MACKY SALL MAITRE DU JEU POLITIQUE OU OTAGE DE SON CAMP ?
Il esquive le 3ème mandat et se montre peu disert sur le rapport de la cour des comptes. Le traditionnel discours à la Nation du président de la République le 31 décembre de chaque année était pourtant attendu sur au moins ces deux points

Le traditionnel discours à la Nation du président de la République le 31 décembre de chaque année était très attendu sur au moins deux points. Sur le 3è mandat et sur la suite à donner au rapport de la Cour des Comptes. A l’arrivée, Macky Sall n’a point évoqué le premier point, tandis que sur le deuxième, il est resté très évasif. Juste une phrase pour parler de ce méga-scandale sur un carnage financier que n’arrivent toujours pas à digérer nos compatriotes. Une telle posture renvoie-t-elle à une volonté du président de la République de démontrer qu’il reste le véritable maitre du jeu politique ? Ou bien montre-t-elle — confirme-t-elle plutôt ! — qu’il est un otage politique de son propre camp. En tout cas, il est impératif qu’il apporte à une réponse à cette question du troisième mandat. Surtout à 13 mois de la présidentielle de 2024.
Le discours à la Nation du 31 décembre 2022 du président de la République à la Nation était très attendu cette année. Le contexte et la forte demande des Sénégalais d’avoir des réponses sur le 3ème mandat ainsi que sur les suites du rapport de la Cour des Comptes donnaient un cachet particulier au message présidentiel de cette fin de l’année 2021.Attendu sur ces deux questions, le président a choisi de se montrer aérien en évoquant notamment le premier trophée du Sénégal en Coupe d’Afrique des nations de football. Cette victoire continentale a été le prétexte pour lui de s’ériger en moralisateur relativement à la société sénégalaise. « Ce rang, qui nous vaut le respect et la confiance de l’Afrique et du monde, nous le devons surtout à notre héritage commun de nation libre, unie dans sa diversité, paisible et stable dans un monde constamment percuté par la violence et l’antagonisme, jusqu’à nos frontières. Chacun de nous est le légataire de cet héritage. En conséquence, nous avons la responsabilité individuelle et collective de surmonter nos différences afin de cultiver notre vivre ensemble et le préserver des périls qui font le malheur des peuples. Nul ne doit s’imaginer plus grand ou plus fort que cette nation qui nous abrite tous. Nous sommes parce que le Sénégal est. Si nous sommes là aujourd’hui, rassemblés en tant que nation, c’est bien parce que nos anciens nous ont couvés et portés sur leurs épaules. Notre honneur, c’est d’en faire autant pour nos enfants, en consolidant chaque jour le pacte de bienséance, de solidarité et de fraternité humaine qui lie cette nation, génération après génération. Cette tâche qui nous incombe tous, moi au premier chef, je continuerai d’y veiller de toutes mes forces, pour un Sénégal toujours uni, paisible, stable et prospère » a pontifié le chef de l’Etat.
Quant au sujet très attendu du 3ème mandat, il n’en a pas été question dans le discours présidentiel. Circulez, il n’y a rien à dire ! Sur l’autre grande attente, à savoir le rapport de la Cour des Comptes, c’est au détour d’une attente qu’il l’a évoquée très rapidement. Il y a tellement d’autres sujets plus importants qui méritent son attention que ces malheureux six milliards de francs détournés par des gestionnaires des deniers publics! «Dans le même esprit de bonne gouvernance des affaires publiques, l’exploitation du rapport de la Cour des comptes sur la gestion financière de la pandémie de COVID-19 suivra son cours conformément aux dispositions légales et réglementaires en la matière ». Le chef de l’Etat n’en dira pas plus. Encore une fois, cette affaire n’a pas d’importance à ses yeux !
Macky Sall, maître du jeu politique
Force est de reconnaître toutefois, à l’aune de sa posture sur ces deux questions, que le président Macky Sall a démontré que nul ne peut lui imposer les éléments de son discours pas plus qu’un agenda politique. Ce faisant, il veut donner l’impression d’être le véritable maître du temps politique au Sénégal. Un point de vue relativisé par le Professeur agrégé Ndiaga Loum de l’Université du Québec en Outaouais. « Le mot maître est peut-être à mettre au conditionnel ou en interrogations » tient d’emblée à dire le Pr Loum. « Serait-il le maître ? Voudrait-t-il montrer qu’il l’est ou est-il otage d’un entourage qui le pousse à se dédire et dont il aurait dû mal à sanctionner les fautifs parce qu’il se dit qu’il aurait besoin de leur soutien en cas d’une hypothétique candidature ? Ne maitrisant pas les conséquences de ses éventuelles décisions sur ces questions, il choisit de garder le silence ou la circonspection » poursuit notre interlocuteur. Sur les avantages et les inconvénients d’une telle posture, le Pr Ndiaga Loum a une appréciation diversifiée. « Il peut penser que ça lui est bénéfique, mais ce n’est pas le plus important, c’est ce que la majorité des Sénégalais en pensent qui est important. Et c’est ce décalage entre le calcul politique et l’intelligence sous-estimée du peuple qui perd les dirigeants africains souvent surpris de leur impopularité et donc de leur rejet. L’importance qu’ils donnent à leurs propres manœuvres leur fait oublier le dégoût que provoque la découverte de celles-ci parles destinataires » souligne l’enseignant canadien d’origine sénégalaise.
S’agissant de l’opposition, il faut d’abord constater qu’elle est dans une dynamique victorieuse ou tout au moins favorable depuis les élections locales et ensuite les législatives qui consacrent dans les faits la fin de l’hégémonie du régime de Macky Sall, souligne le Pr Ndiaga Loum. « En attendant la prochaine élection présidentielle, seul moment de vérité dans une démocratie, l’arsenal d’actions de cette opposition n’est pas illimité : il y a les dénonciations via les conférences de presse médiatisées, les contestations populaires à travers les marches quand celles-ci sont autorisées, les tournées pour informer et mobiliser les populations et fidéliser les militants. C’est grosso modo c’est qu’elle est en train de faire. La nouveauté dans le travail de l’opposition est la jonction avec la société civile comme en 2011, une société civile que Macky Sall a réussi ironiquement la prouesse de réveiller grâce au flou sur le 3e mandat et au scandale de la gestion des fonds du covid-19 » explique le Professeur de l’Université du Québec en Outaouais.