L'ÉLÉPHANT BLANC DE DIAMNIADIO
La Maison des Nations unies, joyau architectural pensé par l'ancien président Macky Sall à la périphérie de Dakar, reste inoccupée depuis son inauguration en grande pompe. Enquête sur un fiasco diplomatique et financier

(SenePlus) - Au cœur de la ville nouvelle de Diamniadio, à une trentaine de kilomètres de Dakar, un impressionnant bâtiment blanc de sept étages avec des ailes qui se déploient en étoile prend la poussière. Inaugurée en grande pompe par l'ancien président Macky Sall en novembre 2023, la Maison des Nations unies au Sénégal, qui devait symboliser le principe "One UN" ("Unis dans l'action"), n'a toujours accueilli aucun des 2 400 employés des 34 agences onusiennes qu'elle était censée regrouper.
Conçu par l'agence internationale d'architecture Wilmotte & associés sous la forme d'un "volume circulaire blanc, avec sept ailes qui se déploient" sur un terrain de 14 hectares, ce complexe de 60 000 m² (dont 40 000 m² de bureaux) a coûté la bagatelle de 175 milliards de FCFA (266,7 millions d'euros). Une somme que "l'État du Sénégal devra rembourser à Envol Immobilier à la façon d'un loyer, dans le cadre d'une location-vente, sur quinze ans", comme le précise Jeune Afrique.
La société Envol Immobilier, dirigée notamment par Madani Maki Tall et Moctar Thiam, a confirmé au magazine panafricain avoir "depuis longtemps livré le bâtiment au gouvernement sénégalais". L'équipement a même été "personnalisé en fonction des besoins spécifiques de chaque agence", selon Bigué Seck, responsable de la communication de la société.
Mais pourquoi ce bâtiment flambant neuf reste-t-il désespérément vide? Les réponses sont rares et évasives. La Société de gestion et d'exploitation du patrimoine bâti de l'État (Sogepa), qui a assuré le suivi des travaux, se retranche derrière le ministère des Affaires étrangères. Ce dernier botte en touche, évoquant seulement des "discussions avec nos partenaires" sans fournir "aucune information précise pour éclairer les médias".
Du côté de l'ONU, après avoir attendu "près d'un mois" pour obtenir une réponse, Jeune Afrique n'aura reçu qu'une déclaration minimaliste indiquant que "l'ONU reste attachée à la Maison des Nations unies et poursuit activement les discussions avec le gouvernement sénégalais à cette fin". Une source onusienne à Dakar a simplement confié au magazine que "ce dossier est estampillé confidentiel".
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D'abord, une réticence du personnel onusien à s'installer à Diamniadio, située à 30 km de Dakar. Certains employés, habitués aux quartiers cossus des Almadies ou du Point E, "traînent manifestement les pieds face à cette migration vers la ville nouvelle", au point parfois de "préférer solliciter une mutation dans un autre pays", rapporte Jeune Afrique.
Plus préoccupant, à New York, "certains voient d'un mauvais œil le fait qu'un État offre ainsi un siège clés en main aux Nations unies, au risque que des compromissions autour des marchés relatifs à la construction ou à l'entretien des locaux puissent les éclabousser", selon une source officielle sénégalaise citée par le magazine.
S'ajoute à cela la crise financière que traverse l'ONU. "Le problème, c'est que la perspective du déménagement survient à un moment où les Nations unies sont prises à la gorge financièrement", confie une source onusienne. Entre la "crise de liquidités" chronique du secrétariat général et le récent désengagement américain depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, qui a "supprimé unilatéralement le financement de 83% des programmes soutenus par l'Usaid", les agences onusiennes peinent à assumer de nouvelles dépenses.
Pendant ce temps, le bâtiment, "inoccupé donc non entretenu, s'apprête à affronter les pluies d'hivernage" pour la seconde année consécutive. Ce qui était censé être le symbole éclatant de "l'engagement du Sénégal envers le multilatéralisme" lors de son inauguration en présence de la vice-secrétaire générale de l'ONU, Amina J. Mohammed, ressemble de plus en plus à "un 'éléphant blanc', ces mégaprojets d'infrastructure plus coûteux que bénéfiques pour la collectivité".
Une situation d'autant plus ironique que plusieurs agences onusiennes, ayant déjà résilié leurs baux existants en prévision du déménagement, voient aujourd'hui leur personnel "obligé de télétravailler" dans l'attente d'une solution qui tarde à se concrétiser.