LE SÉNÉGAL À L’ÉPREUVE D’UN NOUVEAU SOUFFLE POLITIQUE
Les solutions trouvées pour l’éligibilité de Karim Wade et de Khalifa Sall, à l’issue du dialogue national, posent problèmes à certains observateurs politiques

Les solutions trouvées pour l’éligibilité de Karim Wade et de Khalifa Sall, à l’issue du dialogue national, posent problèmes à certains observateurs politiques. Ils estiment que le président de la République, Macky Sall, a fait de ce dialogue une monnaie d’échange afin de valider sa 3e candidature à l’élection présidentielle de février 2024. Cependant, certains de nos interlocuteurs restent convaincus que le Président Sall est sûr de passer dès le premier tour à l’élection présidentielle avec ces deux candidats.
L’éligibilité de Karim et Khalifa Sall a été l’onde de choc lors de ce dialogue national. Au cours de ces « assises-consensus », certains analystes y voient une sorte de mise en scène politique ou d’un « deal » politique. Beaucoup d’entre eux, ne se disent nullement surpris de l’issue du dialogue. Car ils semblent comprendre que le soubassement de cet appel au dialogue était une occasion pour permettre à Karim Wade et Khalifa Sall de participer à la prochaine élection présidentielle. Mais, en contrepartie, le parti au pouvoir et ses alliées attendaient en retour une validation de la 3e candidature du Président de la République, Macky Sall. Ce pari du pouvoir semble avoir porté ses fruits.
Selon nos interlocuteurs, ce dialogue reste une compromission devant permettre par tous les moyens aux recalés judiciaires de 2019 de participer à la prochaine échéance électorale. Cependant, estiment –ils, la coalition au pouvoir avec ses représentants au dialogue avait un cahier des charges et une mission claire et précise. Mandatés, ces représentants ont, peut-être, réussi à convaincre les autres formations politiques et organisations de la société civile sur le fait que seul le Conseil constitutionnel demeure la seule instance habilitée à dire si le président Macky Sall doit participer ou non à l’élection présidentielle de 2024.
D’autres analystes ont considéré qu’après l’élimination d’Ousmane Sonko, le Président Sall aura besoin d’avoir un autre candidat dont Khalifa Sall et Karim Wade. Mais, ils restent d’avis que pour le cas du fils de l’ex-président Me Abdoulaye Wade, les Sénégalais ont besoin d’explications sur les raisons de son exil et le contenu du protocole de Doha pour lesquels il a été exilé, tout en étant convaincu que le Président Macky Sall estsûr de passer dèsle premier tour à l’élection présidentielle avec ces deux candidats.
ABDOULAYE CISSE, SOCIOLOGUE « Les principales attentes étaient orientées Karim et Khalifa…»
Le sociologue Abdoulaye Cissé ne cesse de dire que le dialogue, convoqué par le Président de la République, Macky Sall, était plus politique que social. C’est vrai, relève-t-il, il y a d’autres entités qui s’occupaient de ces questions. Mais les principales attentes étaient orientées vers la participation de Karim Wade et Khalifa Sall à la prochaine élection présidentielle de 2024. Donc, il n’y a aucune surprise qu’il s’agit d’un raccourci trouvé pour permettre à Khalifa et Karim Wade de revenir au-devant de la scène politique sénégalaise.
D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle, Khalifa et Taxawu ont décidé de participer au dialogue contre l’avis de la coalition Yewwi Askan Wi (Yaw). Alors qu’il devait justement se décider de leur avenir politique. À travers ce dialogue et ce compromis, il y a une compromission. Alors, constate-t-il, ces recalés judiciaires de la présidentielle de 2019 ont réussi leurs paris par tous les moyens pour participer aux prochaines échéances. Notre interlocuteur reconnaît que Karim Wade a réussi à imprimer sa marque dans ce dialogue en réussissant à imposer la révision de son procès. Tout compte fait, prévient-t-il, ce sera à ses risques et périls.
Sur le troisième mandat du Président Macky Sall, M. Cissé est d’avis qu’il n’y a rien d’étonnant qu’il soit confié au Conseil Constitutionnel. Ce dialogue, indique-t-il, c’est un échange entre diverses entités en vue de trouver des consensus pour lesquels chacun doit savoir ou pouvoir lâcher du lest. Comme quoi, les participants ont, peut-être, convoqué la jurisprudence de 2012 en s’appuyant sur des arguments véhiculés en 2016 lors du référendum par certains grands leaders de l’opposition.
D’après Abdoulaye Cissé, il s’agit tout simplement d’un pari réussi pour la majorité au grand dam d’une partie de la population. « Il fallait s’y attendre. C’est la raison pour laquelle l’opposition radicale, réunie autour de la coalition « Yaw » parle de «deal politique» en évoquant le dialogue. Chacun y trouvera son compte en lâchant du lest comme dans toute négociation », déduit-il.
BAKARY DOMINGO MANÉ, JOURNALISTE-POLITOLOGUE «Macky Sall a utilisé Khalifa et Karim comme monnaie d’échange pour valider sa 3e candidature »
. Bakary Domingo Mané, journaliste-politique, rappelle que l’idée d’une amnistie pour Karim Wade, qui réclamait toujours une révision de son procès, a été agitée. Et l’un dans l’autre, le Président Macky Sall est en train de créer les conditions pour se présenter à l’élection présidentielle de 2024. Après l’élimination d’Ousmane Sonko, le Président Sall aura besoin d’avoir un autre candidat dont Khalifa Sall. Mais pour Karim, il persiste et signe que si on s’interroge sur un bon nombre de choses, cette affaire de détournement de deniers publics et les raisons de son exil ne sont pas encore entièrement élucidées. Alors que les Sénégalais aimeraient savoir le contenu du protocole de Doha pour lequel Karim Wade a été exilé. Le journaliste-politologue est catégorique sur le fait que depuis son exil, personne n’a jamais entendu Karim se prononcer sur les affaires du Sénégal. Souvent, c’est des « Sms » ou quelques « Tweets ». En dehors de cela, il s’est retiré carrément des affaires publiques. Aujourd’hui, on annonce son retour. Parce qu’il sait lui-même que c’est acté. « Le dialogue n’a fait qu’entériner la chance que le Président souhaite lui donner pour se présenter à l’élection présidentielle de 2024. Après l’élimination de Sonko, le Président est sûr de passer dès le premier tour à l’élection présidentielle avec ces deux candidats. Macky Sall a utilisé Khalifa Sall et Karim Wade comme monnaie d’échange pour valider sa 3e candidature. C’est cela le sens du dialogue », a décrypté le journaliste, Bacary Domingo Mané
Ainsi, il a relevé le manque de respect de la Commission du dialogue national qui a confié la question du 3e mandat au Conseil Constitutionnel. « C’est un manque de respect à l’Etat du Sénégal, notamment en son article 27 qui dit que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Si cette disposition qui ne souffre d’aucune ambiguïté, si certains ont des problèmes d’interprétation, ils n’ont qu’à aller versl’esprit de ce texte. Le Président avait organisé un référendum. Aujourd’hui, si le dialogue national renvoie la balle au Conseil Constitutionnel, c’est un manque de respect envers cette Institution. C’est comme s’il refile la patate chaude », a insisté Bacary Domingo Mané. Si le problème est amené à ce niveau, souligne-t-il, c’est parce qu’il y a de forte chance que la candidature de Macky Sallsoit validée. Dans tous les cas, indique-t-il, la commission ne pouvait pas vider cette question. Mais avec ses différences de points de vue des deux camps, le pouvoir a jugé volontairement nécessaire de refiler cette épineuse question au Conseil Constitutionnel via le dialogue national. En se disant simplement qu’il va valider cette 3e candidature. « Ce dialogue est une sorte de mise en scène pour entériner la candidature du Président Sall. Le dialogue n’a pris aucune position claire et nette. Il n’a non plus fait avancer notre démocratie. Et ce qui fait le socle de notre démocratie a été foulé aux pieds. Puisque cette commission dialogue national n’a pas joué son rôle. Il y a un retour à la case de départ. La commission du dialogue aurait pu jouer pleinement sa partition », se désole-t-il.
IBRAHIMA BAKHOUM, JOURNALISTE FORMATEUR: « Le dialogue a fait bouger des lignes... »
Le Journaliste-formateur, Ibrahima Bakhoum, a fait une mise au point dans cette affaire d’amnistie concernant le leader du Parti démocratique sénégalais, Karim Wade. Il a cité ses avocats qui indiquent que c’est fini et terminé pour Karim qui a fait déjà 5 ans après sa condamnation. Bakhoum déduit que pour eux, le fils d’Abdoulaye Wade n’est pas concerné par une amnistie. Cependant il milite pour une réouverture de son procès. « Karim peut toujours considérer qu’il n’était pas concerné ni par une loi d’amnistie ni par une loi de réhabilitation. Parce que la réhabilitation était automatique. Ça, c’est leur perception. C’est peut-être même ça qui est vrai. Mais ça n’a pas empêché qu’on doute de cette inéligibilité. C’est seulement maintenant que l’on parle comme quelque chose d’effectif », renseigne le journaliste-formateur, Ibrahima Bakhoum. L’analyste politique, loin de savoir ce que le Président va faire ou dire, attend avec impatience ce qui va se passer après. N’empêche, il se pose la question à savoir ce que le retour de Karim Wade peut apporter. « C’est vrai que le Sénégal reste le Sénégal, il est resté longtemps à l’étranger. Et certains trouvent qu’il n’est pas courageux etc. Mais des responsabilités lui avait été confiées », souligne-t-il. Seulement, il pense qu’un énorme et important travail doit se faire pour son retour au pays. Chacun dit ce qu’il veut à chaque fois qu’il a voulu sortir, il a fait ses sorties. Et ceux qui le critiquaient posent la question de son absence. D’autres qui estiment également qu’il est en train de « dealer » avec Macky Sall ont peut-être raison. Ses conseils disent qu’il n’était pas concerné. Mais son illégitimité est revenue depuis 2020 sur la base de l’article L30. « Qu’est-ce que ce dialogue peut apporter comme candidat au PDS. La question du 3ème mandat, confiée au Conseil Constitutionnel. Si les gens ont travaillé sur les bases de consensus, cela veut dire qu’ils déçoivent les Sénégalais. Mais tout le monde ne pense pas de la même façon », constate-t-il.
D’après Ibrahima Bakhoum, beaucoup s’attendaient à ce que Macky Sall dise qu’il ne sera pas candidat. Mais il est en train de dessiner des contours de sa candidature. Et ce qu’il a dit à Paris maintient sa position claire obscure. L’analyste est d’avis que d’autres pensent que c’est juste de la communication pour déplacer la communication jusque -là tournée autour d’Ousmane Sonko etc.
En allant allumer un foyer ailleurs, les gens vont suivre ce feu et oublier la question de la CPI. « Sur le dialogue national, certains vont dire que ce n’est pas un dialogue national. C’est un dialogue simplement entre le pouvoir et une partie de l’opposition. C’est leur perception. Mais dans tous les cas, le dialogue a fait bouger des lignes. Pas seulement sur le dossier Karim et Khalifa, mais sur le parrainage. D’après certains, la question principale, c’est la candidature du président Macky Sall », reconnaît-il.