LES VERITABLES RAISONS DE LA REBUFFADE DES DEPUTES DE BENNO
Retrait du projet de modification de l’article 87 de la constitution, L’Assemblée nationale a vécu, lundi, une journée inédite depuis l’avènement du président Macky Sall au pouvoir.

Le projet de loi relatif à la modification de la constitution portant dissolution de l’Assemblée nationale a été finalement retiré par le président Macky Sall. Cette décision fait suite au refus des députés de ne pas le voter.
L’Assemblée nationale a vécu, lundi, une journée inédite depuis l’avènement du président Macky Sall au pouvoir. En effet, pour la première fois, ce dernier a été contraint de retirer un projet de loi émanant de lui. En l’occurrence, il s’agissait d’un texte qui devait lui donner la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale à tout moment mais surtout, dans un premier temps, de procéder au couplage de l’élection présidentielle et des législatives. Si pour les deux coalitions de l’opposition que sont Yewwi et Wallu leur décision de ne pas voter cette loi peut se comprendre, en revanche, la position des députés de la mouvance présidentielle a surpris. Et pour cause.
Connu pour son trop plein de pouvoirs, le chef de l’État a toujours exercé sa main- mise sur le Parlement qui lui obéit au doigt et à l’œil et dont il a toujours, à la notable exception de la législature en cours débutée en août dernier, constitué à sa guise le bureau. Or, lundi dernier, une fois n’est pas coutume, ces députés, y compris ceux de la majorité, ont pris leur courage à deux mains pour faire savoir leur intention de ne pas voter la modification de l’article 87 de la Constitution.
Ce faisant, ils ont montré que, quand ils le veulent, nos parlementaires, après avoir pesé le pour et le contre, savent prendre les bonnes décisions c’est-à-dire celles-là qui vont dans le sens des intérêts des populations. Il est vrai que cette « fronde » — du moins, telle a-t-elle été perçue par nombre d’observateurs — des députés de Benno Bokk Yaakar (BBY) intervient quelques jours après la décision du président de la République de ne pas briguer un troisième mandat en février prochain. Ceci explique donc grandement cela, Macky Sall étant désormais considéré comme un président aux pouvoirs diminués…
Taxawu / Wallu: même combat
Aux termes des conclusions du dialogue national, il était convenu que les candidats de Taxawu Sénégal et du Pds, en l’occurrence Khalifa Sall et Karim Wade, seraient rétablis dans leurs droits de devenir électeurs et, surtout, éligibles pour la présidentielle de 2024. En même temps que le projet de loi devant graver dans le marbre de la loi cet accord politique, sous forme notamment de modification du code électoral, le président de la République a voulu introduire subrepticement un projet de modification de l’article 87 de la Constitution pour pouvoir notamment avoir la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale à tout moment.
Macky Sall pensait sans doute qu’en échange de la réhabilitation politique de Khalifa Sall et Karim Wade, Takhawou Sénégal et la coalition Wallu allaient voter, les yeux fermés, son projet de modification de la charte fondamentale de notre pays. Hélas, à sa grande surprise, ces deux entités lui ont opposé un niet catégorique. Selon certains observateurs, le président Macky Sall, à qui il ne reste que sept mois pour quitter le pouvoir, serait plus que déterminé à tout mettre en œuvre pour favoriser le candidat de sa coalition. Et pour ce faire, il envisagerait, avec la modification de l’article 87 de la Constitution, de procéder au couplage de l’élection présidentielle et législatives et se donner les moyens, une fois élu député et président de l’Assemblée nationale, de revenir au pouvoir après la démission de son «pion». Une sorte de plan à la Poutine-Medvedev mais version tropicale. Ce schéma, tant redouté par «l’opposition», peut expliquer le refus de Takhawou Dakar et de Wallu, mais aussi de certains députés de la majorité, de ne pas voter le projet de loi finalement retiré du circuit par le président de la République. Même si, dansles rangs de BBY, on soutient qu’il n’a jamais été question pour le président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale, il y a alors lieu de se demander les véritables raisons de sa tentative de faire modifier l’article 87 de la Constitution. La raison avancée selon laquelle ce sont plutôt des soucis de rationalisation des dépenses publiques qui ont poussé le chef de l’Etat à élaborer ce projet de loi, convainc bien peu de monde en réalité.
Les députés de BBY cachent leur jeu...
Quoi qu’il en soit, le retrait de ce projet de loi donne un avant- goût de l’avenir de la coalition BBY. Après avoir déclaré qu’il ne sera pas candidat à la présidentielle de 2024, le chef de l’Etat, toujours muet sur le nom de celui qui va porter les couleurs de cette coalition, a en tout cas été contraint de retirer son projet controversé. Une première depuis 12 ans qu’il préside aux destinées de ce pays! Les députés de sa coalition, toujours prompts à voter les yeux fermés les textes lois qu’il propose, y compris les plus discutables, se sont rebellés cette fois-ci. Ils mettent en avant, pour expliquer leur fronde, la nécessité de prendre en compte les aspirations du peuple, les intentions infondées qu’on lui prête etc. Si c’étaient effectivement ces raisons qui expliquent la rébellion de ces députés de la majorité, alors ils auraient dû repousser beaucoup de projets de lois très contestées par les populations à travers des manifestations ayant parfois occasionné des dégâts. La vérité c’est que le contexte politique inédit que nous vivons a été la principale raison de leur refus de laisser passer ce projet de loi de modification de l’article 87 de la Constitution.
Encore une fois le président de la République, même s’il est toujours théoriquement le maître du jeu, ne détient plus les armes qui peuvent lui permettre de faire respecter ses ordres sans contestation ni murmure. C’est pourquoi, il faut lire à travers cette posture adoptée lundi dernier par ses députés, une volonté de ne plus être aux ordres d’un chef diminué. Surtout que cette « fronde » intervient à un moment où le nom du futur candidat de la coalition présidentielle est très attendu et risque de la faire voler en éclats le BBY en dépit de la volonté déclarée des responsables de se soumettre à la décision du président. Or, quelle que soit la décision que prendra le président Macky Sall, les candidats recalés pourraient claquer la porte.
Dans un tel contexte d’incertitude, les députés, qui redoutent la perte de leur mandat avant terme, n’entendent jamais renoncer à leurs privilèges et hypothéquer leur avenir politique. C’est pourquoi, ne sachant pas les véritables raisons qui se cachent derrière ce projet de loi, ils ont préféré le rejeter tout en évoquant publiquement des raisons peu convaincantes. Cela dit, les autres lois allant dans le sens des intérêts de leur coalition et qui ne remettent pas en cause leurs avantages ont, elles, des chances de passer comme lettre à la poste…