LA JEUNESSE EST RÉVOLTÉE
Entretien avec Amadou Ba, un des cadres du Pastef, sur la situation sociopolitique nationale marquée par l'affaire Sonko

L'arrestation d'Ousmane Sonko, leader du PASTEF (le parti des Patriotes du Sénégal pour le Travail, l'Ethique et la Fraternité) a suscité une explosion de colère au Sénégal. Député et arrivé troisième avec 15% des voix lors de la dernière présidentielle, il avait affiché une volonté de rupture avec le système. Nous avons demandé à Amadou Ba, un des cadres du Pastef de nous expliquer comment il voit la situation.
Ousmane Sonko est arrêté sur la base d'une accusation de viol. Peux-tu nous expliquer ce qui s'est passé ?
La plaignante affirme avoir été violée à de multiples reprises sous la menace d'une arme. On a vérifié, ce n'est pas possible. Le rapport établi après examen par des médecins à l'hôpital n'a relevé aucune trace, aucune lésion. Le dossier est vide. Depuis le juge chargé d'instruire l'affaire s'est désisté.
Précisons que Sonko lui-même accuse la femme du ministre de l'intérieur, qui est avocate, qui a rédigé la plainte. Le véhicule qui a transporté la plaignante à la gendarmerie est celui d'un fonctionnaire responsable des impôts qui avait été mis en cause par Sonko, il y a quelques années, pour détournement de fonds.
Selon un SMS de l'avocate de la plaignante envoyé par erreur à l'avocat de Sonko, on lit : « pour l'opération DSK (sic, allusion à Dominique Strauss Kahn !) il faut salir Sonko, mais pas l'emprisonner ».
La commission ad hoc de l'assemblée qui a levé l'immunité parlementaire de Sonko, n’a pas pu accéder à l’intégralité du dossier d’enquête annexé à la demande. Lorsque Sonko a accepté de se rendre à la convocation du juge, la gendarmerie a absolument voulu lui imposer un itinéraire, bloquant son véhicule pendant plusieurs heures. Ils voulaient l'empêcher de passer devant l'Université, et lui imposer de passer par la corniche où des nervis étaient positionnés afin d'organiser des provocations.
L'affaire a été lancée le 5 février. Depuis plus de 50 membres et responsables du parti ont été arrêtés, 30 sont encore en prison. Ils sont maintenant accusés de troubles à l'ordre public et d'appels à l’insurrection. Ce qui est passible de 20 ans de prison et permet de dissoudre le parti. C'est ce qu'ils veulent depuis le début.
L'arrestation de Sonko a déclenché une immense colère, particulièrement dans la jeunesse. Les manifestations s'en sont pris à des symboles des intérêts français, comme Total ou Auchan. Quel est le rapport avec l'arrestation de Sonko ?
Tout d'abord le Pastef n'est pas antifrançais. Mais les entreprises françaises sont accusées d’être favorisées par le Président Macky au détriment des intérêts sénégalais. Pourtant la solution ce n'est pas l'exploitation d'un pays pauvre comme le Sénégal. Il faut des relations plus équilibrées.
La jeunesse est révoltée. Elle s'attaque à ce qui symbolise la Françafrique. Macron, en arrivant au pouvoir, a dit qu'il voulait de nouvelles relations comme avant lui les autres. Mais il soutient les dictateurs comme Bongo au Gabon. Pour l'ECO (1) c'est Macron qui en a imposé unilatéralement les termes sans discussion préalable avec les Représentants des peuples africains.
Il y a aussi Hollande qui avait demandé à Macky Sall de commander un train TER à Alstom qui était en difficulté. Mais cela ne répond pas à nos besoins : on manque du minimum vital dans les hôpitaux ! Cela a coûté très cher et le train prend la poussière depuis deux ans.
Abdoulaye Wade (président du Sénégal de 2000 à 2012 NDLR) avait commencé à fermer les bases militaires françaises au Sénégal. Il avait commencé à diversifier les partenaires, par exemple avec la Chine. C'est pour cela qu'il a perdu les élections. En 2012, après son élection, la première décision de Macky Sall e a été de rétablir les bases françaises.
Le ministre du pétrole a voulu négocier avec BP, plus intéressant, pour les contrats sur les gisements pétroliers offshore. Il a démissionné parce que ce qui a été imposé, c'est ce qu'on peut qualifier de protocole de l’Élysée avec Total.
Macky Sall est perçu comme un pion de la France.Il n'y aura pas de développement tant qu'il y aura une mainmise française sur les ressources et la vie politique en Afrique. La France est le problème. C'est inscrit dans la conscience populaire. On se souvient du message de Thomas Sankara. Il est temps que l'Afrique prenne sa part dans la marche du monde.
Pourquoi cette arrestation de Sonko maintenant ?
Le 2 janvier nous avons lancé une campagne de financement participatif. En quelques heures nous avons rassemblé l'équivalent de 200 000 euros.
Les Sénégalais de la diaspora ont massivement participé.
Dans la nuit même, à 2h du matin, le ministère de l'intérieur a publié un communiqué menaçant de dissolution notre parti pour cause de financement par l'étranger. Mais c'est faux : ce sont bien des Sénégalais qui ont financé le parti. Ils veulent nous faire disparaître.
Le cours des événements semble dépasser de loin cette seule question ?
Il y a un front de l’opposition et d’organisations de la société civile. C'est un complot grossier et grotesque. Mais il y a déjà 5 morts. Sonko a refusé de passer un accord pour sa sortie de prison tant qu'il y aura d'autres militants du parti en prison.
Mais ce n'est plus maintenant l'affaire Sonko. La population se lève pour dire non à Macky Sall. Il veut faire un 3° mandat et il y a un seul obstacle, c'est Sonko.
(1) Macron et Ouattara ont annoncé ensemble une réforme du franc CFA (Communauté Financière Africaine), mis en place en 1946, pour l'Afrique de l'Ouest. Son nouveau nom est l'ECO.