large majorité des 193 pays participants a voté pour condamner « l'agression de la Russie contre l'Ukraine », 12 pays africains n'ont pas pris part au vote et 17 pays du continent se sont abstenus. Parmi eux, le Sénégal.
Le choix de la diplomatie
Comme il l'avait fait lors du vote concernant l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, le Sénégal s'est de nouveau abstenu le 2 mars dernier. « C'est une position de principe. Le Sénégal adopte une posture de non-alignement comme il l'a déjà fait dans le passé. Il veut montrer qu'il a toujours été un pays de dialogue », argumente le Dr Serigne Bamba Gaye, politologue, spécialiste en relations internationales et de politiques publiques. Dans un éditorial publié par le Quotidien, le journaliste Mohamed Gueye saluait une « position courageuse » qui va dans le sens d'une « tradition de neutralité et de diplomatie active du pays », rappelant que le Sénégal a maintes fois affiché cette position dans les conflits, préférant les canaux diplomatiques et la voie de la conciliation, notamment sur la question du conflit israélo-palestinien.
Habituel allié du bloc occidental, et de la France en particulier, le vote du Sénégal a surpris même s'il apparaît également répondre à une certaine logique, le pays adoptant une stratégie de non-alignement depuis la guerre froide. Dans un communiqué du gouvernement daté du 2 mars, le pays « réaffirme son adhésion aux principes du non-alignement et du règlement pacifique des différends ». « Cela s'inscrit aussi en continuité de la lutte coloniale : le positionnement du Sénégal sur la scène internationale est aussi lié à son histoire. Sa politique étrangère est basée sur la défense de la paix et sur la conciliation », ajoute le politologue. Même si des répercussions économiques du conflit seront ressenties localement, il s'agit avant tout d'un conflit lointain qui se déroule en Europe et dont les protagonistes sont l'Est et l'Ouest.
Cette neutralité pourrait également être appuyée par le fait que le président Macky Sall occupe depuis le 5 février dernier la présidence de l'Union africaine (UA). Une responsabilité qui favoriserait une position modérée plutôt que l'adoption de choix tranchés. « Le Sénégal a une démarche cohérente, car quand on a cette responsabilité, on se doit d'avoir une attitude équidistante. Le pays qui assure la présidence de l'UA imprime sa marque sur la posture de l'Union. En restant neutre, cela assure la sérénité dans les rangs. Il est impossible de rallier tous les États africains, car chacun est souverain et il n'y a pas de politique étrangère commune qui pourrait servir de boussole. Les votes se font en fonction des intérêts de chacun, il n'y a pas de consigne de vote de l'UA », détaille encore le Dr Gaye.
Neutralité relative
Bien que positionné comme un acteur diplomatique qui s'est abstenu lors de l'assemblée générale des Nations unies, le Sénégal est d'une neutralité toute relative. En effet, dès le 24 février, l'UA, par le biais du président du Sénégal Macky Sall et du président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a signé une déclaration réclamant le « respect de l'intégrité territoriale et à la souveraineté nationale de l'Ukraine » ainsi que « l'instauration immédiate d'un cessez-le-feu et l'ouverture sans délai de négociations politiques sous l'égide des Nations unies ».