MACKY ETALE SUR UN DIVAN
Des experts en communication (Ibrahima Bakhoum, Bakary Dominguo Mané), un sociologue Abdoulaye Cissé et un politologue Mamadou Sy Albert mettent Macky Sall sur le divan pour tenter de comprendre les dessous de la motivation du chef de l’Etat de renoncer

Le Président de la République, Macky Sall, a pris une décision historique en décidant de ne pas briguer un 3e mandat présidentiel à la prochaine élection de 2024. Cette décision, qui serait mûrement réfléchie, a été imputée à un certain niveau par une forte pression d’une opposition radicale, aux morts enregistrés lors des manifestations et une intense politique de diabolisation engagée dans plusieurs pays d’Afrique et ailleurs. Son retrait serait même susceptible d’entraîner une scission de sa coalition Benno Bokk Yaakaar. Des experts en communication (Ibrahima Bakhoum, Bakary Dominguo Mané), un sociologue Abdoulaye Cissé et un politologue Mamadou Sy Albert mettent Macky Sall sur le divan pour tenter de comprendre les dessous de la motivation du chef de l’Etat de renoncer à un 3ème mandat.
Le Sénégal est un pays à la politique souvent tumultueuse. Différentes péripéties dramatiques ont créé une peur bleue avec de réelles menaces sur la stabilité du pays. Lors des manifestations, des scènes de violence, des saccages, des pillages de biens publics et privés ont occasionné desréactions et des indignations. Interpellés par nos soins, des analystes ont évoqué que des forces qui sont dans la radicalité dans l’opposition et le pouvoir ont fini par installer une bipolarisation, plaçant à leur sein deux personnalités politiques : Ousmane Sonko et Macky Sall.
A force de s’affronter d’une manière ou d’une autre, toute la population vit la peur de voir cette dualité mener directement vers une zone de turbulence ou de nouvelles morts pourraient être enregistrées.
Le Président Macky Sall, accablé, a essayé d’anticiper sur les perspectives dramatiques. Prenant sa décision, il a été relevé que le Président Sall a aussitôt gagné en notoriété et en honorabilité. Cette décision prise le repositionne dans l’opinion des Sénégalais et dans l’opinion internationale. D’après nos interlocuteurs, Macky Sall a montré que la décision qu’il allait prendre n’est issue, ni d’une pression ni de quoi que ce soit. Mais c’est plutôt sa propre décision. Seulement, ces analystes indiquent que si l’effet du décret n’est plus là, alors l’avenir devient incertain pour Benno Bokk Yaakaar et à l’Apr qui, jusqu’à présent, n’a jamais gagné avec sa bannière. D’autres pensent que malgré la pression de l'opposition et d'une partie de l'opinion, le Président Macky Sall a su garder le suspense jusqu'au moment où il a jugé opportun de se prononcer sur sa candidature. Ils estiment que c’est une façon pour lui de faire savoir à l'opposition qu'elle n'est pas maîtresse de son agenda politique. Et c'est lui qui contrôle tout…
Sous ce registre, le Président Macky Sall, précise-t-on, a respecté sa "promesse républicaine" c’est-à-dire ne pas faire moins que Wade et Diouf. En même temps, il est resté fidèle à l'esprit de la loi constitutionnelle qu'il a , lui-même, fait voter tout en pensant à sa carrière internationale après la présidence du Sénégal. Cependant, sa coalition, Benno Book Yakaar, est dans une incertitude totale. Son implosion n'est plus qu'une question de mois voire de jours. Les discours avant-gardistes le confirment. Jusqu'à présent, le Président n'a pas encore désigné son "candidat", la coalition non plus. Si elle a su résister à l'usure du temps pendant 11 ans, c'est parce qu'il y avait un commandant en chef qui cristallisait toutes les attentions et déclinait la conduite à tenir. Malgré tout, des craintes sont visibles. En effet, les grands partis comme le PS, l'AFP, le PIT entre autres pourront connaître sans aucun doute des dissidences.
Ces différents experts accrochés sont d’avis que le retrait du Président Macky Sall aura forcément une incidence sur son parti, sa coalition et même sur l’opposition. Une reconfiguration politique sera connue au niveau national et international. L’éventualité d’une violence réclamant la non –candidature de Macky Sall n’a plus sa raison d’être. Donc, la puissance de feu des forces de l’opposition, précisément, de la plate-forme F24 serait réduite voire affaiblie, faute de minutions. A défaut d’une paix intégrale, le Sénégal pourra connaître un apaisement.
Ibrahima Bakhoum, analyste politique : « Le Président Macky Sall a depuis Paris préparé ses troupes à sa non candidature »
Le journaliste – formateur, Ibrahima Bakhoum, estime que Macky Sall a été l’exemple le plus achevé en création d’un parti à travers l’administration. Ce système de nommer un ministre ou Dg pour qu’il alimente des militants à des fins politiques a fait que l’Apr n’a pas eu de militants de formation. Mais des militants alimentaires. « Macky ne pouvait pas prendre le risque de candidater avec le contexte extrêmement difficile et la tension qui a déjà créé des victimes. Les forces qui sont dans la radicalité dans l’opposition et le pouvoir ont fini par une bipolarisation où on ne voyait que deux personnes, Ousmane Sonko et Macky Sall. Cette dualité pouvait mener vers une zone de turbulence où on ne pouvait pas encore exclure de nouvelles morts », a décrypté le journaliste-analyste politique, Ibrahima Bakhoum. Ainsi, il a évoqué le cas de Hussein Habré ou le fait qu’on parlait de la CPI, même s’il (Ndlr : Macky) n’y croit pas. Macky Sall, déduit-il, a essayé d’anticiper. Et il a gagné en notoriété et en honorabilité. Cette décision le repositionne dans l’opinion des Sénégalais et dans l’opinion internationale. « Macky au sortir de Paris avait déjà tout prévu de son discours à Paris et Dakar. Il a montré aux gens que la décision qu’il allait prendre n’est issue ni d’une pression ni de quoi que ce soit. Mais, c’est sa propre décision », dit-il.
Ibrahima Bakhoum n’a pas manqué de donner une idée sur l’avenir de Benno Bokk Yaakaar. Il estime qu’elle aura beau à faire de la communication. Mais il faut reconnaître qu’il n’y a plus de parti à part des individus qui ont obtenu des postes. « Si l’effet du décret n’est plus là, alors l’avenir devient incertain pour Benno Bokk Yaakaar. Le président a tout fait pour que l’Apr existe. Mais, jusqu’à présent, l’Apr n’a jamais gagné avec sa bannière », retient-il.
Abdoulaye Cissè, sociologue: « Macky Sall a su orienter et dicter à ses adversaires sa ligne de conduite durant tout son règne »
Le sociologue Abdoulaye Cissé considère que malgré la pression de l'opposition et d'une partie de l'opinion, le Président Macky Sall a su garder le suspense jusqu'au moment qu'il a jugé opportun pour se prononcer sur sa candidature. Il estime que c’est une façon pour lui de faire savoir à l'opposition qu'elle n'est pas la girouette de son agenda. Et que c'est lui qui contrôle tout. « Si, nous faisons une analyse de contenu de ses différentes sorties sur la question, il se n’avère qu’absolument rien ne présageait qu'il allait se représenter pour une troisième candidature. Il a toujours dit qu'il ne ferait pas moins que Diouf et Wade. Macky a toujours réaffirmé son désir de consacrer définitivement la limitation des mandats à deux au Sénégal. C'est lui qui a fait voter le référendum de 2016. L'esprit était justement d'acter définitivement la limitation des mandats à deux », rappelle le sociologue.
L’expert a évoqué le droit qui dit souvent que lorsque la lettre est floue ou prête à confusion, il faut convoquer l'esprit de la loi. En ce qui concernait la probabilité d'une troisième candidature du Président Macky Sall, les juristes étaient partagés sur le sujet. Et les deux thèses étaient défendables avec de solides arguments juridiques. Pour sortir de ce "juridisme", il fallait alors convoquer l'esprit de la loi qui était la limitation des mandats à deux. En tant qu'instigateur de cette réforme, le Président s'est conformé à l'esprit de la loi.
Président Macky Sall et la jurisprudence de 2012
L'autre élément d'analyse est qu'il faudrait également reconnaitre à Macky Sall « son intelligence politique », insiste-t-il. D’après le sociologue, 2012 a servi de jurisprudence au Président Macky Sall qui sait qu'il n'aurait aucune chance de remporter l'élection présidentielle en 2024. Parce que le peuple sénégalais n'allait jamais le plébisciter une troisième fois. Macky Sall, regrette-t-il, a su apprendre des erreurs de Abdoulaye Wade pour éviter de tomber dans les mêmes travers. « En faisant le pour et le contre, il a su opérer pour un choix d'avenir qui lui ouvrirait de belles perspectives au plan international. Pour dire in fine que durant tout son règne, Macky Sall a su orienter et dicter à ses adversaires sa ligne de conduite », reconnaît-il. Le sociologue serait tenté de dire qu'il y a les deux à la fois. Le Président Macky Sall a respecté sa "promesse républicaine" de ne pas faire moins que Wade et Diouf. Mais il est resté fidèle à l'esprit de la loi constitutionnelle qu'il a lui-même fait voter, tout en pensant à sa carrière internationale après la présidence du Sénégal entre autres paramètres. Partant de tous ces éléments, il est possible de dire, comme il a été indiqué dans son discours du 03 juillet 2023, que c'est une décision longuement et mûrement réfléchie. M. Abdoulaye Cissé précise que tous les faits évoqués dans la précédente question, constituent des éléments d'appréciation pour comprendre qu'il était dans toutes les dispositions de ne passe représenter pour une troisième candidature en 2024. « Il aurait fait une analyse de la situation géopolitique nationale et internationale avant d'opérer son choix. Le Président Sall a fait le choix de la raison et non d'opportunisme ! Toutes les conditions étaient réunies pour qu'il "force" une troisième candidature qui allait passer comme lettre à la poste au niveau du Conseil constitutionnel. Mais le peuple souverain l'attendait à l'instar de 2012 avec Wade, au tournant de l'élection pour le désavouer. Et il allait tout perdre. Aussi bien au niveau national qu'international », prévient Abdoulaye Cissé. Il est d’avis que Macky Sall a su lutter contre différentes forces centrifuges, notamment au sein de sa coalition pour renoncer à cette troisième candidature.
Le sociologue trouve que des pressions de tout bord ont aussi existé. Elles ont sans doute contribué au choix final du Président Sall. « Je reste convaincu que les derniers évènements du mois de juin dernier ont pesé également sur la balance et le voyage nocturne à Touba pour rencontrer le Khalife général des mourides. C’était pour lui dire qu'il ne sera pas candidat à l'élection présidentielle de 2024. Une façon pour lui de se dédouaner et d'imputer la responsabilité de toutes les violences à l'opposition qui mène un combat perdu d'avance. Toutefois, la hantise de 2012 et le combat véhément qu'il a lui-même mené au cours de cette période sont les principaux éléments justificatifs de ce choix entre autres », insiste Abdoulaye Cissé.
M. Abdoulaye Cissé indique que Benno Book Yakaar est dans une incertitude totale et son implosion n'est plus qu'une question de mois voire de jours. Les discours va-t-en-guerre le confirment. Sans oublier le fait que le Président Macky Sall n'a pas encore désigné son "candidat", la coalition non plus. Si la coalition Bby a su résister à l'usure du temps pendant 11 ans, c'est parce qu'il y avait un commandant en chef qui domestiquait la troupe.
Incertitude totale de Benno Book Yakaar
Aujourd'hui qu'il a prisl'option régalienne de quitter le navire dans un avenir proche, alors les ambitions vont de plus en plus se manifester de part et d'autre. Quel que soit le candidat que le Président ou la coalition proposera, il y aura forcément des rejets et c'est justement ce qui va causer l'implosion de la coalition Bby qui n'était pas suffisamment bien préparée à l'option de son Président de ne pas se présenter pour une troisième candidature. « Bby est un conglomérat de partis politiques avec des aspirations et ambitions différentes dont ils ont toujoursfait fi au profit. En vérité, c’est l’APR et son Président qui distribuaient les rôles et partageaient le "gâteau". Aujourd'hui qu'une nouvelle donne se présente, une redistribution des cartes s'impose et chaque formation politique doit lutter pour sa "survie". Le sociologue craint ainsi que les grands partis comme le PS, l'AFP, le PIT entre autres, connaissentsans aucun doute des dissidents qui vont considérer qu'ils étaient liés à la coalition par le choix de Macky Sall comme candidat à l'élection présidentielle. « Si les têtes de pont jouent le jeu de la majorité. Il y avait déjà une rébellion dormante au sein de certaines de ces formations politiques et tout choix de candidat qui ne sortirait pas de leur rang pourrait être interprété comme un manque de respect à leur endroit et aboutirait par conséquent à leur sortie de la coalition. Il faut s'attendre à une pluralité de candidatures au sein de cette coalition. Chose qui va la fragiliser et finir par causer sa perte », prévient Abdoulaye Cissé.
Bakary Domingo Mané, politologue: « La pression a obligé Macky Sall de se retirer »
Le politologue Bakary Domingo Mané a constaté que Macky Sall était obligé de se retirer. Mais les actes qu’il a posé depuis 2019, jusqu’à la veille avec son discours, auraient montré qu’il voulait candidater. Mais cette pression de la jeunesse, des morts et la pression internationale des partenaires, et la diaspora qui le suivait partout pour lui dire qu’il n’avait pas le droit de se présenter ni d’éliminer des candidats, ont pesé. D’après Domingo Mané, cette pression l’a fait reculer. Puisqu’il a dû mesurer les risques en se disant que s’il se lance, il va faire une campagne chaotique. Le politologue révèle que le choix ne se fera pas à l’unanimité dans Benno Bokk Yaakaar. Il prévient qu’il faut s’attendre à une désobéissance. Certains, dit-il, vont se dire qu’il n’y a plus d’enjeux. Donc la famille va se fissurer. Le Président Sall est dans une posture de faiblesse et la maison de Benno risque d’imploser.
Mamadou Sy Albert, politologue: « Une 3e candidature serait la candidature de trop...»
Le politologue Mamadou Sy Albert a signalé que la pression à l’étranger à travers de nombreux pays africains, des institutions internationales avec beaucoup de morts et des raisons personnelles à ne pas renoncer à son code d’honneur font que le Président Macky Sall n’a pas voulu aller à l’aventure. Mamadou Sy Albert pense que le Président Sall a été sûrement prévenu. Mais en plus, la pression montait. Alors, ces scénarii l'ont poussé à renoncer. Et son retrait aura forcément des conséquences sur son parti et sur Benno. S’il n’y a pas de consensus sur un seul candidat, il y aura des remous dans l’Apr et Benno. Et peut-être plusieurs candidats seront présentés. Une fois, au second tour, le mieux placé serait soutenu. Ce scénario est très possible.