L'AFRIQUE, ANGLE MORT DU RENSEIGNEMENT FRANÇAIS
« Le capitaine Traoré, on ne l'a pas détecté. » Cet aveu d'un haut responsable du renseignement français résume l'échec cuisant des services secrets hexagonaux face aux bouleversements politiques qui ont secoué le Sahel ces dernières années

(SenePlus) - Un rapport officiel d'une centaine de pages, consulté en exclusivité par Le Point avant sa publication, révèle les importantes lacunes des services de renseignement français dans leur capacité à anticiper les récents bouleversements politiques en Afrique, notamment au Sahel. Ce document, produit par la délégation parlementaire au renseignement qui regroupe huit parlementaires habilités secret-défense, pointe du doigt les "préoccupations sur l'occurrence répétée de renversements de régimes non anticipés" dans plusieurs pays africains où la France a historiquement maintenu une influence importante.
L'audit des services secrets français se penche particulièrement sur trois exemples concrets de renversements de pouvoir que la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) et la DRM (Direction du renseignement militaire) n'ont pas su correctement prévoir.
Au Mali, bien que "la DGSE dispose de renseignements sur l'intention putschiste en amont des événements" lors du coup d'État du colonel Assimi Goïta le 24 mai 2021, les services n'ont pas réussi à transformer ces informations en actions préventives.
La situation s'est avérée encore plus problématique au Burkina Faso en septembre 2022, où les services français reconnaissent avoir été complètement dépassés lors de la prise de pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré. Un responsable d'un service de renseignement confie sans détour aux parlementaires : "Le capitaine Traoré, on ne l'a pas détecté". Le rapport précise que "la spontanéité des événements, au-delà d'un climat pré-insurrectionnel permanent, et le niveau de plus en plus bas des protagonistes dans la hiérarchie font qu'il faudrait descendre de plus en plus bas dans le système pour recueillir du renseignement."
Enfin, au Niger en juillet 2023, l'éviction du président Bazoum par le général Tiani, commandant de la garde présidentielle, a également pris les services français par surprise. Le rapport note toutefois que les protagonistes eux-mêmes "n'avaient eux-mêmes aucune intention putschiste en pénétrant dans les locaux présidentiels".
La délégation parlementaire ne se contente pas de constater les échecs, elle en tire des conclusions sans ambiguïté : "Le constat d'échec – pour les cas avérés susmentionnés – appelle, selon la délégation, les services à une remise en question sur la détection des signaux faibles."
Le rapport met en évidence une "faille dans le renseignement humain sur le commandement intermédiaire et subalterne des forces armées partenaires", révélant l'incapacité des services français à maintenir des sources fiables au sein des échelons intermédiaires des armées africaines, là où se sont fomentés la plupart des récents coups d'État.
Face à ces difficultés et au retrait forcé des forces françaises de l'ensemble du Sahel, les parlementaires soulignent qu'une "nécessaire réarticulation des services de renseignement, notamment de la DGSE, de la DRM et de la DRSD" s'impose désormais.
Le document aborde également d'autres sujets d'importance comme "la guerre cyber, le bilan sécuritaire des JO, l'utilisation des fonds secrets" et le "déclenchement de la guerre en Ukraine", mais la partie concernant les échecs en Afrique révèle particulièrement les difficultés françaises à maintenir son influence dans son ancien pré carré.
Selon Le Point, de nombreuses recommandations sont formulées dans ce rapport, mais la plupart sont classifiées secret-défense et ne peuvent donc pas être divulguées.