LA DELIQUESCENCE D’UNE INSTITUTION ORPHELINE D’ECHANGES DE HAUTES FACTURES
Le débat sur la déliquescence de l’Assemblée nationale est posé. Nos analystes considèrent que cette institution chargée de voter des lois, de contrôler l’action du Gouvernement et de superviser les politiques publiques traverse une phase critique.

Le débat sur la déliquescence de l’Assemblée nationale est posé. Nos analystes considèrent que cette institution chargée de voter deslois, de contrôler l’action du Gouvernement et de superviser les politiques publiques est en train de traverser une phase critique. Mieux, elle serait en passe de toucher le fond au cours de cette 14e législature débutante avec des députés qui ne cessent de se donner en spectacles à coup d’invectives, de calomnies, d’injures et même de confrontations physiques.
L’Assemblée nationale a enregistré l’entrée de nouveaux types de députés. Des députés qui défendent becs et ongles — voire pieds et poings ! — leurs positions. Plutôt que de confronter leurs idées avec celles de leurs collègues du camp opposé, ils choisissent d’utiliser la violence verbale et donner des coups de poings. Au grand regret des populations qui déplorent l’absence de débats de haut niveau permettant d’exposer de manière civilisée les doléances des populations. D’après les politologues avec lesquels nous nous sommes entretenus, sous les présidents Senghor et Diouf, les débats étaient de plus haute facture et les députés d’une autre race.
A les en croire, aujourd’hui, certains parlementaires pensent par la tête et d’autres par le talon. L’arrogance et l’insolence ont fini d’investir l’hémicycle de la Place Soweto.
Et pour endiguer cette situation dégradante, des politologues proposent l’installation d’un observatoire de surveillance du comportement des députés à l’Assemblée nationale. Une structure qui pourrait noter la productivité argumentaire des députés et aurait aussi le pouvoir et la possibilité de distribuer de bonnes ou de mauvaises notes. Dessanctions pourraient aussi être infligées
IBRAHIMA BAKHOUM, JOURNALISTE-FORMATEUR : « CERTAINS DEPUTES N’ONT MEME PAS LEUR PLACE DANS UN CONSEIL DE QUARTIER... »
Ibrahima Bakhoum, journaliste-formateur, a braqué son regard sur la déliquescence de l’Assemblée nationale des présidents Abdou Diouf à Abdoulaye Wade. A l’en croire, les débats étaient de très relevés sous le magistère du président Abdou Diouf. Hélas, aujourd’hui, on note la présence dans l’hémicycle de partis électoralistes dont l’électoralisme exige une massification. D’après le formateur, l’injure publique est actuellement un critère de recrutement pour des postes et l’insolence peut mener à des fonctions. Conséquence : des personnes qui ne devraient même pas avoir une place dans un conseil de quartier représentent aujourd’hui tous les Sénégalais à l’Assemblée nationale.
Le niveau de la prestation des députés de la 14e législature est en régression comparativement à celui des chambres sous les magistères des présidents Diouf et Wade. Bakhoum se rappelle un jour où le débat portait sur la sémantique de la langue française à l’Assemblée nationale. Les gens parlaient de la carte nationale de presse. Et,sur le rapport, il a été écrit : « carte nationale du journaliste professionnel». C’était un (e) qui a été ajouté sur le mot professionnel. Alors, la discussion portait sur l’origine de l’accord de professionnel. « Est-ce que ce mot utilisé là est bon ? Est-ce que l’adjectif est bon… C’était tellement profond. D’ailleurs, c’est dans la discussion que se forgeait l’excellence. Et, ça nous obligeait à creuser le niveau intellectuel », se rappelle Ibrahima Bakhoum. Mais aujourd’hui, il constate que le degré d’agressivité est tellement élevé qu’on se demande finalement si ces gens-là ont quelque chose derrière comme bagages intellectuels.
Les parlementaires, constate-t-on pour le déplorer, ont l’habitude de la violence verbale. « La corruption, les intérêts nationaux par rapport aux décisions etc… restent des débats qui nous intéressent. Quand on va à l’Assemblée maintenant, on voit des gens qui s’agitent même quand ce n’est pas leur tour de parole. On se demande où se trouve la police de l’Assemblée. En résumé, de Diouf a Wade, il n’y avait pas autant de députés. Il y avait 60 députés puis 120. A ce moment-là il était plus facile de repartir et d’avoir un certain niveau. Maintenant, nous avons affaire à des partis électoralistes. Et, quand il y a électoralisme, il y a une massification », explique Ibrahima Bakhoum.
L’intelligence noyée des députés
C’est peu dire que le journaliste-formateur désapprouve certaines postures de nos actuels députés. Il relève que la moyenne mentale d’une foule est inférieure à celle de ceux qui la composent. Autrement dit, l’intelligence des gens se réduit avec la foule. « Quand la grégarisation est là, les niveaux baissent. Plus tu as de gens moyens, plus tu auras d’intelligents en moyenne. Quand tu as des gens extrêmement brillants que tu mets dans une foule où il y a énormément d’idiots, on risque de noyer l’intelligence des premiers », a décrypté le politologue.
Ibrahima Bakhoum rappelle que c’est après la première alternance que le nombre de députés a été augmenté à l’Assemblée nationale. Malheureusement, il y a forcément des gens qui n’y ont pas leur place en temps normal qui y siègent actuellement. Selon lui, si l’injure publique est un critère de recrutement pour mettre quelqu’un à un poste et si l’insolence peut mener à des fonctions, alors on touche le fond. « Y en a qui n’ont pas leur place dans un conseil de quartier à plus forte raison à l’Assemblée nationale pour représenter tous les Sénégalais. Les réseaux sociaux ont créé de nouvelles stars et ces dernières sont tout sauf des lumière », regrette le vétéran de la presse.
Arrogance et insolence à l’hémicycle
Le journaliste-formateur fait observer que le président de la République a un salaire payé par le contribuable sénégalais alors que le marabout Serigne Moustapha Sy qui est attaqué n’est pas salarié de l’Etat et n’est même pas présent dans la salle. La députée en question est payée avec l’argent du contribuable sénégalais, alors ce dérapage, dit-il, est injustifié. « De nos jours, à l’Assemblée nationale, il y a certains qui pensent par la tête et d’autres par le talon. Il faut en tirer que les niveaux sont différents. Il y a de l’arrogance et de l’insolence dans l’hémicycle. Cette situation est inquiétante et la réputation de ce pays et sa gouvernance sont entre les mains de personnes qui prétendent défendre celui qui gouverne le pays. L’Assemblée nationale du Sénégal n’a rien inventé, mais il faut juste s’inspirer des bons exemples. Et parler de nos faits de société, des débats qui nous font avancer. Hélas, la situation qui prévaut actuellement à l’Assemblée nationale est une catastrophe et la manière dont les députés se comportent est inacceptable », tranche notre interlocuteur.
Ibrahima Bakhoum précise qu’au moment où le député est à l’Assemblée nationale, il devient une institution. L’Assemblée, estime-t-il, n’est pas faite pour échanger des coups. Ce n’est pas une arène et ce genre de situation ternit la réputation du Sénégal à travers le reste du monde et donne une très mauvaise image de son Parlement, conclut Ibrahima Bakhoum.
BAKARY DOMINGO MANE, JOURNALISTE-POLITOLOGUE : « L’ASSEMBLEE NATIONALE ACTUELLE EST LE REFLET DE LA SOCIETE SENEGALAISE »
Bakary Domingo Mané, analyste politique, propose l’installation d’un observatoire de surveillance du comportement des députés dans l’hémicycle. Reconnaît qu’il y a des heurts entre élus dans toutes les Assemblées du monde, il estime cependant que les gens se retiennent généralement pour éviter d’en venir aux mains. La configuration actuelle de l’Assemblée nationale, dit-il, aurait pu être très favorable pour créer des débats productifs. Malheureusement, elle est le reflet de la société sénégalaise.
Pour autant, il refuse de valider le comportement des députés de la 14e Législature. L’hémicycle était un haut lieu de débats de bonne facture du temps du président Diouf, selon Bakary Domingo Mané qui soutient que les orateurs étaient des gens qui maîtrisaient leurs sujets. De par leur prestance et érudition, certains d’entre eux imposaient le silence lorsqu’ils prenaient la parole au sein de l’hémicycle.
Assemblée nationale, reflet de la société sénégalaise
D’après notre interlocuteur, c’est sous le président Wade que la régression a commencé. Le choix de la massification en lieu et place de la qualité a donné le résultat que l’on connaît. On a alors assisté à l’investiture suivie de l’élection de personnes qui n’avaient et n’ont rien à faire à l’Assemblée nationale. « Quand tu n’as plus d’argument, tu utilises la violence verbale ou physique. Et, ça c’est honteux. Avec Macky Sall, on assiste hélas à une aggravation de la dégradation du niveau des députés. La configuration de l’Assemblée nationale d’aujourd’hui aurait pu être très favorable pour provoquer des débats féconds et enrichissants. Malheureusement, l’Assemblée nationale est le miroir de notre société. Donc, ce qui s’y passe actuellement ne constitue pas une surprise », estime Bakary Domingo Mané.
Selon lui, toutefois, il y a certains députés qui prennent leurs responsabilités et qui sortent du lot. Ces derniers, plus consciencieux, posent les doléances des populations et essaient de mener des débats productifs. Bakary Domingo Mané cite dans ce lot Guy Marius Sagna, Thierno Alassane Sall ou Abass Fall pour ce qui est de l’opposition. Curieusement, il n’a mentionné aucun élu de la majorité.
Installation d’un observatoire de surveillance du comportement
L’analyste politique trouve que c’est regrettable de voir un homme lever la main sur une femme. La violence n’a pas sa place à l’Assemblée nationale. « Ils sont là pour le peuple, trois minutes ou cinq minutes, c’est tellement insuffisant pour défendre les problèmes de sa localité. Si les députés utilisent ce temps pour des insultes, alors ils ne sont pas dans l’hémicycle pour le peuple », regrette le journaliste.
Pour remédier à la situation regrettable qui prévaut à l’Assemblée nationale, Bakary Domingo Mané propose l’installation d’un observatoire de surveillance du comportement des députés dans l’hémicycle. Cette structure, indique-t-il, pourrait noter la productivité des arguments des députés tout en ayant le pouvoir et la possibilité de distribuer des bonnes et des mauvaises notes. A la fin de chaque année, serait le meilleur député. Le plus nul, on le sort de l’Assemblée nationale. La décision de sanction ou de promotion doit être ensuite mise à la Une de l’ensemble des journaux. Cette option pourrait certainement dissuader certains députés perturbateurs sans autre arguments que l’insulte et la violence », préconise le journaliste et politologue.