MACKY DIVERSIFIE LES POSSIBILITES DE COMBINAISON EN VUE DE L’ECHEANCE ELECTORALE CRUCIALE DE 2024
Maurice Soudieck Dione, Docteur en Science politique, pense que le président Sall engrange de nombreux dividendes pour la conservation du pouvoir, au-delà de 2024

La formation du nouveau gouvernement élargi à d’autres forces politiques, notamment de l’opposition, continue de susciter des débats dans la sphère politique. Contrairement à ceux qui soutiennent que l’entrée de président du parti Rewmi, Idrissa Seck, dans le gouvernement ne saurait être un gain politique pour le président Macky Sall, Maurice Soudieck Dione, Docteur en Science politique, pense que le président Sall engrange de nombreux dividendes pour la conservation du pouvoir, au-delà de 2024. Ce qui ne semble pas être le cas pour Idy qui, pour l’Enseignant-Chercheur à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, perd sa crédibilité. Même si, par ailleurs, il n’écarte pas l’hypothèse d’une mise en scelle du patron des «Oranges», en 2024.
Quelle est la pertinence d’un gouvernement d’ouverture à d’autres forces politiques, autres que celles de la mouvance présidentielle ?
C’est une stratégie du Président Sall pour renforcer le bloc hégémonique qui soutient son régime. Il a su conserver la cohésion de Bennoo Book Yaakaar autour de lui, même si les principaux partis de cette coalition (AFP, PS, LD) ont connu des scissions notamment avec le départ de Malick Gakou pour créer le Grand parti, de Khalifa Sall pour mettre en place Taxawu Dakar et Taxawu Sénégal, et avec la constitution de la LD/Debout. Le Président Sall entend en plus augmenter sa surface de légitimité en intégrant de nouvelles forces de l’opposition issues de la famille libérale, avec l’entrée d’Idrissa Seck et de son parti Rewmi, de même que Oumar Sarr, transfuge du Parti démocratique sénégalais (PDS) dont il a été le coordonnateur, en plus du positionnement d’Aïssata Tall Sall dans l’attelage gouvernemental pour gérer le ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur. En augmentant les forces politiques qui le soutiennent, le Président Sall diversifie les possibilités de combinaison en vue de l’échéance électorale cruciale de 2024. Il cherche à fragiliser l’opposition par la cooptation ; ce qui est une constante chez lui : «Je réduirai l’opposition à sa plus simple expression», avait-il annoncé. C’est pour lui une stratégie de conservation du pouvoir. Car il ne peut pas y avoir d’alternance sans opposition forte. Donc, en démantelant l’opposition par tous les moyens, notamment par la répression et la cooptation, il s’assure alors la conservation du pouvoir ; en plus des manipulations constantes du jeu électoral dans son intérêt et dans celui de son parti et de sa coalition.
Comment comprendre l’entrée d’Idrissa Seck dans ce deuxième gouvernement de Macky Sall, après sa réélection en 2019 ? Quid de son avenir politique ?
L’entrée d’Idrissa Seck est un moyen pour le Président Sall d’accroître les forces politiques qui le soutiennent. Du point de vue politique, le Président Sall engrange de nombreux dividendes. En rejoignant le régime, Idrissa Seck se discrédite davantage. Car en 2019, lors de la Présidentielle, il avait annoncé la dissolution de toutes les institutions budgétivores pour mettre cet argent au profit des Sénégalais, pour renforcer des secteurs comme l’éducation et la santé notamment. Depuis la proclamation des résultats de l’élection qu’il avait rejetés, ne reconnaissant pas la victoire du Président Sall, il s’était emmuré dans un silence lourd de suspicions. Les arguments qu’il a servis pour intégrer la majorité ne résistent pas à l’analyse. Les tractations qu’il a menées avec le Président ont précédé la pandémie, déclarée en mars 2020, soit un an après la Présidentielle de 2019. La notion d’opposition radicale qu’il avance est à déconstruire, car opposition radicale suppose l’utilisation de moyens autres que démocratiques. Mais tant que l’opposition se fait dans le cadre de la Constitution, des lois et règlements, elle ne peut pas être qualifiée de radicale. L’opposition consiste à critiquer l’action du Gouvernement, dans le sens d’éclairer les citoyens, et d’inviter même le pouvoir en place à procéder à des corrections ; et de travailler à construire une alternative crédible en termes de projets et de programmes pour servir au mieux le peuple. L’opposition est en ce sens un rouage essentiel en démocratie. Elle n’a pas pour vocation à se diluer et à se dissoudre dans le pouvoir ; elle ne doit pas être non plus une opposition de compromission, une opposition à sa majesté, une opposition collaborationniste. Autrement, contrairement à ce que soutient Idrissa Seck, cela peut constituer un danger pour le pays, car si toutes les forces politiques se trouvent d’un seul côté, tous les contrepouvoirs domestiqués et anesthésiés, la société perd de la réflexivité sur elle-même et de sa capacité à entrevoir les crises et à les anticiper. De pareils consensus mous ont entrainé la déstabilisation de certains pays comme le Mali, car on ne voit pas venir les périls, chacun étant préoccupé à gérer sa position et les intérêts qui vont avec. Ensuite, il faut dire qu’Idrissa Seck est neutralisé par le Président Sall, car à ce poste nominatif, il dépend entièrement de la volonté du Président Sall qui peut le démettre à tout moment de ses fonctions. Son revirement spectaculaire fait qu’en cas de séparation, il aura du mal à convaincre l’opinion du bienfondé de sa démarche. D’ailleurs, sa déclaration du dimanche 1er novembre en dit long. Avait-il besoin de se justifier s’il ne se sent coupable de rien ?
Quelle analyse faites-vous de la mise à l’écart des ténors jugés, à tort ou à raison, comme ambitieux pour succéder à Macky en 2024 ?
La mise à l’écart de tous ceux qui, au sein de la majorité, ont été présentés comme de potentiels successeurs au président Sall révèle que l’hypothèse de la troisième candidature n’est pas à écarter. Car cela peut signifier qu’en dehors du président Sall, il n’existe pas d’autre possibilité pour 2024 au sein de l’APR et de Bennoo Bokk Yaakaar. Le président Sall a créé l’APR pour en faire un instrument de réalisation de ses ambitions de pouvoir. C’est une constante qu’aucun leader compétent, ayant une légitimité charismatique et historique n’émerge à l’APR. Le président Sall se méfie de toute forme de dualité dans son parti, sa coalition et dans l’appareil d’Etat, avec cet inconvénient de ne pouvoir préparer personne pour la succession, alors même qu’il en est à son second et dernier mandat. Car aux termes de l’article 27 alinéa 2 de la Constitution : «Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs». L’hypothèse d’une mise en scelle d’Idrissa Seck n’est pas toutefois à exclure. Le président Sall pourrait le soutenir en 2024, en charge pour ce dernier de le couvrir et d’assurer ses arrières. Mais, Idrissa Seck aura-t-il la crédibilité qu’il faut pour cela ? Le président Sall pourra-t-il mobiliser à son profit sa coalition et son parti et taire les ambitions qui peuvent s’y manifester ? Ce sont là autant d’équations à résoudre.
A quelle conséquence logique doit-on s’attendre dans la reconfiguration politique, après l’élargissement du gouvernement à des opposants ?
La reconfiguration politique va se faire avec un pôle dilaté de la majorité et avec une opposition claire incarnée par Ousmane Sonko, arrivé troisième à la présidentielle de 2019, et des leaders qui gravitent autour du Congrès pour la renaissance démocratique. Le PDS également. Mais ce parti doit poser des actes forts et clairs de positionnement dans l’opposition et régler la question du leadership, attendu que Karim Wade est dans l’obligation politique de se déterminer de façon nette et précise quant à la poursuite de sa carrière.