MACKY BLINDE SON FAUTEUIL ET FAIT CAP SUR 2024
A trois ans de la présidentielle, le président de la République a rebattu les cartes et jeté des dés. Faites vos jeux, rien ne va plus !

Trois jours après la dissolution du premier gouvernement ayant suivi sa réélection par le chef de l’Etat, la liste des membres de l’équipe Macky II a été publiée dimanche. Un attelage fortement marqué par l’entrée en son sein d’une frange de l’opposition mais surtout la mise à l’écart de poids lourd des précédents gouvernements. Que cherche le président Macky Sall dans cette nouvelle alchimie qui redessine la configuration politique nationale à trois ans de la présidentielle de 2024 ? Analystes politiques et économistes se sont penchés sur le nouveau gouvernement et la donne politique qu’il créée.
A trois ans de la présidentielle, Macky Sall a rebattu les cartes et jeté des dés. Faites vos jeux, rien ne va plus ! Le nouveau gouvernement formé dimanche a été marqué, d’une part, par l’entrée de ministres appartenant à Rewmi, le parti d’Idrissa Seck — lui-même nommé président du Conseil économique, social et environnemental —, mais aussi d’Oumar Sarr, représentant une dissidence minoritaire du Pds. D’autre part, le remaniement de la Toussaint s’est caractérisé par la défenestration de poids lourds de l’équipe sortante comme Amadou Ba, exministre des Affaires étrangères, ancien grand argentier de l’Etat et responsable de premier plan du parti présidentiel dans la région de Dakar. Mouhamadou Makhtar Cissé, ministre du Pétrole et de l’Energie, après avoir tenu le portefeuille du Budget, et Aly Ngouille Ndiaye, ministre de l’Intérieur dans l’équipe sortante après avoir eu en charge l’Industrie et les Mines, éléphant de l’APR dans le département de Linguère ont également été poussés vers la sortie. Hors du gouvernement, Aminata Touré, jusque-là patronne du CESE (Conseil économique, social et environnemental) a également été remerciée. Le président Macky Sall a nommé Idrissa Seck, une des bêtes noires de « Mimi » pour la remplacer. Une orientation qui, d’après l’analyste politique Momar Diongue, relève plus d’un schéma politique que d’une option fondée sur une volonté de résoudre les enjeux socio-économiques actuels. « Au vu de la crise économique qui secoue actuellement notre pays, les gens s’attendaient à autre chose qu’à des alliances politiques. Notre pays connaît une récession économique mais est aussi confronté à une résurgence de l’émigration clandestine sans compter la problématique de l’emploi et la crise sanitaire avec la pandémie du coronavirus. Notre tissu industriel est quasiment en lambeaux tandis que les secteurs de la pêche et du tourisme sont à terre. C’est pourquoi, sur le fond, les gens ne peuvent percevoir un changement dans cette nouvelle nomenclature. Car, tout le monde s’attendait à un gouvernement à forte dose technocratique pour sortir le pays du gouffre au lieu d’une combinaison politique », explique Momar Diongue. Poursuivant, il explique que, dans le casting qui a été fait par le président Macky Sall, il y a des ministres dont l’opinion publique ne s’attendait pas du tout à leur reconduction dans le gouvernement. C’est le cas, dit-il, des ministères à problèmes comme celui de la Justice caractérisé par une gestion inflexible avec des remous au sein de la magistrature. De celui de l’environnement qui traine des casseroles avec le scandale lié à la mort des gazelles Oryx.
MOMAR DIONGUE : « Idy a fait le deuil de son destin présidentiel »
Analysant l’entrée spectaculaire de l’opposant Idrissa Seck dans le nouveau gouvernement, Momar Diongue y voit les signes avant-coureurs d’un déclin politique du leader de Rewmi. A l’en croire, d’ailleurs, Idy aurait fait le deuil de son destin présidentiel. « Il a bénéficié d’une grande coalition lors de la dernière présidentielle. D’ailleurs, si le ressort de confiance n’était pas cassé entre lui et le peuple sénégalais, il aurait remporté largement cette élection. Donc, on peut dire que, quelque part, c’est sa personne qui pose problème. C’est pourquoi, il a fait le deuil de son destin présidentiel en optant pour l’entrée dans le gouvernement de Macky » explique M. Diongue Selon lui, Rewmi, le parti de Idrissa Seck, ne serait plus que l’ombre de lui-même au regard de la scène politique actuelle. Et sans le concours de circonstances qui a fait qu’énormément de ténors de l’opposition se sont rangés derrière lui en février 2019, estime Momar Diongue, Idrissa Seck ne pourrait obtenir 20 % de l’électorat. Prenant le contrepied de l’ancien collaborateur du défunt hebdomadaire « Nouvel Horizon », Ibrahima Bakhoum, journaliste et observateur de la scène politique, pense que le patron de Rewmi est loin d’avoir enterré ses ambitions présidentielles. A l’en croire, le nouveau président du Conseil économique, social et environnemental fait dans la realpolitik. « Idrissa Seck n’a pas pu obtenir ce qu’il voulait et il se dit qu’il peut attendre 2024. Il a besoin d’aller récupérer quelques forces derrière et garder encore une certaine représentabilité et audience. On savait qu’il allait venir par cette porte ou une autre. On l’attendait quelque part suivant son mutisme politique. Cependant, ce qui surprend, c’est qu’il soit du côté du Conseil économique, social et environnemental », note le vétéran de la presse sans manquer de rappeler les conséquences d’un changement de veste politique. En effet, explique-t-il, les hommes politiques sont le plus souvent sanctionnés par le retour de bâton en fonction de leurs propres déclarations. « Idrissa Seck disait qu’il ne prendrait jamais une fonction nominative, on le voit aujourd’hui à la tête du Cese. C’est ça également le réalisme, on ne peut reprocher à un homme politique de vouloir jouer le réalisme, de travailler en fonction de sa lecture de la situation. Comme on dit, à situation concrète, réponse concrète. Et la situation concrète pour le Rewmi est le fait qu’en réalité, les hommes qui étaient avec Idy ont commencé à l’abandonner », développe le membre fondateur du Groupe Sud quotidien et aussi ancien journaliste de l’Agence de Presse sénégalaise (APS).
IBRAHIMA BAKHOUM : «La posture présidentiable, le dénominateur commun des leaders éjectés »
Que ce soit Aminata Touré, Amadou Ba, Mouhamadou Makhtar Cissé ou Aly Ngouye Ndiaye, tous ont été perçus à un moment donné comme des leaders ayant des ambitions présidentielles, rappelle souligne l’analyste politique Ibrahima Bakhoum. Et selon lui, à y voir de près, on se rend compte nettement que la posture présidentiable est effectivement le dénominateur commun de tous les poids lourds éjectés du gouvernement. « Or, tout le monde sait qu’à travers leurs fonctions, ces deniers jouissaient de moyens en termes de visibilité, de mobilisation et de finances. Et il est fort probable que cela soit l’un des motifs de leur mise à l’écart. Autrement dit, pour ne pas qu’ils volent très haut, leurs ailes ont été coupées avec cette nouvelle configuration du gouvernement » soutient M. Bakhoum. Momar Diongue, lui, reste convaincu que le président Macky Sall s’est résolument inscrit dans une dynamique de troisième mandat. « Il ne l’a d’ailleurs pas commencé avec la formation de ce nouveau gouvernement. Par le passé, tous ses proches qui se sont prononcés en sa défaveur sur ce sujet ont tous été sanctionnés. En revanche, tous les gens de son camp qui soutiennent le contraire, à savoir la faisabilité de ce troisième mandat, ont été ménagés. Et aujourd’hui, tous les leaders de son parti à qui on a prêté des ambitions présidentielles ou dont les Sénégalais pensent qu’ils ont l’étoffe pour diriger ce pays, ont été débarqués par le président Macky Sall. Donc il n’y a plus claire indication que celle-là » soutient l’analyste politique. Momar Diongue justifie son argument par le profilage politique des opposants ayant rejoint le gouvernement. Il explique : « Pour y arriver, Macky Sall a fait appel à Oumar Sarr qui a soutenu urbi orbi la troisième candidature de Wade en 2012. Donc, en toute évidence, celui-ci serait très mal placé pour élever la voix contre une éventuelle candidature du président Macky Sall. L’autre, c’est Idrissa Seck qui se considère maintenant n’avoir rien à perdre sur le terrain politique. Donc il faut dire que les dés sont déjà jetés en perspective de 2024 » se dit convaincu l’ancien de « Nouvel Horizon ».
L’avenir de l’opposition
Pour Momar Diongue, sur le terrain politique, l’entrée d’Idrissa Seck dans le gouvernement va constituer un grand boulevard ouvert à l’opposant Ousmane Sonko arrivé troisième à la présidentielle passée. Cela dit, notre confrère estime qu’on sait parfaitement qui incarne l’opposition dans ce pays et qui ne l’incarne pas. Et selon toute évidence, dit-il, celui qui se pose actuellement en alternative contre la gouvernance de Macky Sall n’est personne d’autre que le leader du Pastef. Mais d’après Ibrahim Bakhoum, bien que le président ait réussi à réussi à faire en sorte que le deuxième à la présidentielle n’est plus le chef de l’opposition, il n’en reste pas moins que le leader de Pastef a encore du chemin à faire. « Qu’on le veuille ou non, Ousmane Sonko est incontestablement présent dans l’espace public et dans les réseaux sociaux. Seulement voilà, cela ne suffit pas pour être leader de l’opposition même si, il faut le reconnaitre, c’est un grand boulevard qui est dégagé maintenant pour lui avec cette entrée d’Idrissa Seck dans les institutions. La question du leadership de Sonko sur la scène politique nationale reste suspendue aux joutes électorales à venir » estime le vétéran Ibrahima Bakhoum.
De nouveaux fronts contre Macky
Sur un autre plan, Momar Diongue soutient que la reconfiguration induite par la formation de ce nouveau gouvernement va paradoxalement ouvrir d’autres fronts contre le président Macky Sall. «Le président Macky Sall vient à présent de créer d’autres axes d’adversité avec lui. Parce que jusquelà, il n’avait en face de lui qu’Ousmane Sonko qui menait une opposition radicale. Maintenant il vient, en cooptant Oumar Sarr et Cie, de déclarer la guerre au Parti démocratique sénégalais (PDS). Car les dirigeants de ce parti ne vont certainement pas digérer le fait que des dissidents sorti de leurs flancs soient mis dans un gouvernement et dotés des moyens de l’Etat ». Autre front qui risque de s’ouvrir contre l’actuel président de la République : celui constitué des ténors de l’APR que Sall vient de mettre sur la touche. « Il s’agit des leaders Aminata Touré, Makhtar Cissé (Ndlr, en raison de son statut d’Ige, ce dernier n’est en réalité pas militant du parti présidentiel), Amadou Ba et Aly Ngouye Ndiaye. Et d’ailleurs, le président est tellement conscient de la situation et du danger que cela représente, qu’il essaie même de limiter les dégâts. Au niveau de Dagana où trône Mouhamadou Makhtar Cissé, il a fait appel à Oumar Sarr pour le contrer. Il a fait de même avec Aly Ngouye à Linguère en nommant Aly Saleh Diop de Rewmi pour museler l’ancien ministre de l’Intérieur en cas d’une éventuelle rébellion politique de ce dernier » explique l’analyste politique.