LE RÈGNE DE LA CENSURE SOUS SENGHOR
Pour contrer la propagande officielle du régime de l'ancien président, les groupes politiques clandestins d’alors lui opposent journaux, tracts et affiches pour lui imposer le libre exercice des règles du jeu démocratique

Pour contrer l’interventionnisme politique et la propagande officielle du régime du président Léopold Sédar Senghor qui a instauré le monopole de la presse du parti-État et la censure des publications des opposants, les groupes politiques clandestins d’alors lui opposent journaux, tracts et affiches pour lui imposer le libre exercice des règles du jeu démocratique.
L’exercice des libertés publiques durant les 20 années de règne (1960- 1980) du premier Président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, a épousé le rythme de l’évolution politique du Sénégal enraciné dans une tradition d’élections multipartites. La première décennie de son magistère est marquée par la crise politique du 17 décembre 1962 et les mouvements sociaux de Mai 1968. Elle a consacré l’avènement de relations houleuses entre les opposants d’alors et le régime de l’Union progressiste sénégalais (Ups), parti-État unique de fait devenu Parti socialiste (Ps) en 1976. Un État-providence fort disposant d’une radio unique arrimée à un journal d’État pour étouffer la libre expression de points de vue divergents. Ces relations sont exacerbées par la censure des publications clandestines. Des journaux aux conditions précaires de fabrication et de distribution ainsi qu’aux parutions épisodiques furent composés et diffusés clandestinement dans le but de contrer la propagande officielle. Pour tenter d’imposer les règles du jeu démocratique, ces groupes politiques clandestins qui lui refusent toute hégémonie font recours aux affiches et tracts distribués nuitamment, à côté des journaux clandestins comme « Xare bi/La lutte », « Ferniente », « Fagaru »…
En plus, les partis de gauche d’obédience communiste et prosoviétique, regroupés autour du « Pai », du « Pit », de « And Jef », de la « Lct », font appel aux langues nationales et mènent des actes de sabotage.
En dépit de la réorganisation de l’État, intervenue en 1970, avec la nomination d’un Premier ministre, les affrontements qui se poursuivent conduisirent le gouvernement à adopter des mesures interdisant l’organisation des forces politiques clandestines hostiles au pouvoir. Léopold Sédar Senghor parvint à consolider les bases de son pouvoir grâce à sa police politique et à mettre au pas l’opposition clandestine. Il cooptera même des partis d’opposition comme le « Pra Sénégal » qui intègre, en 1966, l’Ups. Il va procéder à une reconfiguration des relations politiques à travers une ouverture démocratique en 1974 (multipartisme limité à quatre courants de pensée). À côté du socialisme, incarné par l’Ups, cohabitent les expressions politiques libérales (Pds de Me Abdoulaye Wade), de gauche (Pai de feu Majmouth Diop) et conservateur (Mouvement républicain Sénégalais de Boubacar Guèye). Il entreprit ensuite le dégel dans ses relations avec la presse partisane. Sa démission volontaire, le 31 décembre 1980, va accélérer le processus du pluralisme médiatique.