L'AFRIQUE N'A PAS BESOIN DE TUTEUR
Par quels tours de passe-passe la Françafrique survit-elle à toutes les annonces de décès ? Entretien avec Thomas Deltombe, co-auteur de "L'Empire qui ne veut pas mourir", aux éditions du Seuil, qui retrace 70 ans d'histoire entre l'Afrique et la France

« Je veux signer l'acte de décès de la Françafrique », disait un ministre de Nicolas Sarkozy en 2008. Après lui, sont venus François Hollande et Emmanuel Macron, qui ont annoncé, eux aussi, la mort de la Françafrique. Mais aujourd'hui, un ouvrage, « L'Empire qui ne veut pas mourir », publié aux éditions du Seuil, affirme le contraire. Par quels tours de passe-passe la Françafrique survit-elle à toutes les annonces de décès ? L'essayiste Thomas Deltombe est l'un des auteurs de cet ouvrage collectif, qui retrace 70 ans d'histoire entre l'Afrique et la France. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
Pourquoi dites-vous que la politique africaine du prestidigitateur Emmanuel Macron vous fait penser à celle d’un autre prestidigitateur, Charles de Gaulle en 1960 ?
Thomas Deltombe : Plus exactement, il nous fait penser à des tours de passe-passe plus anciens. Le parallèle plus évident encore, c’est celui de la politique coloniale de François Mitterrand dans les années 1950, avant même celle du général de Gaulle.
Quand François Mitterrand est ministre de l’Outre-mer…
Absolument. François Mitterrand, beaucoup de gens l’ont oublié, il était notamment ministre de la France d’Outre-mer en 1950-1951 et il s’est engagé dans une politique qui, à mon sens, ressemble d’une certaine façon à celle d’Emmanuel Macron aujourd’hui, c’est-à-dire une politique qui vise à réformer un système, à l'époque le système colonial, et aujourd’hui ce qu’on pourrait qualifier de système néocolonial, non pas pour faire disparaître ce système colonial ou néocolonial, mais au contraire pour les faire perdurer.
Si Félix Houphouët-Boigny n’avait pas existé, est-ce que la Françafrique aurait été un système aussi solide et aussi souple à la fois, c’est-à-dire un système aussi pérenne ?
C’est incontestablement un personnage clé sur la façon dont les colonies françaises d’Afrique subsaharienne ont accédé à une certaine forme d’indépendance, une indépendance atrophiée au tournant des années 1960. Et le duo Houphouët-Foccart [Alain Foccart, secrétaire général de l'Élysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974] a été évidement structurant. Nous, pour cette phase des indépendances qu’on appelle « les indépendances en trompe-œil », on parle d’un « néocolonialisme contre-subversif », c’est-à-dire un colonialisme qui permet en fait de réprimer les mouvements qui cherchaient véritablement à acquérir une indépendance totale. Et comme le disait le Premier ministre français Michel Debré à l’époque, l’indépendance ne va pas sans la mise en place d’un mécanisme de coopération. Et Charles de Gaulle, dans ses mémoires, dit tout à fait cela : il y a une continuité entre la colonisation et la coopération.